AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juin 2000), que saisi par le ministre chargé de l'économie (le ministre), de pratiques mises en oeuvre lors de la passation de marchés par la ville d'Hendaye pour différents aménagements immobiliers, le Conseil de la concurrence, après qu'eût été notifié un grief d'entente anticoncurrentielle entre les sociétés Socae Atlantique (société Socae) et HE Mas, a dit, par décision n° 99-D-62 du 19 octobre 1999, n'y avoir lieu à poursuivre la procédure, faute d'éléments suffisamment probants ; que le ministre a formé un recours contre cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que le ministre fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le moyen :
1 ) que le respect du principe du contradictoire s'imposant dès l'instruction devant le Conseil de la concurrence, la contradiction sur la régularité des procès-verbaux d'enquête doit à tout le moins exister lors du déroulement de la procédure devant le Conseil de la concurrence ;
qu'en retenant que la société HE Mas s'était appropriée les conclusions du rapporteur, bien que n'ayant pas exposé de moyens tendant au rejet des procès-verbaux dans son mémoire en défense, la cour d'appel a violé l'article L. 463-2, alinéa 3, du Code de commerce (ex article 21, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986), ensemble le principe de la contradiction ;
2 ) que le respect du principe du contradictoire s'imposant dès l'instruction devant le Conseil de la concurrence, la contradiction sur la régularité des procès-verbaux d'enquête doit à tout le moins exister lors du déroulement de la procédure devant le Conseil de la concurrence ;
que s'agissant du procès-verbal de M. X... du 4 juillet 1994, la société Socae ne l'avait contesté ni dans ses écritures sur la notification des griefs, ni dans celles en réponse aux conclusions du rapporteur, lequel n'en avait pas davantage contesté la régularité ; qu'en retenant ainsi un moyen relevé d'office par le Conseil de la concurrence, sans qu'il ait été possible au commissaire du gouvernement d'en contester le bien-fondé, la cour d'appel a violé l'article L. 463-2, alinéa 3, du Code de commerce (ex article 21, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986), ensemble le principe de la contradiction ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que le rapporteur avait, dans son rapport, relevé qu'il convenait d'écarter de la procédure le procès-verbal de déclaration de M. Y... en date du 10 août 1994, et que dans son mémoire en réplique au rapport, la société HE Mas approuvait la conclusion du rapporteur en sollicitant à son tour l'abandon pur et simple du grief et sa mise hors de cause, la cour d'appel, qui a souverainement interprété les écritures de la société HE Mas dont elle a déduit que cette société s'appropriait les conclusions du rapporteur, a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, d'autre part, qu'ayant retenu que la société Socae indique, sans être contredite, avoir, connaissance prise des observations du commissaire du gouvernement, relevé oralement en séance l'irrégularité de l'ensemble des procès-verbaux concernés, ce qui englobe nécessairement celui du 4 juillet 1994, la cour d'appel qui en a déduit que la question de l'irrégularité de ce procès-verbal avait été soumise à la contradiction, a statué à bon droit ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que le ministre fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 ) que la nullité d'un acte, lorsqu'elle ne peut être relevée d'office, ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité alléguée ; qu'en l'espèce, les procès-verbaux de M. X... du 4 juillet 1994 et de M. Y... du 10 août 1994 n'ont été contestés ni par la société HE Mas, qui dans ses écritures n'en contestait aucun, ni par la société Socae qui avait limité sa contestation aux procès-verbaux des 28 et 29 juin 1994 établis dans ses locaux ; qu'en validant la décision du Conseil de la concurrence qui avait écarté d'office ces procès-verbaux, la cour d'appel a violé les articles 112 et 114 du nouveau Code de procédure civile, L. 463-1 du Code de commerce (ex article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ;
2 ) que si le principe de loyauté s'impose aux agents enquêteurs, la preuve qu'il n'a pas été satisfait à cette exigence incombe aux demandeurs en nullité ; que l'absence de mention dans le procès-verbal que l'objet et la nature de l'enquête ont été préalablement portés à la connaissance de la personne entendue ne suffit pas à l'établissement de cette preuve, l'article L. 450-3 du Code de commerce (ex-article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) ne faisant pas obligation aux enquêteurs de délimiter le marché ou les marchés au sens de l'article L. 420-1 du même Code (ex article 7 de l'ordonnance précitée) ; qu'en retenant qu'il appartient à l'administration de démontrer qu'elle a rempli cette obligation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil ;
