AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Paris, 18 octobre 2000) que la société Régie nationale des usines Renault, devenue la société Renault, a résilié le 9 novembre 1992, avec un préavis d'un an, le contrat de concession à durée indéterminée qui la liait depuis le 2 janvier 1986 à la société Ouest automobiles ; que le 30 novembre 1992, la société Compagnie de gestion rationnelle des stocks (la Cogera) a résilié leur convention de financement avec effet à l'expiration du préavis ; qu'estimant abusifs la résiliation, par la société Renault, du contrat de concession et le retrait, par la Cogera, du crédit-fournisseur, la société Ouest automobiles et la SCI Saint-Claude, propriétaire de l'un des sites où était exploitée la concession, les ont assignées en paiement de dommages-intérêts ; que M. X..., en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Ouest automobiles, ainsi que Claude, Danièle, Olivier et Pascal Y... (les consorts Y...) sont intervenus à l'instance, ces derniers pour réclamer l'indemnisation du préjudice qu'ils estimaient avoir subi en tant qu'associés de la SCI Saint-Claude ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que la société Ouest automobiles, M. X..., ès qualités, et les consorts Y... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande indemnitaire pour résiliation abusive du contrat de concession par la société Renault alors, selon le moyen :
1 ) que la résiliation d'un contrat à durée indéterminée peut, même si un préavis a été respecté, présenter un caractère abusif en raison des circonstances qui ont accompagné la rupture ; qu'en écartant toute faute du concédant dans la résiliation du contrat de concession au prétexte qu'il n'aurait pas subordonné la poursuite des relations contractuelles à la réalisation d'importants investissements destinés à satisfaire ses seules exigences de mise aux normes de sa marque, tout en constatant qu'une somme de près de 10 000 000 francs avait été engagée par le concessionnaire en vue de la modernisation de l'outil de distribution et que le concédant avait été dûment informé de la réalisation de ce projet puisqu'il y avait activement collaboré, sans vérifier qu'en résiliant le contrat de concession un an plus tard, prenant ainsi le risque
-en le privant de toute possibilité d'amortissement- de compromettre l'équilibre économique de son concessionnaire, il s'était rendu coupable d'un comportement blâmable, la cour d'appel n'a conféré aucune base légale à sa décision au regard des articles 1134, alinéa 3, et 1382 du Code civil ;
2 ) que le juge doit mentionner et analyser, fût-ce succinctement, les documents au vu desquels il a formé sa conviction ;
qu'en affirmant qu'il était constant que le concessionnaire aurait disposé de locaux insuffisants pour exercer son activité, présumant ainsi qu'il se serait trouvé dans l'incapacité de satisfaire aux objectifs de vente contractuellement arrêtés et que, partant, les investissements effectués auraient été indispensables à l'exploitation normale de n'importe quelle concession automobile, sans justifier autrement sa décision, quand pour sa part, le concessionnaire faisait valoir que les travaux avaient été réalisés dans le cadre d'un programme d'identité de réseau Renault mis en place en 1989, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3 ) que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu'en refusant d'imputer à faute au concédant la perte d'une chance par le concessionnaire de céder son fonds de commerce au successeur qui avait reçu son agrément, tout en constatant le manque de diligences dont il avait fait preuve à cet égard, quand, par ailleurs, il était acquis aux débats que la concession avait été accordée à un candidat connu du concédant dès l'annonce de la résiliation au concessionnaire évincé, la cour d'appel a violé les articles 1134, alinéa 3, et 1382 du Code civil ;
4 ) qu'enfin, en écartant toute responsabilité du concédant dans le fait de ne pas avoir, préalablement à la résiliation, favorisé la cession de l'entreprise pour la raison qu'il n'y aurait pas été contractuellement obligé, bien qu'elle eût retenu que pareille conduite pouvait être légitimement espérée compte tenu, notamment, de l'ancienneté des relations entre les parties et de l'importance des investissements engagés peu de temps auparavant pour la modernisation de l'outil de distribution, la cour d'appel a encore violé les textes susvisés ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient que lorsque les époux Y... ont repris la concession de Vernon, ils disposaient de locaux vétustes et insuffisants, qu'en 1988, ils ont envisagé la construction de locaux neufs de sorte qu'en 1991, la société Ouest automobiles était installée sur quatre sites ; que les juges constatent que, s'il est patent à l'examen des pièces que la société Renault a activement collaboré aux travaux, notamment au projet initié par la SCI Saint-Claude un peu plus de trois ans avant la résiliation du contrat de concession, il n'en résulte pas néanmoins qu'elle ait incité son concessionnaire à réaliser ledit projet, ni que la poursuite des relations contractuelles ait été subordonnée à son exécution, ni même qu'il ait été conçu pour satisfaire aux seules exigences de la mise aux normes de Renault plutôt qu'à celles indispensables à l'exploitation normale de toute concession automobile ;
