AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux juillet deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PELLETIER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Joseph,
- X... François,
- X... Eric,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 8 avril 2004, qui a renvoyé, les deux premiers, devant la cour d'assises des ALPES-MARITIMES sous l'accusation de viols et agressions sexuelles aggravés, et, le troisième, devant le tribunal pour enfants pour viols ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 191 du Code de procédure pénale, 1er et 3-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
"en ce que la chambre de l'instruction était, lors des débats et du délibéré, composée de : "M. Huron, conseiller désigné par ordonnance de M. le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 15 décembre 2003, pour remplacer à titre temporaire Mme le président de la chambre de l'instruction ;
M. Grison, conseiller ; Mme Mée, vice-président placé" ;
"alors que la chambre de l'instruction est composée d'un président et de deux conseillers ; que, si les magistrats du siège placés auprès du premier président d'une cour d'appel peuvent remplacer temporairement les magistrats de leur grade de la cour d'appel qui se trouvent empêchés d'exercer leurs fonctions, ou être temporairement affectés dans une juridiction pour exercer les fonctions afférentes à un emploi vacant de leur grade, leur désignation aux fins de remplacement ou leur affectation temporaire ne peuvent être prononcées que par ordonnance du premier président de la cour d'appel qui précise le motif et la durée du remplacement ou de l'affectation temporaire ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué ne précise pas à quel titre, pour quel motif et pour quelle durée Mme Mée a participé à la composition de la chambre de l'instruction ; qu'il s'ensuit que l'arrêt attaqué, qui ne fait pas par lui-même la preuve de sa régularité formelle, encourt l'annulation" ;
Attendu que la mention de l'arrêt suivant laquelle le président et les deux assesseurs composant la chambre de l'instruction ont été désignés conformément aux dispositions de l'article 191 du Code de procédure pénale, suffit à établir, en l'absence de toute contestation à l'audience concernant les conditions de leur désignation, la régularité de la composition de la juridiction ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, proposé pour Eric X..., pris de la violation des articles 23 de l'ordonnance du 2 février 1945 et L. 223-6 du Code de l'organisation judiciaire ;
"en ce que la chambre de l'instruction, qui a ordonné le renvoi devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle d'Eric X..., mineur de seize ans à l'époque des faits, du chef de viols, était composée lors des débats et du délibéré de : "M. Huron, conseiller désigné par ordonnance de M. le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 15 décembre 2003, pour remplacer à titre temporaire Mme le président de la chambre de l'instruction ; M. Grison, conseiller ; Mme Mée, vice-président placé ;
tous trois désignés à ces fonctions conformément aux dispositions de l'article 191 du Code de procédure pénale" ;
"alors que, conformément à l'article L. 223-3 du code de l'organisation judiciaire, qui renvoie à l'article 28 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, le délégué à la protection de l'enfance siège comme membre de la chambre de l'instruction, lorsque celle-ci connaît d'une affaire dans laquelle un mineur est impliqué soit seul, soit avec des coauteurs ou complices majeurs, dispositions qui sont d'ordre public ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que le magistrat délégué à la protection de l'enfance n'a pas été appelé à siéger comme membre de la chambre de l'instruction, qui a renvoyé Eric X... devant le tribunal pour enfant statuant en matière criminelle ; qu'il s'ensuit que l'arrêt de la chambre de l'instruction, composée irrégulièrement, doit être annulé" ;
Attendu que le moyen, qui invoque l'irrégularité de la composition de la chambre de l'instruction qui a statué sur l'appel de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal pour enfants, est inopérant, dès lors que le demandeur était irrecevable à interjeter appel d'une telle décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le sixième moyen de cassation, proposé pour Eric X..., pris de la violation des articles 222-23 et 222-24 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné le renvoi devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle d'Eric X..., du chef de viols sur la personne de Christelle Y... ;
"aux motifs que les dépositions de Christelle Y..., aux termes desquelles Eric X... l'a plusieurs fois pénétrée sexuellement, alors qu'elle était âgée de douze-treize ans et qu'ils se trouvaient dans la maison familiale de Contes, sont précises, circonstanciées et réitérées ; qu'elle fait état de contrainte à son égard, précisant qu'il lui bloquait les mains ; que les mêmes faits ont été réitérés dans la salle de bains alors qu'elle avait quatorze quinze ans ;
"alors que le crime de viol n'est constitué que si l'auteur des faits a employé la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, éléments que les juges doivent caractériser en précisant en quoi le consentement de la victime a pu être forcé ou surpris ;
qu'en se bornant à relever qu'Eric X... avait plusieurs fois pénétré sexuellement Christelle Y... alors qu'elle avait douze-treize ans, et qu'il lui avait "bloqué les mains", sans caractériser autrement la violence ou la contrainte qui auraient accompagné les faits et sans préciser en quoi le fait de "bloquer les mains" avait pu forcer le consentement de la jeune fille, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu que le demandeur ne saurait se faire un grief des motifs pour lesquels la chambre de l'instruction l'a renvoyé devant le tribunal pour enfants dès lors que les juges auraient dû déclarer son appel irrecevable ;
