AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quinze juin deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire AGOSTINI, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, et de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BENABENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Patrice,
- Y... Christian,
- Z... Yvan,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 4 décembre 2001, qui, dans la procédure suivie contre eux du chef de défaut de paiement de la rémunération due au titre de la copie privée, a annulé le jugement ayant déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de la SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE AUDIOVISUELLE, dite COPIE FRANCE, et de la SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE SONORE, dite SORECOP, a évoqué et a renvoyé l'examen de l'affaire au fond ;
- LA SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE AUDIOVISUELLE dite COPIE FRANCE,
- LA SOCIETE POUR LA REMUNERATION DE LA COPIE SONORE dite SORECOP,
parties civiles,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, en date du 4 mars 2003, qui a relaxé les trois prévenus ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur les pourvois contre l'arrêt du 4 décembre 2001 :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II - Sur les pourvois contre l'arrêt du 4 mars 2003 :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 335-4 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, 121-3 du Code pénal, 339 de la loi d'adaptation du 16 décembre 1992, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Patrice X..., Yvan Z... et Christian Y... des fins des poursuites pour les délits réitérés de non-versement de la rémunération pour copie privée audiovisuelle et de non-versement de la rémunération pour copie privée sonore ;
"aux motifs que "le délit prévu par l'article L. 335-4 du Code la propriété intellectuelle suppose, pour qu'il puisse être constitué, que soit établie l'intention coupable de son auteur ; qu'en l'espèce, la preuve de cette intention n'est pas rapportée par les parties civiles, à l'encontre des dirigeants sociaux de la société ITL, dans la mesure où des délais de paiement avaient été accordés à la débitrice par convention du 29 août 1997 et par avenant du 15 avril 1998 ; qu'en effet, l'octroi des délais de paiement à la société débitrice ne pouvait logiquement qu'être fondé sur l'absence de mauvaise foi de ses dirigeants sociaux qui, en sollicitant des délais, avaient manifesté leur intention de s'acquitter du paiement et sur la conscience des parties civiles que la dette pourrait être apurée ; qu'à cet égard, il importe de relever que, de l'aveu même des parties civiles, des règlements partiels sont intervenus ; que, dans ces conditions, faute d'intention coupable démontrée des auteurs supposés, les infractions ne sont pas constituées" ;
"alors, d'une part, que, comme en matière de contrefaçon, l'existence de l'élément intentionnel du délit prévu par l'article L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle résulte de la matérialité de l'infraction sauf preuve par le prévenu de sa bonne foi ; qu'en relaxant, en l'espèce, les prévenus des fins de la poursuite pour non-versement de la rémunération due pour copie privée, délit réprimé par l'article 335-4 précité, au seul motif que la preuve de leur intention coupable ne serait pas rapportée, sans nier cependant la matérialité de l'infraction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, d'autre part, que l'intention coupable s'apprécie en toute hypothèse au jour de la commission du délit et en la personne du prévenu ; qu'en déduisant en l'espèce la bonne foi des prévenus du fait qu'ils avaient sollicité des délais de paiement pour s'acquitter de leur obligation de versement de la rémunération pour copie privée et du fait de l'octroi par les parties civiles de tels délais qui feraient, selon elle, apparaître la conscience de celles-ci que la dette pourrait être apurée sans même rechercher si, au jour où les prévenus avaient sollicité des délais pour verser la rémunération légale pour copies privées afférentes à différentes périodes, ils n'en étaient d'ores et déjà pas débiteurs, en sorte que le délit était d'ores et déjà matériellement constitué, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants en violation des textes susvisés ;
"alors, enfin, subsidiairement, que, dans leurs conclusions d'appel, les sociétés Sorecop et Copie France faisaient valoir qu'en dépit des plans de règlement négociés par les dirigeants de la société ITL, qui n'ont pas été respectés, il avait été éludé à leur préjudice des sommes importantes, pour des périodes postérieures à celles concernées par les accords revendiqués soit, pendant la période de gestion de Christian Y... ; qu'en s'abstenant de rechercher si le délit poursuivi n'était pas caractérisé à tout le moins contre Christian Y... pour ces périodes postérieures aux accords, la cour d'appel n'a, sur ce point encore, pas légalement justifié sa décision" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société International Trading Logistic (ITL) a mis en circulation en France des cassettes audiovisuelles vierges ; que, ne parvenant à obtenir l'intégralité du versement de la rémunération due à l'auteur, à l'artiste interprète ou au producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes au titre de la copie privée, les sociétés Copie France et Sorecop ont, sur le fondement des articles L. 311-4 et L. 335-4, alinéa 3, et suivants du Code de la propriété intellectuelle, fait citer devant le tribunal correctionnel Patrice X..., Yvan Z... et Christian Y..., dirigeants successifs d'ITL ;
Attendu que, pour entrer en voie de relaxe, la cour d'appel énonce que, les prévenus ayant obtenu des délais de paiement accordés par les parties civiles, la preuve de leur intention coupable n'est pas rapportée ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'en dépit des accords de règlement conclus, la persistance du défaut de versement de la rémunération due au titre de la copie privée, exigible depuis la mise en circulation des supports d'enregistrement, excluait la bonne foi des prévenus, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
I - Sur les pourvois contre l'arrêt du 4 décembre 2001 :
Les REJETTE ;
II - Sur les pourvois contre l'arrêt du 4 mars 2003 :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 4 mars 2003, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, Mme Agostini conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mmes Beaudonnet, Gailly, M. Chaumont conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;