AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre mai deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire CHAUMONT, les observations de la société civile professionnelle BOUTET, de la société civile professionnelle PARMENTIER et DIDIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Yves,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, chambre correctionnelle, en date du 20 mai 2003, qui, pour tromperie, l'a condamné à 5 000 euros d'amende, et qui a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande, en défense et en réplique ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-4 et 122-4 du Code pénal, de l'article 13, 4 , du décret du 19 août 1921, de l'article L. 641-17 du Code rural, de l'article 6 du règlement (CEE) 3201/90 de la Commission du 16 octobre 1990, des articles L. 213-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Yves X... coupable du délit de tromperie sur l'origine, les qualités et l'identité de la marchandise, l'a condamné à payer une amende délictuelle de 5 000 euros et une indemnité de 5 000 euros à l'INAO partie civile ;
"aux motifs que, par un procès-verbal de constat de délit du 1er septembre 1999, ont été établis les faits suivants ; pour les vendanges 1994, 1995 et 1996, la SCI Château de Reignac ayant planté douze hectares de vignes nouvelles ne produisant pas de vendange a été amenée à acheter des raisins à des viticulteurs voisins qui ont été vinifiés sous l'appellation Château de Reignac et Château la Fleur de Reignac, agréée par l'INAO en appellation d'origine contrôlée bordeaux supérieur ; mais que ce vin provenait d'exploitations extérieures ; qu'il a été vendu au Savour Club et à la Sovac Bergerac ; que la notion de "château" repose sur celle d'exploitation viticole autonome, aussi, selon la réglementation, pour indiquer le nom de l'exploitation où le vin a été obtenu, le terme "château" ne peut être utilisé qu'à condition que le vin provienne exclusivement de raisins récoltés dans les vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification ait été effectuée dans cette exploitation ; que les raisins achetés par la SCI Château de Reignac n'étaient pas produits sur son exploitation et que leur vinification dans les chais de la SCI Château de Reignac ne confère pas au vin qui en est issu le droit d'être qualifié de Château de Reignac ; que le délit de tromperie sur l'origine, la nature ou la qualité d'une marchandise est constitué au regard de l'article 13, 4 , du décret modifié du 19 août 1921 ; que dans son audition du 27 novembre 1999 Yves X... reprend l'explication de la replantation de douze hectares de vignes et d'achat de vendanges de bordeaux supérieur, soulignant que la mention "La fleur de Reignac" inscrite sur deux factures du 24 mars 1997 et du 2 août 1996 ainsi que sur les bordereaux de confirmation de transactions établis par le courtier n'est pas celle de "Château de Reignac" ; qu'il affirme que l'acheteur ne pouvait donc pas ignorer qu'il s'agissait d'un vin de négoce ou tout du moins qu'il y avait un doute sur l'utilisation du nom de château ; que toute l'argumentation de la défense prend appui sur la réglementation en droit interne et communautaire de l'utilisation du terme "château" pour désigner une exploitation viti-vinicole ainsi que le vin en provenant ; qu'en droit interne, fondant son argumentation sur l'avis contenu dans une consultation écrite établie le 5 avril 2001 par M. le professeur Y..., le prévenu fait plaider qu'il se trouve dans l'une des hypothèses, visées par l'article 122-4 du Code pénal, de permission de la loi ayant valeur de fait justificatif de l'utilisation du terme "château" non conforme aux règles de l'article 13, 4 , du décret du 19 août 1921 ;
que pour parvenir à une telle analyse, la consultation fait une lecture non pertinente du texte de l'article 10 d'une loi du 6 mai 1919, modifiée par une loi du 1er janvier 1930, selon lequel "est interdit dans la dénomination des vins n'ayant pas droit à une appellation d'origine (..) l'emploi de mots tels que (..) château (..) ainsi que toute autre expression susceptible de faire croire à une appellation d'origine" ; que soulignant que ce texte, introduit le 8 juillet 1998 dans le Code rural, a été confirmé par la dernière loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 et, toujours en vigueur, figure au second alinéa de l'article 641-17 du Code rural, le professeur Y... l'interprète comme restreignant l'application de l'article 13, 4, du décret du 19 août 1921 puisqu'il soutient "qu'il n'y est aucunement question d'exiger une autonomie culturale" ; que le texte de l'article 13, 4 , du décret de 1921 interdit l'utilisation du terme de "château" sauf lorsque sont cumulées deux conditions : "il s'agit de produits bénéficiant d'une appellation d'origine (et) provenant d'une exploitation agricole existant réellement" ; que la thèse ainsi soutenue revient à interdire toute sanction pénale des professionnels trompant les consommateurs sur l'origine véritable du produit vendu et à restreindre la protection du consommateur à son information que tel produit appartient aux produits d'appellation d'origine contrôlée, tout en rendant ce contrôle de plus en plus difficile, dès lors qu'aucune sanction pénale ne vient punir le mensonge sur l'exploitation qui l'a produit ;
