AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° B 02-60.016 et X 01-60.882 ;
Attendu que la société ED a saisi le tribunal d'instance aux fins de contestation des désignations, notifiées les 6 septembre 2001 et 8 novembre 2001, de Mme X..., responsable des ressources humaines au sein de la société ED, en qualité de déléguée syndicale et de représentante syndicale CFE-CGC au comité d'établissement de l'établissement Rhône-Alpes ;
Sur les moyens réunis :
Attendu que la société ED fait grief aux jugements attaqués (tribunal d'instance de Vienne, 12 octobre 2001 et 20 décembre 2001) de l'avoir déboutée de ses contestations, alors, selon les moyens :
1 / que la désignation d'un salarié à des fonctions syndicales est irrégulière dès lors qu'elle est seulement destinée à assurer sa protection personnelle contre le risque d'un licenciement ; que l'antériorité de la date d'envoi de la convocation du salarié à l'entretien préalable (ou même la concomitance avec la notification de la désignation) constitue un élément déterminant d'appréciation de la légitimité de la désignation intervenue imposant au salarié d'établir que celle-ci répond bien au souci d'assurer la défense de l'intérêt collectif des salariés ; qu'en l'espèce, pour conclure à l'absence de caractère frauduleux de la désignation, le tribunal d'instance s'est néanmoins borné à constater que l'employeur ne rapportait pas la preuve du déroulement, le 3 septembre 2001, d'un entretien au cours duquel la salariée aurait été informée des intentions de la société à son égard ; qu'en statuant ainsi sans tenir aucun compte de l'envoi dès le 4 septembre 2001 d'une lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement et sans
rechercher au vu du rapprochement avec la date de notification de la désignation de Mme X... à l'employeur (6 septembre 2001), si la salariée n'avait pas cherché à s'assurer une protection personnelle contre la menace de licenciement, le tribunal d'instance n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 412-14 et L. 433-1 du Code du travail ;
2 / que le juge d'instance chargé de se prononcer sur la validité d'une désignation arguée de fraude doit prendre en considération l'ensemble des circonstances dans lesquelles est intervenue ladite désignation ; qu'en l'espèce, la société invoquait dans ses conclusions le caractère tout à fait inopiné de la désignation effectuée dès le retour de congé de maternité de Mme X... après 8 mois d'absence et alors que cette salariée, qui ne s'était jamais préoccupée auparavant de la défense des intérêts collectifs avait la qualité de "responsable régional", fonction dont l'exercice ne la prédisposait nullement à l'accomplissement d'une mission syndicale ; qu'en s'abstenant de tenir compte de ces circonstances de nature à établir que la soudaine désignation de Mme X..., concomitante au surplus à l'engagement d'une procédure de licenciement à son encontre, était uniquement destinée à assurer sa protection personnelle contre la menace de rupture de son contrat de travail, le jugement n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 412-14 et L. 433-1 du Code du travail ;
3 / que saisi d'une contestation de la nouvelle désignation de Mme X... en qualité de déléguée syndicale de l'établissement Rhône-Alpes en date du 8 novembre 2001, le juge d'instance devait examiner si les conditions dans lesquelles était intervenue cette désignation spécifique étaient ou non de nature à lui conférer un caractère frauduleux ; qu'à cet égard, la société ED faisait valoir dans ses conclusions que cette deuxième désignation, postérieure à l'engagement de la procédure de licenciement, était intervenue dans un contexte conflictuel entre les parties dès lors que le jugement ayant validé la précédente désignation de la salariée comme représentante syndicale faisait l'objet d'un pourvoi pendant devant la Cour de Cassation et que le refus d'autorisation de licencier de l'inspecteur du Travail faisait l'objet d'un recours hiérarchique de la société ; que le Tribunal devait ainsi rechercher, comme l'y invitait la société, si la deuxième désignation de Mme X... par le syndicat CFE-CGC n'avait pas pour seul but de parer à l'éventuelle annulation du premier mandat ou à celui de faire obstacle à la procédure administrative d'autorisation de licenciement toujours en cours ; qu'en s'abstenant de tenir compte des circonstances propres au présent litige, le juge d'instance n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 412-14 et L. 412-18 du Code du travail ;