3 ) que les déclarations consignées dans le procès-verbal peuvent suffire à établir par elles-mêmes que le déclarant n'ignorait pas qu'il était entendu sur des faits susceptibles de révéler des infractions économiques ; qu'en exigeant que l'indication de l'objet et la nature de l'enquête soit préalable aux déclarations de la personne entendue, la cour d'appel a violé les articles L. 450-2 du Code de commerce (ex article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) et 31 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ;
4 ) que la preuve du respect de l'obligation de loyauté est satisfaite par les mentions que "les enquêteurs sont habilités à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et qu'ils agissent dans les conditions prévues par l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986" ; qu'en retenant que ces mentions ne permettent en aucune façon d'établir que les personnes ont été prévenues que leurs déclarations s'inscrivaient dans la recherche d'éventuelles pratiques anti-concurrentielles, et en écartant sans analyse et par un motif général les éléments invoqués en l'espèce par le ministre chargé de l'économie, établissant que les personnes entendues avaient connaissance que l'enquête portait notamment sur la construction de locaux publics relatifs à l'aménagement du port de plaisance de Sokoburu, la cour d'appel a violé les articles L. 450-2 du Code de commerce (ex-article 46 de l'ordonnance du 1er décembre 1986) et 31 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 ;
Mais attendu, d'une part, que contrairement aux énonciations du moyen, les dispositions du nouveau Code de procédure civile ne s'appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence ; qu'il suit de là qu'en retenant que les déclarations recueillies dans des conditions déloyales doivent être écartées sans que la partie intéressée ait à démontrer l'existence d'un préjudice particulier, la cour d'appel a statué à bon droit ;
Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a retenu à bon droit que lorsque l'indication expresse de ce que l'objet de l'enquête a été porté à la connaissance des personnes entendues ne figure pas au procès-verbal, il appartient à l'administration de démontrer qu'elle a néanmoins rempli cette obligation, cette preuve pouvant notamment ressortir des énonciations du procès-verbal ;
Attendu, de troisième part, qu'en retenant que l'indication de l'objet de l'enquête doit être préalable aux déclarations, et dès lors qu'à défaut d'indication expresse de cet objet ou de la mention selon laquelle il a été porté à la connaissance de la personne entendue, l'indication de cet objet peut seulement se déduire du contenu de l'acte ou d'un acte qui serait antérieur à l'audition, la cour d'appel, qui répondait au moyen du ministre selon lequel la preuve de l'indication de cet objet pouvait résulter d'éléments extrinsèques, en se prévalant d'éléments postérieurs à cette audition, a statué à bon droit ;
Et attendu, enfin, que l'arrêt constate que les procès-verbaux écartés par le Conseil de la concurrence n'indiquent ni l'objet de l'enquête, ni la référence au titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; que l'arrêt relève que la seule mention que "les enquêteurs sont habilités à procéder aux enquêtes nécessaires à l'application de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence et qu'ils agissent dans les conditions prévues par l'article 47 de l'ordonnance du 1er décembre 1986" ne permet en aucune façon d'établir que les personnes sont prévenues que leurs déclarations s'inscrivaient dans la recherche d'éventuelles pratiques anti-concurrentielles ; que l'arrêt estime que la preuve de cette indication ne résulte pas plus d'une lettre adressée le 17 mars 1998 au rapporteur ;
qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu décider que la preuve que l'objet de l'enquête avait été porté à la connaissance des personnes entendues n'était pas rapportée ;
Qu'il suit de là que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches :
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie à payer à la société HE Mas la somme totale de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille trois.