AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 22 septembre 1999), que la société M 6 Interaction (société M 6 I), filiale de la société Métropole Télévision dite M 6 (société M 6), est titulaire de la marque "classe mannequin" déposée à l'INPI le 25 janvier 1994 et enregistrée sous le n° 94 503 434, pour désigner en classes 9, 16, 25, 38, 41 et 42, les livres, journaux, périodiques, revues, photographies et plus généralement tous produits d'imprimerie ; qu'elle diffuse sous cette marque une série télévisée destinée aux adolescents sur la chaîne M 6 ;
que par contrat du 10 mai 1994, elle a concédé une licence d'exploitation et de reproduction des droits dérivés de la série pour divers produits à la société Tournon-Egmont (société TE) qui édite une revue mensuelle destinée aux adolescents, intitulée "classe mannequin magazine" et commercialise des produits dérivés ; qu'alléguant que la société Can X..., actuellement dénommée Montreux publications (société Can X...) avait fait paraître courant décembre 1994, dans la revue Union un article de huit pages, illustré de photographies pornographiques, sous le titre "classe mannequin", les sociétés M 6, M 6 I et TE ont assigné cette société en contrefaçon de marque, atteinte aux droits d'auteur de la revue et de la série télévisée, dénigrement et concurrence parasitaire et ont sollicité l'allocation de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Can X... fait grief à l'arrêt de l'avoir déclarée coupable de contrefaçon de marque, alors, selon le moyen :
1 ) que constitue un acte de contrefaçon l'usage d'une marque déposée pour un produit identique à ceux désignés dans l'enregistrement mais non dans son utilisation pour désigner une oeuvre de l'esprit ; qu'à l'opposé de la revue elle-même, qui constitue bien un produit offert à la vente, un article, inséré dans une revue et ne faisant l'objet d'aucune offre de vente autonome, ne constitue pas un produit, mais exclusivement une oeuvre de l'esprit ; qu'en décidant que l'emploi pour intituler cet article, d'une dénomination déposée à titre de marque pour désigner des produits d'imprimerie, constituait une contrefaçon de cette marque, la cour d'appel a violé l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
2 ) que la seule reproduction de la marque ne caractérise par elle-même la contrefaçon que pour des produits identiques ; qu'à l'égard des produits similaires, la contrefaçon n'est constituée qu'en présence d'un risque de confusion ; qu'en se bornant à relever l'emploi de la dénomination déposée pour un "produit semblable" sans préciser s'il était identique ou similaire et si, dans ce dernier cas, il en résultait un risque de confusion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite pour des produits ou services identiques à ceux de l'enregistrement ; que l'arrêt relève par motifs adoptés, que la société Can X... a utilisé à l'identique, la marque déposée par la société M 6 I pour désigner un article illustré de photographies, alors que l'acte de dépôt visait les photographies, journaux, périodiques et tous produits d'imprimerie ; que c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a légalement justifié sa décision, a retenu l'existence d'une contrefaçon de la marque "classe mannequin", peu important que cet article n'ait pas fait l'objet d'une vente autonome dès lors que son intitulé reproduisait la marque déposée pour des produits identiques ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que la société Can X... reproche encore à l'arrêt sa condamnation à paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la société M 6 I du fait de la contrefaçon du titre "classe mannequin", alors, selon le moyen :
1 ) qu'un titre ne peut être protégé par le droit d'auteur qu'à condition de présenter en lui-même un caractère original révélant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en retenant seulement que le titre "classe mannequin" ne "constitue pas le mode normal de désignation de la création à laquelle il s'applique" la cour d'appel qui s'est référée au caractère non descriptif du titre, notion propre au droit des marques et étrangère au droit d'auteur, a statué par un motif impropre à établir l'originalité du titre, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 112-1 et L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
2 ) que la qualité d'auteur appartient à celui sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée ; qu'en accueillant l'action de la société M 6 I fondée sur le droit d'auteur attaché au titre d'un magasine et d'une série télévisée, après avoir elle-même constaté que ce magasine était édité par la société TE et que la série télévisée était diffusée par la société M 6, ce dont il résultait qu'à supposer que le titre "classe mannequin" fût protégeable par le droit d'auteur, le titulaire de ce droit d'auteur n'était pas la société M 6 I, la cour d'appel a violé les articles L. 112-1, L. 112-4 et L. 113-1 du Code de la procédure intellectuelle ;
3 ) qu'en allouant à la société M 6 I une seconde indemnité pour réparer un préjudice déjà indemnisé par les dommages-intérêts alloués au titre de la contrefaçon de marque, pour le même fait ; la cour d'appel a consacré une double réparation du même préjudice en violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'il ne résulte pas des conclusions de la société Can X... que celle-ci ait contesté le droit d'auteur de la société M 6 I sur le titre Classe mannequin ; que dès lors ce moyen, nouveau, mélangé de droit et de fait, est irrecevable ;
Et sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Can X... fait encore reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts aux sociétés M 6, M 6 I et TE, alors, selon le moyen :
1 / qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions par lesquelles elle faisait valoir qu'en raison de la clientèle très spécifique de sa revue, l'article incriminé n'était pas en pratique accessible au public intéressé par la série télévisée et le magazine, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 ) que dès lors que la publication litigieuse n'était pas en elle-même illicite, le seul usage de la dénomination litigieuse, déjà doublement sanctionné au titre de la contrefaçon de marque et de droit d'auteur, ne pouvait donner lieu à une troisième condamnation au profit de la société M 6 I sans violation de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant par motifs propres et adoptés relevé que le recours pour intituler un article illustré de photographies pornographiques à une marque antérieure destinée à désigner une série de films télévisés et une revue adressées à des adolescents, construites "autour du thème de l'innocence et de la jeunesse" était de nature à porter atteinte à cette image en l'avilissant, la cour d'appel, en prononçant une condamnation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, distincte des condamnations précédentes, a, répondant aux conclusions prétendument éludées, pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Montreux Publications aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés M6 Interactions, Métropole Télévision et Tournon Egmont la somme totale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille trois.