AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-cinq novembre deux mille trois, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU, la société civile professionnelle BORE, XAVIER et BORE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MOUTON ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Christophe,
- LE Y... Armand,
- Z... Christophe,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, en date du 2 juillet 2003, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'escroquerie, abus de confiance, faux et usage, complicité, extorsion, a rejeté leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 25 septembre 2003, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée en défense :
Attendu que la capacité du greffier ayant reçu la déclaration de pourvoi étant présumée, le pourvoi est recevable ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 63, 122, 123, 125, 126, 154 et 591 du Code de procédure pénale, 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande en annulation des mises en examen pour privation arbitraire de liberté ;
"aux motifs qu'Armand Le Y... a été placé en garde à vue le 3 avril 2002 à 8 heures 50 et, après prolongation, le magistrat instructeur a ordonné le 4 avril à 20 heures 30, la levée de la mesure ainsi que sa conduite devant lui, qui a été notifiée à 20 heures 50 à l'intéressé (D 298) et que le magistrat instructeur a procédé à son interrogatoire de première comparution le 5 avril 2002 à 15 heures 22 ; que Jean-Christophe X... a été placé en garde à vue le 3 avril 2002 à 18 heures 20 et, la mesure ayant été prolongée, le magistrat instructeur en a ordonné le 4 avril à 20 heures 20, la levée ; que la notification de la fin de la garde à vue a été effectuée le 4 avril 2002 à 20 heures 45 (D 281) et que le magistrat instructeur a procédé à son interrogatoire de première comparution le 5 avril 2002 à 16 heures 29 ; que Christophe Z... a été placé en garde à vue le 3 avril 2002 à 9 heures et, après prolongation de la mesure, le magistrat instructeur a ordonné le 4 avril à 20 heures, la levée de la garde à vue ainsi que la présentation de l'intéressé ; que la fin de la garde à vue a été notifiée à Christophe Z... le 4 avril 2002 (D 298) et que le magistrat instructeur a procédé à son interrogatoire de première comparution le 5 avril 2002 à 17 heures 18 ; qu'aux termes de l'article 81 du code de procédure pénale, le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il
juge utiles à la manifestation de la vérité , et si le juge est dans l'impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d'instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d'information nécessaires ; qu'en conséquence le magistrat a tout pouvoir de contrôle et de décision s'agissant de l'exécution d'une commission rogatoire et notamment sur les suites à donner à une garde à vue dont il a prescrit la levée ;
que les décisions de ce magistrat de se faire présenter Christophe Z..., Armand Le Y... et Jean-Christophe X... à l'issue de leur garde à vue sont donc régulières ; que sur le délai de présentation au magistrat instructeur, que Christophe Z..., Armand Le Y... et Jean-Christophe X... ont comparu dans les délais respectifs de 20 heures 33, 18 heures 32 et 19 heures 44 après la levée de leur garde à vue ; que compte tenu des heures de levée de cette mesure, comprises entre 20 heures 45 et 20 heures 50, la durée de l'acheminement au sein de l'agglomération parisienne impliquait une heure d'arrivée au palais de justice tardive et hors les heures ouvrables, qui entraînait en outre, en raison de l'écoulement de la nuit, le respect nécessaire d'un temps de repos pour chacun des intéressés ; que les délais précités sont également compatibles avec le temps de la mise à disposition du magistrat instructeur de la procédure concernant trois personnes ainsi qu'avec son temps d'étude outre la prise de connaissance du dossier par les conseils de chacun des requérants et leurs entretiens en vue de la préparation de la défense ; que les intéressés n'ont donc pu, matériellement, être entendus par le magistrat instructeur dés la levée de leur garde à vue ; qu'en outre, la garde à vue de chacun des requérants n'a pas été prolongée au-delà de sa durée légale et à l'issue de cette mesure, chacun d'eux a été mis à disposition du magistrat ; qu'enfin il n'est pas contesté que le magistrat instructeur a été informé sans délai, du début de la garde à vue de chacun des intéressés et en a assuré le contrôle en sorte que le déroulement de ces gardes à vue conformément aux dispositions de l'article 154 du Code de procédure pénale, qui ne sont pas contraires à celles de l'article 5 1 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme est régulière et il n'y a pas lieu à annulation de la mise en examen de Christophe Z..., Armand Le Y... et Jean-Christophe X... ;
"1 - alors que la durée maximum de la garde à vue ne peut excéder 24 heures renouvelable une fois, à l'issue de laquelle le gardé à vue doit être remis en liberté sauf à ce que le juge d'instruction ne prenne à son encontre une mesure de détention ou ne lui délivre un mandat d'amener afin de statuer sur sa détention ;
qu'en l'espèce, Christophe Z..., Armand Le Y... et Jean- Christophe X... se sont vus notifiés leur placement en garde à vue le 3 avril 2002, la prolongation de cette mesure, puis la fin de leur garde à vue le 4 avril 2002 entre 20 heures 45 et 20 heures 50 ;