qu'aucune permission de la loi ne vient dispenser du respect cumulatif des deux exigences de l'article 13, 4 , précité pour faire usage loyal et exempt de tromperie du terme "château" sur les récipients, les étiquettes, les documents commerciaux et publicitaires concernant un produit bénéficiant d'une appellation d'origine et un produit provenant d'une exploitation agricole existant réellement ; qu'en réalité, l'article 10 de la loi du 6 mai 1919, repris à l'article 641-17 du Code rural, édicte une interdiction spéciale d'utilisation "astucieuse" du terme château pour étiqueter un vin qui n'appartiendrait pas aux vins d'appellation d'origine contrôlée tout en s'abstenant de mentionner faussement "AOC" ; qu'un tel texte n'a nullement pour effet de restreindre les exigences de l'article 13, 4 , du décret du 19 août 1921 ; qu'en droit communautaire à l'article 6 du règlement (CEE) n° 3201/90 de la commission du 16 octobre 1990 subordonne l'utilisation des termes "château" et "domaine" à la "condition que le vin provienne exclusivement de raisins récoltés dans les vignes faisant partie de cette même exploitation viticole et que la vinification ait été effectuée dans cette exploitation" ; que l'avis du professeur Y... mentionne : "toutefois l'honnêteté impose de reconnaître que le droit communautaire complique largement le tableau", puis "a priori donc le droit communautaire confirme le décret de 1921 et condamne la loi de 1930 puisqu'il exige l'autonomie culturale et permet à chaque Etat membre de réserver l'utilisation de "château" à une catégorie de vins, comme les vins d'AOC" ; que reprenant à tort ici son affirmation que l'article 10 de la loi du 19 mai 1919 emporterait restriction dans l'application de l'article 13, 4 , au point d'en abroger la deuxième condition précédemment examinée, le professeur Y... affirme que deux textes, celui de la loi n° 98-565 du 8 juillet 1998, introduisant dans le Code rural l'article 10 de la loi du 6 mai 1919, et celui de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole, confirmant le texte précédent, sont deux textes législatifs français postérieurs au règlement communautaire qui en contredit la teneur; que s'il admet qu'il n'en résulte pas abrogation du règlement communautaire, le professeur Y... soutient qu'il s'agit de deux textes de droit positif français que le prévenu peut invoquer comme permission de la loi ; que cela revient à nouveau à soutenir que l'article 10 de la loi du 6 mai 1919 abrogerait la deuxième condition imposée par l'article 13, 4 , du décret du 19 août 1921 : un produit provenant d'une exploitation agricole réellement existante ; qu'en réalité, comme l'a exactement rappelé le procès-verbal du 1er septembre 1999, les éléments légaux du délit de tromperie sur l'origine, les qualités substantielles et l'identité de la marchandise prévu et réprimé par l'article 213-1 du Code de la consommation sont, en matière d'utilisation irrégulière du terme "château" pour désigner un vin, ceux de l'article 13, 4 , ainsi que ceux de l'article 6 du règlement CEE n° 3201/90 du 16 octobre 1990 ; que les éléments matériels non discutés par la défense sont les constatations du procès-verbal ;
que l'élément intentionnel, non évoqué lors des débats est parfaitement caractérisé par les déclarations les plus récentes du prévenu, faites le 27 novembre 1999 : "la Fleur de Reignac et non pas le Château la Fleur de Reignac (..) tous les bordereaux du bureau Chevrot portent le nom de la Fleur de Reignac et non pas le nom de Château la Fleur de Reignac ; une partie seulement des factures ont été libellées en Château la Fleur de Reignac ; l'acheteur ne pouvait donc ignorer qu'il s'agissait d'un vin de négoce ou tout du moins qu'il y ait un doute sur l'utilisation du nom de château" ;
qu'une telle déclaration de la part du prévenu qui tente d'affirmer une erreur de secrétariat ou une ignorance de la réglementation démontre qu'il la connaît parfaitement et qu'il est un professionnel averti mais de mauvaise foi ; et que, sur l'action civile, les faits établis sont que le vin rouge vendu avait été parfaitement et loyalement qualifié de vin rouge d'AOC bordeaux supérieur ;