4 / que compte tenu du lien ainsi établi entre les deux instances, l'annulation à intervenir du jugement du 12 octobre 2001 faisant l'objet d'un pourvoi de la société ED ne pourra, en application de l'article 625 du nouveau Code de procédure civile, qu'entraîner la cassation par voie de conséquence du jugement attaqué par le présent pourvoi ;
5 / que le juge d'instance chargé de se prononcer sur la validité d'une désignation arguée de fraude doit prendre en considération l'ensemble des circonstances dans lesquelles elle est intervenue ; que le jugement attaqué s'est fondé en l'espèce sur l'antériorité de l'engagement syndical résultant de la première désignation de Mme X... en date du 4 septembre 2001, sans tenir aucun compte des conclusions de la société ED faisant valoir dans le cadre de la présente contestation qu'en l'état des documents produits par la salariée et la CFE-CGC à titre de preuve de l'adhésion au syndicat dès le 7 août 2001, la date réelle de cette adhésion restait totalement incertaine (incohérence entre les dates de cotisations et d'identification, correction de la date de cotisation mentionnée sur le chèque ...) et qu'il résultait en outre d'une attestation de Mme Y..., déléguée syndicale centrale FO, que Mme X..., censée être inscrite au syndicat CFE-CGC depuis le début du mois d'août 2001, avait cherché, le 3 septembre 2001 (veille de l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement), à obtenir sa désignation en qualité de déléguée syndicale FO ; qu'en s'abstenant de prendre en compte ces éléments de nature à remettre en cause l'antériorité de l'engagement syndical de la salariée par rapport à la mise en oeuvre de la procédure de licenciement et à établir en conséquence le caractère frauduleux des désignations intervenues, le jugement attaqué n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 412-14 et L. 412-18 du Code du travail ;
6 / que les conclusions précitées sollicitaient une mesure d'enquête et de production de pièces portant date certaine quant à l'engagement syndical de la salariée au syndicat CFE-CGC et à défaut qu'il soit tiré toutes conséquences du refus du syndicat de donne suite aux sommations de communiquer lesdites pièces délivrées le 23 novembre 2001 ; qu'en affirmant néanmoins que "rien ne démontre" que la désignation de Mme X... en qualité de déléguée syndicale ne serait pas fondée sur une démarche continue de défense des intérêts collectifs "engagée avant que celle-ci ait pris connaissance de la volonté de son employeur de la licencier", le juge d'instance qui a totalement négligé de répondre aux conclusions précitées de la société sollicitant une instruction complémentaire sur ce point précis, a en tout état de cause violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
7 / que ne peut être désigné en qualité de délégué syndical ou de représentant syndical le salarié qui exerce des fonctions permettant de l'assimiler au chef d'entreprise ; qu'en l'espèce, la société ED faisait valoir que Mme X..., en sa qualité de responsable des ressources humaines et de membre du comité de direction régional, était amenée à exercer pleinement les prérogatives de l'employeur notamment en matière d'embauche et de gestion du personnel et produisait à cet égard les exemplaires de contrats de travail revêtus de la signature de cette salariée en qualité de responsable des ressources humaines ; qu'en se bornant à retenir au vu du descriptif du poste, qu'il résultait de ce document contractuel que la salariée n'était investie que de fonctions administratives et non décisionnelles, sans rechercher si les conditions d'exercice en fait de ses fonctions par Mme X... n'établissaient pas qu'elle était investie de prérogatives de nature à entraîner son assimilation au chef d'entreprise, incompatible comme telle avec sa désignation à des fonctions syndicales, le tribunal d'instance n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles L. 412-14, L. 433-1 et L. 433-5 du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que ces griefs ne tendent qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de l'existence de la fraude par les juges du fond qui ne relève pas du contrôle de la Cour de Cassation ;
Attendu, ensuite, que le tribunal d'instance, qui a fait ressortir que la salariée n'avait aucune délégation particulière d'autorité, établie par écrit, permettant de l'assimiler au chef d'entreprise, a exactement décidé que l'intéressée, quelle que soit sa fonction, ne pouvait être exclue du droit d'exercer des fonctions de représentant syndical ; que les moyens ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la Fédération nationale agroalimentaire CFE-CGC et de Mme X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille trois.