qu'ils n'ont été déférés devant le juge d'instruction, respectivement, que 20 heures 33, 18 heures 32 et 19 heures 44 après la levée de leur garde à vue ; qu'entre la levée de leur garde à vue et leur comparution devant le magistrat instructeur ils ont été arbitrairement détenus, hors de tout cadre légal, sans que la procédure ne permette d'ailleurs de savoir à quel endroit et dans quelles conditions ; qu'en jugeant, par des motifs inopérants, que les délais qui se sont écoulés entre la levée de la garde à vue des mis en examen et leur comparution devant le magistrat instructeur étaient justifiés par diverses nécessités matérielles, la chambre de l'instruction a violé les articles 122 et 154 du Code de procédure pénale ;
"2 - alors que, conformément aux dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme, personne ne peut être privée de sa liberté hors des voies légales, c'est-à-dire sans fondement textuel et toute personne gardée à vue doit être aussitôt traduite devant un juge ; qu'en considérant comme régulières les conditions dans lesquelles les mis en examen ont été détenus entre la levée de leur garde à vue et leur comparution devant le magistrat instructeur quand ils ont été détenus, dans un endroit et des conditions tenus secrets, sans qu'aucune mesure de détention n'ait été prise à leur encontre, la chambre de l'instruction a manifestement méconnu les dispositions des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à l'issue de leur garde à vue, prise pour les besoins de l'exécution d'une commission rogatoire, les demandeurs ont été, sur les instructions de ce magistrat, conduits devant le juge d'instruction qui a procédé à leur interrogatoire de première comparution ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité présenté par Jean-Christophe X..., Armand Le Y... et Christophe Z... selon lequel, en violation de l'article 5.3 de la Convention européenne des droits de l'homme, ils avaient été illégalement détenus durant une période d'environ vingt heures séparant la fin de la mesure de garde à vue de leur présentation au juge d'instruction, la chambre de l'instruction prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, les juges ont justifié leur décision ;
Que, d'une part, l'ordre donné par le juge d'instruction de faire déférer une personne à l'issue de sa garde à vue justifie la privation de liberté pendant le temps strictement nécessaire à sa présentation ;
Que, d'autre part, l'arrêt s'est suffisamment expliqué sur le délai séparant la fin de la garde à vue de l'audition par le juge ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 57 et 96, 802, 591 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande en annulation des perquisitions et de l'audition de Francis A... ;
"aux motifs que le 8 juillet 1999, les enquêteurs, agissant sur commission rogatoire, se sont rendus 75 avenue de la grande armée à Paris 16ème, siège de la SA Automobiles Peugeot ;
que Patrice de B..., responsable du service juridique, a mis les enquêteurs en présence de Jean-Martin C..., président du conseil d'administration de la société, qui, pour des raisons professionnelles, a refusé d'assister à la perquisition ; que les enquêteurs ont alors désigné deux témoins aux fins d'assister à l'opération ; qu'en la présence constante des témoins, les enquêteurs ont procédé à la perquisition et à des saisies dans les bureaux de MM. de B..., D..., E... et F... ainsi que dans deux bureaux à usage de rangement et de salle d'archives ; que les témoins ont régulièrement signé le procès- verbal de saisie d'inventaire des scellés ainsi que la fiche des scellés constituée en leur présence ; que sur la recevabilité des demandes en annulation, s'agissant d'actes concernant des tiers, qu'il résulte des articles 171 et 802 du Code de procédure pénale que celui qui invoque l'absence ou l'irrégularité d'une formalité protectrice des droits des parties, n'a qualité pour le faire que si cette irrégularité le concerne ; que ces dispositions ne sont pas contraires à celles de l'article 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme relatives à l'accès à un tribunal à supposer ces dispositions applicables à ce stade de la procédure ; qu'en effet, le contrôle de la régularité de la procédure est assuré par la chambre de l'instruction saisie sur le fondement de l'article 173 du code précité, sans préjudice du droit qui lui appartient de relever d'office tous moyens pris de la nullité de la procédure ;
"1 - alors que les parties sont recevables à solliciter l'annulation de pièces de la procédure, y compris lorsqu'il s'agit d'actes concernant d'autres personnes, dès lors que la nullité de l'acte porte atteinte à leurs intérêts ; qu'en déclarant MM. X..., Le Y... et Z... irrecevables en leurs demandes d'annulation des auditions et perquisitions effectuées parce qu'il s'agirait d'actes concernant des tiers, quand les actes litigieux portaient atteinte à leurs intérêts, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 802 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"2 - alors que la perquisition d'un bureau personnel, assimilé à un domicile, doit être effectuée en présence de la personne chez laquelle la perquisition a lieu ; que ce n'est que dans l'hypothèse où celle-ci est absente que l'officier de police judiciaire, après s'en être assuré, pourra désigner deux témoins pour y assister ; qu'en jugeant que la perquisition effectuée dans le bureau d'Armand Le Y... était régulière, quand il est établi que la perquisition a eu lieu en présence de deux témoins sans que les officiers de police judiciaire ne se soient préalablement assurés qu'Armand Le Y... ne pouvait y assister personnellement, la chambre de l'instruction a violé les articles 57 et 96 du nouveau Code de procédure pénale ;
Sur le deuxième moyen pris en sa première branche :
