AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2000), que M. X...
Y..., son épouse Mme Z... et leurs enfants ont constitué en 1966 une société familiale "Graphic Maillot" spécialisée dans la photogravure ; que l'un d'entre eux, M. A...
Y..., titulaire de la majorité du capital et qui exerçait les fonctions de directeur général, a cédé le 5 mars 1990, muni d'un mandat général des actionnaires, l'intégralité du capital à la société Wace Group PLC ; que Mme B... et M. C...
Y... ainsi que Mme Z... ont assigné M. A...
Y... en réparation du préjudice par eux subi du fait de la cession de leurs actions ; que la cour d'appel a rejeté leur demande en considérant que M. C... et Mme B...
Y... ainsi que Mme Z... avaient "accepté d'être les porteurs d'actions pour le compte de leur père et mari" et ne pouvaient "se faire reconnaître un droit de propriété sur ce qui ne leur appartenait pas" ;
Sur le premier moyen, pris en ses sept branches :
Attendu que M. C...
Y..., Mme B...
Y... et Mme Z... font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande, alors, selon le moyen :
1 ) que les valeurs mobilières peuvent faire l'objet d'un don manuel par un simple virement du donateur au nom du donataire ; que l'inscription des actions nominatives sur le registre des transferts de la société constitue au bénéfice du titulaire une présomption de propriété ;
que le possesseur qui prétend avoir reçu une chose en don manuel bénéficiant d'une présomption, il appartient à celui qui revendique la chose de rapporter la preuve de l'absence d'un tel don, en démontrant notamment que le titre du possesseur résulte d'un autre contrat ; que cette preuve doit être rapportée par écrit lorsque l'objet du contrat est supérieur à 5 000 francs ; qu'en l'espèce, il est constant que M. X...
Y... a, par dons manuels intervenus début 1982, transmis à ses enfants et à son épouse 4 210 des 5 200 actions de la SA Graphic Maillot ; que ces changements de propriété ont été régulièrement portés sur le registre des mouvements de titres de cette société au mois de novembre 1994 ; que néanmoins M. A...
Y... a prétendu que les actions reçues par ses frères et soeur et par sa mère, ne leur avaient pas été données par leur père et mari et que celui-ci en était resté en réalité propriétaire ; que pour accueillir cette prétention et considérer que C... et B...
Y... ainsi que leur mère Yvonne Y..., avaient "accepté d'être les porteurs d'actions pour le compte de leur père et mari", si bien qu'ils ne pouvaient "se faire reconnaître un droit de propriété sur ce qui ne leur appartenait pas", la cour d'appel s'est appuyée sur une attestation de M. X...
Y... et sur celle d'un ami de A...
Y..., ainsi que sur des présomptions ; qu'en statuant ainsi, sans avoir recherché l'existence d'un écrit démontrant que les consorts Y... étaient simples détenteurs des actions litigieuses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 894, 931 et suivants et 2279 du Code civil ;
2 ) que le possesseur d'actions nominatives inscrites au registre des transferts de la société qui affirme les avoir reçues par don manuel est présumé en être propriétaire ; que si la preuve de l'absence d'intention libérale peut être rapportée, elle ne peut l'être que par des éléments de preuve concomitants et non postérieurs à ladite donation ;
qu'en l'espèce il est constant que M. X...
Y... a, par dons manuels intervenus début 1982, transmis à ses enfants et à son épouse 4 210 des 5 200 actions de la SA Graphic Maillot ; que ces changements de propriété ont été régulièrement portés sur le registre des mouvements de titres de cette société au mois de novembre 1994 ; que néanmoins M. A...
Y... a prétendu que les actions reçues par ses frères et soeur et par sa mère, ne leur avaient pas été données par leur père et mari et que celui-ci en était resté en réalité propriétaire ; que pour accueillir cette prétention et considérer que C... et B...
Y... ainsi que leur mère Yvonne Y..., avaient "accepté d'être les porteurs d'actions pour le compte de leur père et mari", si bien qu'ils ne pouvaient "se faire reconnaître un droit de propriété sur ce qui ne leur appartenait pas", la cour d'appel s'est appuyée sur une attestation de M. X...
