AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 12 décembre 2000), statuant sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 3 février 1998, arrêt n° 326 D), que la société Esso ayant résilié le contrat de mandat et gérance passé entre la société Sainte-Claire, gérée par les époux X... et elle pour l'exploitation d'une station-service, la société Sainte-Claire l'a assignée en annulation des conventions, remboursement des frais liés au mandat de vente du carburant et indemnisation des pertes entraînées par ce mandat ; que les époux X... se sont joints à la demande ; que la société Esso a formé une demande reconventionnelle en paiement d'un solde de fin de contrat de 844 287,85 francs ; que la société Sainte-Claire ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la SCP Mayon a été désignée en qualité de liquidateur ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la SCP Mayon, ès qualités, reproche à l'arrêt d'avoir limité à 612 220 francs la somme qu'il lui a allouée sur le fondement de l'article 2000 du Code civil, alors, selon le moyen :
1 / que deux contrats légalement dénommés et distincts créent des droits et obligations selon leur nature; que, par ailleurs, les obligations de deux contrats distincts ne s'éteignent que par voie de confusion ou de compensation ; qu'en énonçant en l'espèce que les bénéfices tirés de la vente des lubrifiants et des autres produits, dans le cadre de la location-gérance, devaient être déduits du montant des pertes générées par le mandat dont la couverture incombait à la société pétrolière, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil par refus d'application et les articles 1300 et 1289 et suivants par fausse application ;
2 / que selon les termes clairs et précis de l'article 11, il était énoncé sous l'intitulé "Indivisibilité", que "le mandat et la location-gérance sont indivisibles : la cessation de l'un entraîne automatiquement la fin du contrat" ; qu'ainsi les parties n'avaient stipulé l'indivisibilité qu'en vue d'assurer l'application simultanée des contrats sans pour autant méconnaître leur nature et leurs effets respectifs ; qu'en retenant que "cela (traduisait) le fait que dans l'exploitation, telle qu'elle (avait) été envisagée par les parties, la vente des carburants et la vente des autres produits se (confortaient) mutuellement" et que "la convention passée entre les parties, si elle (dissociait) le régime de distribution des carburants de celui des autres produits, (réunissait) ces deux régimes sur le plan économique pour qu'ils assurent ensemble, de manière indissociable, les résultats de la société exploitante", la cour d'appel a entaché sa décision d'une dénaturation de la clause susvisée et a dès lors violé l'article 1134 du Code civil ;
3 / que la société pétrolière ne saurait réduire son obligation d'indemnisation des pertes subies à l'occasion de la gestion du mandat à concurrence des bénéfices dégagés par l'exploitation du fonds en location-gérance, dès lors qu'elle ne prouve pas avoir un droit de créance personnel sur ces bénéfices de nature à justifier la compensation ; que l'emploi des bénéfices de location-gérance pour couvrir les pertes subies à l'occasion de la gestion du mandat constitue au contraire un sacrifice financier dont la compagnie doit réparation au pompiste ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé par refus d'application de l'article 2000 du Code civil ;
Mais attendu que, recherchant, dans l'exercice de son pouvoir souverain, la volonté des parties, l'arrêt retient que le contrat passé entre la société X... et la société Esso concerne l'exploitation de la station-service qui constitue une entreprise autonome dont toutes les activités économiques sont complémentaires et indissociables ; que l'article 11 traduit le fait que dans l'exploitation, telle qu'elle a été envisagée par les parties, la vente des carburants et la vente des autres produits se confortent mutuellement et ne se conçoivent pas l'une en dehors de l'autre ; qu'ainsi, les documents comptables ne font aucune distinction entre les frais et charges des différentes activités et établissent les résultats d'exploitation de la société d'une manière globale et que c'est aussi sans distinguer entre les contrats que la société Esso a alloué des subventions d'exploitation dites commissions exceptionnelles d'équilibre ; qu'il en déduit que la convention passée entre les parties réunit les régimes de distribution des carburants et celui des autres produits sur le plan économique, pour qu'ils assurent ensemble, de manière indissociable, les résultats de la société exploitante ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a fait application ni des règles de la confusion ni de celles de la compensation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la SCP Mayon, ès qualités, reproche encore à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en paiement de la prime de fin de gérance, alors, selon le moyen :
1 / que la disposition supplétive s'intègre au contrat légalement dénommé conclu par les parties et prend, par là même, un caractère contractuel ; que, dès lors, l'article 9 du contrat stipulant que la prime de fin de gérance s'imputerait sur les sommes que la société Esso devrait "pour toutes causes non prévues au contrat et, notamment, par application d'un texte législatif ou réglementaire" ne pouvait s'appliquer aux pertes indemnisées sur le fondement de l'article 2000 du Code civil, intégrée au contrat de mandat et revêtant par-là même un caractère contractuel ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1134 du Code civil ;
2 / que la compensation suppose des créances réciproques;
qu'en énonçant que la dette de la société pétrolière au titre de l'indemnisation des pertes devait se compenser avec sa dette au titre de la prime de fin de gérance, à défaut d'affectation particulière de cette dernière, la cour d'appel a violé par fausse application les articles 1789 et suivants du Code civil ;
Mais attendu qu'interprétant souverainement la clause obscure du contrat, l'arrêt, retient que la prime, qui s'analyse comme une recette ayant vocation d'équilibrer les charges d'exploitation, de telle manière qu'elle doit être comptabilisée au même titre que les autres recettes, doit s'imputer sur l'indemnisation des pertes ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la SCP Mayon, ès qualités, reproche enfin à l'arrêt d'avoir fixé la créance de la société Esso au titre du compte "carburants" à la somme de 490 000 francs, alors, selon le moyen :
1 / que le mandataire n'est tenu que de rendre compte des recettes encaissées pour le compte du mandant et que, sauf imprudence de sa part, il a droit à l'indemnisation des pertes subies à l'occasion de la gestion du mandat ; quen statuant comme elle a fait par des motifs inopérants au lieu de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la société Esso ne devait pas supporter les "manquants" dus aux propriétés physiques des carburants et ne pouvait donc réclamer au pompiste que le montant des recettes des carburants débités à la pompe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions combinées des articles 1993 et 2000 du Code civil ;
2 / que la SCP Mayon soutenait dans ses conclusions d'appel que la société pétrolière ne lui avait fourni aucun moyen de contrôler les quantités livrées et produisait un ensemble de documents établissant que, seule, la société Esso connaissait les températures du carburant aux différents stades de son acheminement jusqu'à la station-service ; qu'en imputant à faute au pompiste une absence de réserve faite lors des livraisons, sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient, d'un côté, que l'article 5 du contrat stipule une commission forfaitaire pour compenser les pertes physiques et que les accords professionnels prévoyant un versement annuel de 1,5 pour mille du chiffre d'affaires ont été exécutés et, de l'autre, répondant ainsi aux conclusions prétendument délaissées, que la preuve des manquants allégués incombe à la société Sainte-Claire et qu'elle n'aurait pu être faite qu'au moment de la livraison ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCP Mayon et les époux X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille deux.