qu'en l'état de ces motifs souverainement déduits des éléments de preuve produits, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le concédant n'était pas tenu, préalablement à la résiliation du contrat, de rapprocher un éventuel futur concessionnaire de l'ancien et a ainsi exclu toute responsabilité de la société Renault de ce chef ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses quatre branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Ouest automobiles, M. X..., ès qualités, et les consorts Y... font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :
1 ) qu'en refusant d'imputer au concédant la divulgation anticipée de l'information concernant la résiliation prochaine du contrat de concession, bien que pareille indiscrétion n'eût pu émaner que de l'auteur de la rupture, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1134, alinéa 3, et 1382 du Code civil ;
2 ) qu'ils faisaient valoir que le concédant avait entrepris, au cours du délai de préavis, de détourner, au profit de son successeur, le réseau d'agents que le concessionnaire s'était attaché ; qu'en délaissant des conclusions aussi pertinentes, de nature à établir la faute délictuelle dont le concédant s'était rendu coupable dans l'exécution du préavis, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est souverainement que, répondant aux conclusions prétendument omises, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a estimé qu'aucune des pièces produites ne permettait d'affirmer que la société Renault fût à l'origine des rumeurs de rupture qui se sont propagées avant la résiliation officielle et qui, selon la société Ouest automobiles, provenaient des négociations menées au cours du préavis par la société Renault avec les agents du concessionnaire ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Ouest automobiles, M. X..., ès qualités, et les consorts Y... font enfin grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande indemnitaire pour résiliation abusive par la société Renault du contrat de concession et pour retrait abusif par la Cogera des modalités de financement qu'elle lui avait accordées alors, selon le moyen :
1 ) que la force obligatoire des conventions s'impose au juge comme aux parties ; qu'en retenant que la Cogera se trouvait en droit de réduire progressivement la durée des financements par application de l'article 4-1 de la convention prévoyant cette faculté en cas de résiliation du contrat de concession et de dégradation de la situation financière du concessionnaire, tout en constatant que la situation financière de la société Ouest automobiles n'était pas dégradée, et en relevant également que l'article 5-3 érigeait en principe que les encours étaient maintenus jusqu'au terme du préavis, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
2 ) que les parties étaient convenues que, en cas de résiliation du contrat de concession, la résiliation du contrat de financement interviendrait au plus tard à la date d'échéance de fin de préavis et, en tout état de cause, à la date de résiliation effective du contrat de concession si bien qu'en cours de préavis, et sous réserve de l'application des dispositions de l'article 4-1 -prévoyant qu'en cas de dégradation de la situation financière du concessionnaire et de la résiliation du contrat de concession, la Cogera se réservait la possibilité de réduire la durée maximum des financements-, le concessionnaire garderait la faculté d'utiliser les possibilités de financement qui avaient été mises à sa disposition ; qu'en affirmant que la Cogera était en droit de réduire progressivement les modalités de financement qu'elle avait accordées, quand bien même la situation financière du concessionnaire n'était pas dégradée, présumant ainsi l'existence d'une contradiction entre deux stipulations ayant pourtant chacune un domaine propre, la cour d'appel a dénaturé la convention des parties en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que c'est par une interprétation de l'article 4-1 du contrat conclu avec la Cogera, que son ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a décidé qu'il était convenu qu'en cas de résiliation du contrat du concession, si le concessionnaire conservait pendant la durée du préavis la faculté d'utiliser les possibilités de financement mises à sa disposition par la Cogera, cette dernière pouvait réduire progressivement l'encours, même si la situation financière du concessionnaire n'était pas dégradée ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Ouest automobiles, M. X..., ès qualités, les consorts Y..., la société Renault et la société COGERA ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois décembre deux mille deux.