Y... - datée du 3 juin 1987 et sur celle d'un ami de A...
Y..., délivrée le 16 février 1998, ainsi que sur des présomptions tirées d'éléments postérieurs de plusieurs années à la donation de 1982 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 93l et suivants du Code civil ;
3 ) que comme tout mandat, la convention de prête nom doit nécessairement être prouvée par écrit ou à défaut, par l'aveu judiciaire ou le serment décisoire ; qu'il ne peut être fait appel aux témoignages ou présomptions que lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit émanant de celui contre lequel la demande est formée et qui rend vraisemblable le fait allégué ; qu'en l'espèce, M. X...
Y... a, par dons manuels intervenus début 1982, transmis à ses enfants et à son épouse la majeure partie (plus de 80 % du capital) des actions de la SA Graphic Maillot lui appartenant ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que ces transferts de propriété ont été régulièrement portés sur le registre des ordres de mouvement de la société, au mois de novembre 1994 ; que néanmoins, A...
Y... a prétendu que les actions reçues par ses frères et soeur et par sa mère, ne leur avaient pas été données par leur père et mari et que celui-ci en était resté en réalité propriétaire ; que pour accueillir cette prétention et considérer que C... et B...
Y... ainsi que leur mère Yvonne Y..., avaient "accepté d'être les porteurs d'actions pour le compte de leur père et mari", si bien qu'ils ne pouvaient "se faire reconnaître un droit de propriété sur ce qui ne leur appartenait pas", la cour d'appel s'est appuyée sur une attestation de M. X...
Y... et sur celle d'un ami de A...
Y..., ainsi que sur des présomptions ; qu'en statuant ainsi, alors que, faute de commencement de preuve par écrit émanant des consorts Y..., les témoignages et présomptions ne pouvaient en l'espèce faire preuve de la prétendue convention de prête nom que M. X...
Y... aurait passée avec son épouse et ses enfants, la cour d'appel a violé les articles 1985, 1347 et 1347 du Code civil ;
4 ) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'après avoir considéré que les consorts Y... ne pouvaient faire reconnaître un droit de propriété sur les actions données par leur mari et père, M. X...
Y..., en 1982, la cour d'appel a relevé que ceux-là avaient reçu du groupe Wace le versement de diverses sommes en échange de leurs actions, ce qui implique nécessairement qu'ils en étaient propriétaires ; qu'en statuant ainsi par des motifs contradictoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
5 ) que la vente n'est parfaite que lorsqu'il y a accord sur la chose et sur le prix qui doit être déterminé et désigné par les parties ; que la signature par le cédant d'un ordre de mouvement de titres n'établit pas l'existence du prix de la cession ; qu'une vente nulle pour défaut de prix n'est susceptible ni de confirmation, ni de ratification ; qu'en l'espèce, il est constant que les consorts Y... n'ont signé aucun acte par lequel ils cédaient leurs actions à leur frère, A...
Y... ; qu'à la demande de M X...
Y..., leur père, pour éviter une prise de contrôle étrangère à la famille, ils se sont bornés à signer à son profit un ordre de mouvement des actions que celui-ci leur avait précédemment donné, sans aucune indication du prix de cession ; que, d'ailleurs, aucun prix de cession ne leur a été versé ; qu'en considérant cependant que B... et C...
Y... avaient valablement signé les ordres de mouvement au profit de leur père, celui ci signant ensuite un ordre au profit de A...
Y..., la cour d'appel a violé l'article 1591 du Code civil ;
6 ) que dans leurs conclusions d'appel, les appelants faisaient valoir que le document présenté comme constituant "la levée d'option du 30 juin 1987" et prétendument signé par ceux-ci était sans valeur puisque non daté et sans aucune indication du nombre de titres cédés ou du prix de cession ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire des écritures d'appel, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
7 ) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'après avoir rappelé que M. X...
Y... s'était engagé, au nom de ses enfants à ce que ceux-ci cèdent à M. A...