Attendu que, pour refuser d'annuler l'audition d'un concessionnaire et les perquisitions réalisées dans les bureaux de collègues des personnes mises en examen ainsi que dans des salles d'archives, la chambre de l'instruction prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, les juges ont justifié leur décision dès lors que, d'une part, le requérant ne saurait invoquer la nullité d'un acte auquel il est étranger et qui n'a pu en conséquence porter atteinte à ses intérêts et que, d'autre part, la chambre de l'instruction qui assure le contrôle de la régularité de la procédure peut relever d'office tout moyen de nullité ;
Qu'ainsi le grief n'est pas encouru ;
Sur le deuxième moyen pris en sa seconde branche :
Attendu que, pour refuser d'annuler la perquisition réalisée dans le bureau d'Armand Le Y..., la chambre de l'instruction retient que celui-ci ne prétend pas avoir été présent lors des opérations qui ont été régulièrement conduites en présence de deux témoins ;
Attendu qu'en cet état, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Qu'en effet, à l'exception de celles qui ont lieu dans le bureau personnel du dirigeant social, et auxquelles ce dernier, sauf application de l'article 57, alinéa 2, du Code de procédure pénale, doit nécessairement assister, les perquisitions et saisies dans les locaux d'une société peuvent être pratiquées en la seule présence d'une personne se comportant comme le représentant qualifié de cette société ou, le cas échéant, de deux témoins ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 105, 153, 154 et 591 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 14-3-g du Pacte international sur les droits civils et politiques ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande en annulation des auditions de MM. X..., Le Y... et Z... durant la garde à vue ;
"aux motifs que placés en garde à vue le 3 avril 2002, les requérants ont été entendus par les enquêteurs les 3 et 4 avril, après avoir prêté serment ; qu'il résulte des dispositions des articles 105, 113-1, 153 et 154 du Code de procédure pénale, non contraire à la convention européenne des droits de l'homme, qu'une personne placée en garde à vue sur commission rogatoire du juge d'instruction, est entendu par l'officier de police judiciaire après avoir prêté le serment prévu par la loi, dès lors qu'il n'existe pas à son encontre des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ou qu'elle n'est pas nommément visée par un réquisitoire introductif ; qu'en outre, la notification des droits du gardé à vue, dont notamment le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs, ayant été régulièrement faite aux requérants préalablement à toute audition, la prestation de serment ne constituait pas une obligation de répondre aux questions mais seulement celle de dire la vérité s'ils choisissaient de s'exprimer ;
que ces dispositions ne sont pas contraires à celle de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, à supposer ces dernières applicables à ce stade de la procédure ; qu''il s'ensuit que l'audition des requérants sous le régime de la garde à vue sont régulières ;
"1 - alors que les personnes à l'égard desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent être entendues comme témoins ; que dès lors la formalité de la prestation de serment à laquelle sont soumis les seuls témoins, ne peut leur être imposée; qu'en jugeant que l'obligation faite à MM. X..., Le Y... et Z... de prêter serment pendant leur garde à vue n'était pas irrégulière, quand ils étaient soupçonnées d'avoir participé à une infraction et placés en garde à vue, de sorte qu'ils n'étaient pas de simples témoins, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions des articles 105, 153 et 154 du Code de procédure pénale ;
"2 - alors que nul ne peut être contraint à témoigner contre soi-même et à contribuer à sa propre incrimination ; qu'en l'espèce, les officiers de police judiciaire ont, préalablement à leur audition au cours de la garde à vue, demandé à MM. X..., Le Y... et Z... de prêter "serment de dire toute la vérité, rien que la vérité" ; qu'une telle obligation, qui interdit aux gardés à vue de garder le silence, est incompatible avec le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination reconnu par le pacte sur les droits civils et politiques ; qu'en jugeant néanmoins que l'obligation faite aux exposants de prêter serment préalablement à leur audition par les services de police était régulière, la chambre de l'instruction a violé les dispositions supranationales visées au moyen" ;
Attendu que, pour refuser d'annuler les auditions des demandeurs, réalisées sous serment pendant leur garde à vue, la chambre de l'instruction prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état et dés lors qu'il résulte des dispositions combinées des articles 105, 113-1, 153 et 154 du Code de procédure pénale, qui ne sont pas contraires à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'une personne placée en garde à vue sur commission rogatoire du juge d'instruction est entendue par l'officier de police judiciaire après avoir prêté le serment prévu par la loi, dès lors qu'il n'existe pas à son encontre des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ou qu'elle n'est pas nommément visée par un réquisitoire introductif ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en ce qu'il invoque l'article 14.3 g du Pacte international sur les droits civils et politiques, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DECLARE IRRECEVABLE la demande de Roland G... au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly, Mmes Chanet, Anzani, MM. Beyer, Pometan, Mme Palisse conseillers de la chambre, M. Ponsot, Mme Ménotti, M. Chaumont conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Mouton ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;