"alors, d'une part, que nul ne peut être condamné pour un fait autorisé par la loi ; qu'il a été reproché à Yves X... d'avoir vendu en 1994, 1995 et 1996 du vin portant les dénominations Château de Reignac et Château la fleur de Reignac sous l'appellation d'origine contrôlée bordeaux supérieur, produit fait à partir de raisins des propriétés voisines, bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée bordeaux supérieur, et ces raisins ayant été vinifiés dans les chais de la SCI Château de Reignac ;
que l'article 10 de la loi du 6 mai 1919, modifié par une loi du 1er janvier 1930 et intégré au Code rural sous l'article L. 641.17 aux termes de la loi n° 98-565 du 8 juillet 1998 et de la loi d'orientation agricole n° 99.574 du 9 juillet 1999, interdit l'usage du terme "château" aux seuls vins n'ayant pas droit à une appellation d'origine; que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'arrêt ayant constaté expressément que le vin dont s'agit avait été parfaitement et loyalement qualifié d'AOC bordeaux supérieur ; qu'il en résulte qu'Yves X... était autorisé par la loi à apposer le terme "château" à la dénomination des vins litigieux dont l'usage n'était pas interdit ; qu'en retenant la culpabilité d'Yves X... pour tromperie et en le condamnant à divers titres du fait de la mention "château" accolée aux dénominations en cause, en se fondant sur un principe inopérant d'autonomie culturale qui n'a pas été conservé par l'article L 641.17 du Code rural, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, que par les textes précités l'usage du terme "château" est autorisé pour les vins d'une appellation contrôlée, qu'un décret du 30 septembre 1949 a introduit dans l'article 13 du décret du 19 août 1921 un alinéa 4 y ajoutant à l'exigence d'une appellation l'obligation que le vin provienne "d'une exploitation existant réellement", en contradiction avec la loi n'exigeant que la première condition susénoncée, de sorte qu'en se fondant sur cette seconde condition illégale, la Cour a violé les textes précités, ensemble les articles 34 et 37 de la Constitution et le principe de la séparation des pouvoirs" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, lors des vendanges des années 1994, 1995 et 1996, Yves X... a acheté des raisins provenant de vignobles d'appellation d'origine contrôlée bordeaux supérieur et les a vinifiés dans les chais de la société civile immobilière Château de Reignac, à Saint-Loubès (Gironde), dont il est le gérant ; qu'en 1995, 1996 et 1997, il a vendu à divers clients cette production, qui avait droit à l'appellation bordeaux supérieur, sous la dénomination "Château la Fleur de Reignac", désignant l'exploitation gérée par la société Château de Reignac et les vins qui en sont issus ; qu'à la suite d'une enquête de la direction de la répression des fraudes et de la direction des douanes et des impôts indirects, Yves X... a été poursuivi du chef de tromperie sur l'origine, les qualités et l'identité du vin vendu ;
Attendu que, devant la cour d'appel, le prévenu a soutenu qu'il résultait de l'article de L. 641-17 du Code rural, que seuls les vins autres que d'appellation d'origine contrôlée étaient privés du bénéfice de la dénomination "château" ;
Attendu que, pour écarter cette argumentation et entrer en voie de condamnation, l'arrêt retient qu'en vendant, sous la dénomination "Château la Fleur de Reignac", du vin issu de raisins ne provenant pas de l'exploitation gérée par la société Château de Reignac, Yves X... a contrevenu à l'article 13, 4 , du décret du 19 août 1921, selon lequel est interdit l'emploi, notamment, du mot "château", sauf lorsque les produits répondent à la double condition de bénéficier d'une appellation d'origine et de provenir d'une exploitation agricole existant réellement ; que les juges ajoutent que ce texte édicte une interdiction dont l'objet est distinct de celle prévue par l'article L. 641-17 du Code rural, lequel prohibe, dans la dénomination des vins n'ayant pas droit à une appellation d'origine, l'emploi, notamment, du mot "château", ainsi que de toute autre expression susceptible de faire croire à une appellation d'origine ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Yves X... à payer à l'INAO la somme de 3 000 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Chaumont conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Y..., Beaudonnet, Gailly conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;