AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la Caisse centrale de réassurance, que sur le pourvoi incident relevé par la Banque d'entreprises financières et industrielles ;
Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 9 mars 2001), qu'au mois de juin 1989, le Groupement des industries du transport et du tourisme (GITT) a lancé une émission d'obligations, divisée en deux emprunts, dont l'un à taux variable de 3 000 000 francs, était, en particulier, destiné au financement de la Banque d'entreprises financières et industrielles (BEFI) et garanti par celle-ci à hauteur de 60/300èmes ;
que cet emprunt était divisé en trois tranches A, B, C, venant à échéance respectivement les 17 juillet 1998, 17 juillet 1999 et 17 juillet 2000 ; que la sicav Rochefort court terme (devenue Chateaudun court terme) a acquis la totalité des obligations des tranches A et B, qu'elle a cédées à la Caisse centrale de réassurance (CCR) ; qu'à la suite du remboursement par la BEFI de sa quote-part, le GITT a utilisé les fonds pour assurer les besoins de trésorerie de la société Crédit touristique et des transports (C2T) ; que les obligataires des tranches concernées ont lors de l'assemblée générale du 27 juin 1995 refusé de ratifier les opérations de substitution de C2T à la BEFI dans l'engagement de garantie de l'emprunt ; que la CCR et la sicav Chateaudun ont, le 16 octobre 1997, assigné la BEFI aux fins de la voir déclarer garante, dans la limite de sa quote-part de 20 %, solidairement avec le GITT, du service en intérêts, principal et accessoires des tranches A et B de l'emprunt concerné ;
qu'entre-temps est intervenu entre le GITT d'une part, et la CCR et la sicav Chateaudun, d'autre part, un accord, homologué le 12 décembre 1997, par le tribunal dans le cadre d'une procédure de réglement amiable régie par les articles L. 611-1 et suivants du Code de commerce ; que la BEFI a contesté sa garantie et sollicité la communication de l'accord ; que le tribunal a rejeté l'incident et dit que la BEFI était garante solidairement avec le GITT, à concurrence de sa quote-part, du service des tranches A et B de l'emprunt ; qu'en cause d'appel, la BEFI a réitéré son incident de communication de l'accord et a appelé en garantie le GITT ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, qui est préalable :
Attendu que la BEFI fait grief à l'arrêt d'avoir, confirmant le jugement sur ce point rejeté la demande de communication du protocole du 8 décembre 1997 homologué le 17 décembre 1997, alors, selon le moyen, que le secret professionnel entourant l'accord de règlement amiable est édicté dans l'intérêt exclusif du débiteur pour protéger son crédit ; qu'il en résulte qu'il ne peut être utilement opposé par un créancier signataire dans le but de s'exonérer de ses engagements et que le débiteur peut autoriser la divulgation de l'accord de règlement lorsqu'il y a intérêt ; qu'en l'espèce, le GITT, débiteur principal, demandait le versement aux débats du protocole d'accord conclu le 8 décembre 1997 avec la CCR, son créancier, qui seul lui permettait de s'opposer tant aux demandes de paiement formées par la CCR à l'encontre de la BEFI, société garante, qu'à l'appel en garantie formée par la BEFI à son encontre ; que la cour d'appel a constaté que le contenu de l'accord permettait effectivement de justifier des modalités exactes des obligations auxquelles restaient tenues le GITT ainsi que ses garants ; qu'en refusant cependant de faire droit à la demande du débiteur de communication de ce protocole en raison du refus de communication opposé par la CCR, lorsque le GITT avait intérêt à une telle production, la cour d'appel a violé l'article L. 611-6 du Code de commerce et les articles 38 et 39 du décret n° 85 du 1er mars 1985 ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions des articles 38 et 39 du décret du 1er mars 1985 que l'accord amiable entre le débiteur et les créanciers, constaté dans un écrit signé par les parties et le conciliateur est déposé au greffe et communiqué au procureur de la République et qu'en dehors de l'autorité judiciaire, à qui l'accord et le rapport d'expertise peuvent être communiqués, l'accord ne peut être communiqué qu'aux parties et le rapport d'expertise qu'au débiteur ; que l'article L. 611-6 du Code de commerce dispose que toute personne qui est appelée au règlement amiable ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue au secret professionnel dans les conditions et peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du Code pénal ;
Et attendu qu'après avoir relevé par un motif non critiqué que l'accord intervenu le 8 décembre 1997, homologué par le président du tribunal de commerce, était régi par les dispositions précitées, l'arrêt retient exactement, en se fondant sur l'obligation au secret professionnel auquel était tenue la CCR, que la communication de l'accord sollicitée devant les juges du fond aurait pour conséquence d'en faire prendre connaissance par la BEFI, qui n'était pas partie à cet accord ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen du même pourvoi :