Y... les actions de la société Graphic Maillot, la cour d'appel a relevé d'une part que B... et C...
Y... sans discuter l'engagement de porte fort par leur mère pour leur compte ont signé, comme leur mère et les autres associés, la levée d'option du 30 juin 1987 au profit de M. A...
Y... et d'autre part que C... et B...
Y... avaient signé les ordres de mouvement de titres, non pas au profit de M. A...
Y... mais au profit de leur père, X...
Y..., qu'en statuant ainsi par des motifs contradictoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la preuve de l'existence ou de l'absence du don manuel échappe au formalisme de l'article 931 du Code civil et peut être rapportée par tous moyens; que l'arrêt retient que les consorts Y.../Z... ont, en connaissance de cause, accepté d'être les porteurs d'actions pour le compte de leur père et mari, puis, ont consenti de manière libre et éclairée aux différentes cessions, de sorte qu'ils ne peuvent en dénier la portée et l'efficacité à leur égard, et se faire reconnaître un droit de propriété sur ce qui ne leur appartenait pas ; que c'est donc dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a décidé que les consorts Y... ne pouvaient se faire reconnaître un droit de propriété sur ce qui ne leur appartenait pas ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel a constaté que les consorts Y... n'avaient jamais réclamé et persistent à ne pas demander le paiement du prix des actions cédées en 1987 ;
Attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel a pris soin de préciser que le reproche invoqué par les consorts Y.../Z... de la fixation d'un prix vil ou fictif pour les actions cédées en 1987 n'était pas fondé puisqu'il avait été déterminé à partir d'éléments objectifs par l'expert comptable de la société au vu des résultats comptables de l'année 1986 connus des actionnaires ;
Attendu, en quatrième lieu, qu'après avoir relevé que Mme Z... avait elle-même signé la promesse de vente de ses actions le 2 juin 1989, pendant que Mme B...
Y... et M. C...
Y..., sans discuter l'engagement de porte fort pris par leur père pour leur compte, avaient signé, comme leur mère et les autres associés, la levée d'option du 30 juin 1987, intervenue conformément à la clause "durée de validité de la promesse" figurant dans les promesses du 2 juillet 1986 "à l'issue de l'assemblée générale ordinaire statuant sur les comptes de l'exercice 1986", "soit à l'occasion de la réunion des actionnaires de la société", comme indiqué à la clause "réalisation de la promesse", la cour d'appel a également constaté que les "trois appelants, en faisant figurer chacun le nombre d'actions qu'il était censé détenir, ont aussi signé les ordres de mouvement" correspondants, répondant ainsi aux conclusions invoquées par la sixième branche ;
Et attendu enfin qu'en relevant d'un côté que M. C...
Y... et Mme B...
Y... avaient, sans discuter l'engagement de porte fort pris par leur père pour leur compte, signé, comme leur mère et les autres associés, la levée d'option du 30 juin 1987 au profit de M. A...
Y... et en constatant d'un autre côté qu'ils avaient signé les ordres de mouvement de titres, non pas au profit de M. A...
Y... mais au profit de leur père, X...
Y..., ce dernier signant ensuite un ordre pour l'ensemble des actions dont il était en possession au profit de M. A...
Y..., la cour d'appel ne s'est pas contredite ;
D'où il suit que le moyen qui manque en fait en sa quatrième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que Mme Z... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser un franc à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, alors selon le moyen que l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute susceptible d'entraîner une condamnation à dommages et intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ; que, pour la condamner à verser à son fils A...
Y... un franc symbolique, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'elle "avait essayé d'obtenir en sa faveur le témoignage de Daniel Barnaud" ; qu'en ne précisant pas en quoi il y avait faute de sa part de nature à faire dégénérer en abus le droit d'ester en justice, à demander à un tiers une attestation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 32-1 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'action des consorts D... dictée par la recherche d'un projet sans contrepartie est caractérisée par la mauvaise foi et l'intention de nuire à l'intimé ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. C...
Y..., Mme B...
Y... épouse E... et Mme Yvonne Z... épouse Y... à payer à M. A...
Y... la somme globale de 2 700 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille quatre.