AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf mai deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de Me FOUSSARD, Me BOUTHORS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CHEMITHE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'ADMINISTRATION DES DOUANES ET DROITS INDIRECTS, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, en date du 9 avril 2003, qui, après avoir prononcé la nullité des procès-verbaux, fondement des poursuites, a relaxé Philippe X..., Francis Y..., Alain Z..., Jean-Marc A..., prévenus, la société NIJA, la société TARDO et la société BILLARDS JEUX, civilement responsables, des chefs d'infractions à la législation fiscale sur les maisons de jeux ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1559, 1560-1, 1565 du Code général des impôts, 124,146,149,152 et 154 de l'annexe IV du Code général des impôts, 1699 et 1791 du Code général des impôts, L. 26 et L. 38 du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que les juges du fond ont relaxé Alain Z... et la SARL Nija, d'une part, Philippe X... et Jean-Marc A... et la SNC Tardo des fins de la poursuite ;
"aux motifs propres que cependant s'il n'est pas discuté que dans le cadre d'un contrôle, les agents de l'administration des Douanes ne sont assujettis à aucune formalité préalable, encore faut-il que leur intervention se cantonne aux limites et aux pouvoirs que leur confère ledit contrôle ; que s'il ne peut leur être fait grief d'avoir effectué certaines investigations nécessaires à la constatation d'inventaire, de contrôles qualificatifs et quantitatifs, en revanche, force est de constater qu'ils ont procédé à des saisies de matériel, lesquelles sont exclusivement soumises aux prescriptions de l'article L. 38 du Livre des procédures fiscales, qui, hors le cas de flagrance, subordonne l'exécution de ces mesures à l'autorisation préalable du président du tribunal de grande instance, et, dans tous les cas, à l'assistance d'un officier de police judiciaire; que les opérations effectuées par les agents de l'administration des Douanes, ayant débordé largement le domaine d'application de l'article L. 26 du Livre des procédures fiscales, elles se sont déroulées irrégulièrement, entachant ainsi de nullité les procès-verbaux, fondement des poursuites ;
"et aux motifs éventuellement adoptés que le 27 mars 1997, les agents des douanes ont effectué un contrôle dans l'établissement "l'Auberge du coin", sis 29 rue Saint-Sébastien à Biot, exploité par la SARL Nija, dont le gérant est Alain Z... ; qu'après avoir constaté la présence dans l'établissement d'une machine de jeux de hasard prohibée de type poker, ils ont procédé à la saisie de cet appareil et de son encaisse ; que le 29 mai 1997, les agents des Douanes ont effectué un contrôle dans l'établissement à l'enseigne "bar tabac de l'Ilette", 24 boulevard Maréchal Leclerc à Antibes exploité par la SNC Tardo, dont les cogérants sont Jean-Marc A... et Philippe X..., qu'après avoir constaté la présence dans l'établissement d'une machine de jeux de hasard prohibée de type poker, ils ont procédé à la saisie de cet appareil et de son encaisse ; que compte tenu des saisies effectuées, l'intervention des agents des Douanes, ainsi qu'il a été dit précédemment, ne pouvait se faire que dans les conditions de forme prescrites par l'article L. 38 du Livre de procédures fiscales ;
que ces règles de forme, s'agissant notamment de la présence d'un officier de police judiciaire, n'ayant pas été respectées, Alain Z..., la SNC Tardo et Jean-Marc A... sont fondés à invoquer la nullité des procès-verbaux fondement des poursuites initiées à leur encontre ;
"alors que, premièrement, en dehors de la saisie évoquée à la seconde branche, les juges du fond n'ont fait état, à l'encontre de la direction générale des Douanes et droits indirects, d'aucun fait, ni d'aucune mesure permettant de considérer que les agents ont excédé les pouvoirs qui leurs sont conférés dans le cadre du droit d'exercice tel que prévu à l'article L. 26 du Livre des procédures fiscales ; d'où il suit que l'arrêt attaqué est entaché d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;
"alors que, deuxièmement, dès lors que la saisie porte sur les objets ou marchandises visés à l'article 1791 du Code général des impôts, et qu'elle tend simplement, une fois les infractions constatées, à rendre lesdits objets et marchandises indisponibles, en vue de la mise en oeuvre de la confiscation, telle que prévue aux articles 1791 et 1800 du Code général des impôts, la saisie, qui ne comporte aucun dépouillement matériel de l'exploitant doit être considérée comme le prolongement du droit d'exercice institué à l'article L. 26 du Livre des procédures fiscales ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
"et alors que, troisièmement, le recours à la procédure de l'article L. 38 du Livre des procédures fiscales, en matière de contributions indirectes, ne s'impose que si l'Administration appréhende matériellement des documents ou des objets étrangers aux objets et marchandises visés à l'article 1791 du Code général des impôts ou bien encore si elle postule une mesure de contrainte ; que tel n'est pas le cas lorsque l'Administration, régulièrement présente sur les lieux, après avoir constaté les infractions, se borne à rendre indisponibles des objets ou marchandises au sens de l'article 1791 du Code général des impôts ;
qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué ne saurait échapper à la censure pour violation de la loi" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, les 27, mars et 29 mai 1997, dans deux établissements, l'un exploité par la société Nija, dont le gérant est Alain Z..., l'autre exploité par la société Tardo, dont les co- gérants sont Jean-Marc A... et Philippe X..., les agents de l'Administration des douanes et droits indirects ont effectué des contrôles et constaté la présence d'une machine de jeux de hasard de type poker et ont procédé, à l'issue de ces contrôles, à la saisie des deux appareils, dont la société Billards Jeux dirigée par Francis Y... était propriétaire, ainsi que de leur encaisse ;
Attendu qu'en statuant sur l'exception de nullité de la procédure tirée de la méconnaissance de l'article L. 38 du Livre des procédures fiscales lors des contrôles, les juges du second degré énoncent, notamment, que les agents de l'Administration ont, au cours de leur intervention, procédé à des saisies de matériels sans respecter les prescriptions du texte précité et que ces opérations ayant excédé le domaine d'application de l'article L. 26 du même Livre, sont irrégulières ;
Attendu qu'en l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision quant à l'irrégularité des saisies pratiquées ;
Qu'en effet, si l'article L. 26 du Livre des procédures fiscales permet aux agents de l'Administration des douanes et droits indirects d'intervenir, sans formalité préalable, dans les locaux professionnels des personnes soumises, en raison de leur profession, à la législation des contributions indirectes, pour y procéder à des inventaires, aux opérations nécessaires à la constatation et à la garantie de l'impôt et, généralement, aux contrôles qualitatifs et quantitatifs prévus par cette législation, ce texte n'autorise pas ces agents à effectuer une visite des lieux, au sens de l'article L. 38 du Livre précité, qui seul permet des perquisitions et saisies, une telle visite ne pouvant être réalisée qu'en cas de flagrant délit ou sur autorisation du président du tribunal de grande instance et, dans tous les cas, avec l'assistance d'un officier de police judiciaire ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1559, 1560-1, 1565 du Code général des impôts, 124, 146, 149, 152 et 154 de l'annexe IV du Code général des impôts, 1699 et 1791 du Code général des impôts, L. 26 et L. 38 du Livre des procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il a relaxé Alain Z... et la SARL Nija, d'une part, Philippe X... et Jean-Marc A... et la SNC Tardo, d'autre part, Francis Y... et la société Billard Jeux, de troisième part, des fins de la poursuites et rejeté les demandes de l'Administration ;
"aux motifs s'agissant d'Alain Z... et de Philippe X... et Jean-Marc A... que l'Administration a excédé les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article L. 26 du Livre des procédures fiscales, en procédant à des saisies et que, s'agissant de Francis Y..., il peut se prévaloir de l'irrégularité affectant l'intervention dans les locaux d'Alain Z... de la SARL Nija ;
"alors que, l'étendue de la nullité prononcée doit être à l'exacte mesure de l'irrégularité qui a été constatée ; qu'à supposer même qu'agissant dans le cadre de l'article L. 26 du Livre des procédures fiscales, les agents n'aient pas été en droit de procéder à la saisie de la machine à sous et de l'encaisse, une seule conséquence s'en évinçait, à savoir la nullité de la saisie ; qu'en estimant que l'irrégularité qu'ils relevaient s'étendait, non seulement à la saisie proprement dite, mais également au surplus des procès-verbaux litigieux, alors qu'ils se bornaient à constater les faits, les juges du fond ont violé les textes susvisés" ;
Vu les articles L. 26 et L. 38 du Livre des procédures fiscales ;
Attendu qu'après avoir constaté l'irrégularité des opérations de perquisitions ou de saisies effectuées en méconnaissance des dispositions de l'article L. 38 du Livre des procédures fiscales, les juges ne peuvent annuler que les pièces de la procédure subséquente qui découlent des actes viciés ;
Attendu que les juges du second degré, après avoir, à bon droit, déclaré irrégulières les saisies pratiquées, ont accueilli l'exception de nullité de la procédure tirée de la méconnaissance de l'article L. 38 du Livre des procédures fiscales lors des contrôles, en retenant que l'irrégularité de ces opérations entache de nullité les procès-verbaux, fondement des poursuites ;
Mais attendu qu'en l'état de ces énonciations et alors que, si les saisies effectuées sont irrégulières, elles n'entraînent pas la nullité des constatations antérieures, établissant l'existence d'appareils de jeux de hasard caractérisant les infractions poursuivies, et donc de l'ensemble de la procédure, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe susénoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen proposé,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 9 avril 2003, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme de la Lance conseiller rapporteur, MM. Challe, Roger, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut conseillers de la chambre, MM. Soulard, Samuel conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Chemithe ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;