Attendu que la BEFI fait encore grief à l'arrêt d'avoir refusé de constater l'extinction des garanties par elle consenties au titre des tranches A et B de l'emprunt le GITT par l'effet de la substitution de la garantie de la société C2T à la sienne, alors, selon le moyen, que si la novation ne se présume pas, l'intention de nover peut résulter des faits et actes intervenus entre les parties manifestant de manière non équivoque cette intention ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté qu'en 1995, la société Crédit touristique et des transports est devenue bénéficiaire du prêt obligataire initialement consenti au bénéfice de la BEFI ce qui était de nature à la rendre garante du remboursement de l'emprunt consenti par la CCR au GITT, à concurrence de sa quote-part, aux lieu et place de la BEFI ; que, bien que les obligataires aient dans un premier temps refusé cette substitution de garantie, la cour d'appel a constaté que, par la suite, un accord était intervenu le 8 décembre 1997 entre le GITT et la CCR aboutissant à un plan de restructuration des emprunts destiné à rendre leurs caractéristiques compatibles avec le niveau des actifs de la société Crédit touristique et des transports et que cette restructuration des emprunts se soldait par la mise à la disposition des investisseurs sur la nouvelle identité de leurs bénéficiaires et garants, manifestait de manière non équivoque son intention de substituer cette dernière en qualité de bénéficiaire et de garante du prêt aux lieu et place de la BEFI qui se trouvait déchargée, la cour d'appel a violé l'article 1273 du Code civil ;
Mais attendu que la novation ne se présume pas ; qu'elle doit résulter clairement des actes ;
Et attendu qu'après avoir relevé que "selon la notice d'émission de l'emprunt le remboursement anticipé, total ou partiel, d'un prêt ne libère aucune des sociétés garantes de l'engagement pris vis-à-vis des obligataires, engagement qui subsiste à concurrence de la quote-part fixée, jusqu'à la mise effective en remboursement de la totalité des emprunts" mettant en évidence "le caractère détachable, relativement aux échéances fixées par l'acte à l'égard du débiteur, des obligations des sociétés garantes à l'égard des obligataires" et constaté que l'assemblée générale des obligataires avait refusé de substituer à la garantie de la BEFI, à celle de la C2T, l'arrêt retient que la substitution de garantie ne pouvait intervenir sans l'accord des obligataires ; que par ces seuls motifs dont il résultait que la novation n'avait pu s'opérer, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses trois branches :
Attendu que la CCR fait grief à l'arrêt d'avoir dit irrecevable et mal fondée son action tendant à l'exécution ou, à défaut, à la reconnaissance de la garantie du remboursement d'une quote-part de l'emprunt obligataire par la BEFI, caution solidaire, alors, selon le moyen ;
1 / que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office la fin de non recevoir tirée du prétendu défaut d'intérêt de la société CCR à poursuivre la société BEFI, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que la caution solidaire ne peut se prévaloir, pour se soustraire à son engagement, des remises et délais de paiement consentis par le créancier au débiteur principal dans le cadre de la procédure de réglement amiable instituée par la loi du 1er mars 1984 ;
qu'en déclarant l'action de la société CCR irrecevable, faute pour cette dernière de justifier de l'exigibilité de la dette du débiteur principal, quant elle avait pourtant constaté qu'à son échéance, l'emprunt n'avait été que partiellement remboursé, d'où il résultait, en vertu des stipulations contractuelles liant les parties, que la garantie de la société BEFI était due, nonobstant d'éventuels délais de paiement ou remises accordés au débiteur principal dans le cadre d'un accord de réglement amiable, susceptibles d'être opposés par la caution au créancier, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 2036 du Code civil, ensemble les articles L. 611-4 du Code de commerce et 31 du nouveau Code de procédure civile ;
3 / que la demande subsidiaire de la société CCR avait pour objet de faire juger que le remboursement anticipé, par la société BEFI, de sa quote-part de l'emprunt, n'avait pas eu pour conséquence de faire disparaître l'obligation de garantie ; que le créancier avait intérêt à ce que ce point, sur lequel les parties s'opposaient, soit tranché, ne serait-ce qu'à titre préventif, avant que la dette principale ne soit devenue exigible ;
qu'en déduisant dès lors l'irrecevabilité de la demande de ce que l'exigibilité de la dette principale n'était pas démontrée, la cour d'appel a violé l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt, qui a examiné au fond la prétention, avant de la dire irrecevable, relève que "la CCR était parfaitement libre, dans le cadre du réglement amiable, de souscrire ou non à l'accord emportant restructuration de la dette, en accordant des remise ou des délais au débiteur" ; qu'il retient que la CCR ne peut, sans déséquilibrer gravement l'économie des relations contractuelles et sans s'affranchir de son obligation de se comporter en partenaire loyal, exiger de sa co-contractante, garante, qu'elle a exclu de l'élaboration du plan, l'exécution de sa propre obligation ; qu'en l'état de ses énonciations, la cour d'appel a fait ressortir à bon droit que les remises ou délais accordés par un créancier dans le cadre d'un réglement amiable bénéficiaient à la caution ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident ;
Dit que les dépens seront supportés pour une moitié par la Caisse centrale de réassurance et, pour l'autre, par la Banque d'entreprises financières et industrielles ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille quatre.