D'opù il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation, proposé pour Joseph X... et François X..., pris de la violation des articles 222-23 et 222-24 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la mise en accusation de Joseph X... et François X... du chef de viols sur la personne de Christelle Y..., mineure de quinze ans, commis par des personnes ayant autorité, et ordonné le renvoi devant le tribunal pour enfants statuant en matière criminelle de Eric X..., du chef de viols sur la personne de Christelle Y... ;
"aux motifs que les dispositions de Christelle Y..., aux termes desquelles Eric X... l'a plusieurs fois pénétrée sexuellement avec contrainte, alors qu'elle était âgée de douze-treize ans et qu'ils se trouvaient dans la maison familiale de Contes, et alors qu'elle avait quatorze-quinze ans, sont précises, circonstanciées et réitérées tout au long de l'information ; que les déclarations de Christelle Y... faisant état d'un acte de pénétration sexuelle avec violence sur sa personne par François X..., alors qu'elle était âgée de douze ans ou treize ans, sont là encore circonstanciées et réitérées ; que les déclarations de Christelle Y... faisant état de pénétrations vaginales commises par Joseph X... alors qu'elle avait onze-douze ans sont précises et réitérées ; que ces déclarations se trouvent étayées par les déclarations de diverses personnes qui ont été alertées des faits par Christelle Y... ;
"alors que nul ne peut être mis en accusation s'il n'existe pas à son encontre des charges suffisantes d'avoir commis des faits pouvant recevoir une qualification criminelle ; que, dans leur mémoire, les trois mis en examen faisaient valoir, en se référant au rapport d'examen psychiatrique de Christelle Y... établi le 21 novembre 2002 par le docteur Z..., précisant que l'enfant avait été victime d'un viol par son père, que l'intéressée, compte tenu de son âge au moment de ce viol (deux ans) n'avait pas participé à l'audience de jugement concernant son père et n'avait donc pu verbaliser sa souffrance, de sorte que rien ne permettait de considérer qu'elle n'avait pas transposé sur la famille X... les faits dont elle avait été victime de la part de son père, d'autant plus que ces accusations n'étaient corroborées par aucun élément objectif ; qu'en tenant d'emblée pour avérées l'ensemble des déclarations de Christelle Y..., sans s'expliquer sur cette articulation essentielle du mémoire de Joseph, François et Eric X..., la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale" ;
Sur le quatrième moyen de cassation, proposé pour Joseph X... et François X..., pris de la violation des articles 222-22, 222-23, 222-24, 222-27, 222-28 et 222-29 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la mise en accusation de Joseph X... des chefs de viols commis sur la personne de Christelle Y..., mineure de quinze ans, d'agressions sexuelles commises sur la personne de Corinne A..., mineure de quinze ans, ainsi que d'agressions sexuelles commises sur la personnes de Maëva B..., mineure de quinze ans, et Gaëlle C..., crimes et délits connexes commis par une personne ayant autorité ;
"aux motifs que Christelle Y... expliquait de manière précise et réitérée avoir fait l'objet, dans la maison familiale de Contes, de pénétrations vaginales de la part de Joseph X... courant 1987-1988, alors qu'elle était âgée de onze ou douze ans (arrêt pages 8, 1, et 12 5) ; que Corinne A... rapporte que, dès 1995, alors qu'elle était âgée de treize ans, elle a commencé à subir des attouchements sur les seins et les fesses de la part de Joseph X..., ces faits se produisant à intervalles réguliers alors même qu'elle manifestait son refus ; qu'elle relate qu'à partir de l'âge de seize ans, Joseph X... venait dans son lit et lui caressait les seins, le sexe et les fesses, la contraignait à le masturber et faisait parfois usage de violences (cf. arrêt page 14, 1er et 2) ; que les déclarations de Maëva B... font état d'un baiser imposé en juillet 2001 alors qu'elle avait treize ans, accompli par surprise sans le consentement de l'adolescente (cf. arrêt page 13, 1er), que les déclarations de Gaëlle C... font état de propos déplacés à son égard, ainsi que de caresses et baisers commis par contrainte alors qu'elle avait dix-sept ans (cf. arrêt p. 6 4, et p. 13 5) ; que, confiées par la famille d'accueil D... et la famille d'accueil X... pour la journée ou pour le temps des vacances, Maëva B... et Gaëlle C... étaient de ce fait placées sous l'autorité de fait de Joseph X... ;
"alors, dune part, qu'en se bornant à relever que Christelle Y... expliquait de manière précise et réitérée avoir fait l'objet de pénétrations vaginales de la part de Joseph X... alors qu'elle avait onze-douze ans, sans caractériser en quoi ces actes auraient été commis par violence, contrainte, menace ou surprise, éléments qui ne pouvaient se déduire de la seule minorité de quinze ans de l'adolescente ni de l'autorité qu'exerçait Joseph X... sur elle du fait de sa position de chef de la famille d'accueil dans laquelle l'adolescente était placée, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, qu'en se bornant à relever que Corinne A... rapportait qu'à l'âge de treize ans, elle avait subi de la part de Joseph X... des attouchements sur les seins et les fesses malgré son refus, et qu'à partir de seize ans, Joseph X... venait dans son lit et lui caressait les seins, le sexe et les fesses, la contraignait à le masturber et faisait parfois usage de violences, sans caractériser autrement cette contrainte et ces violences, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
"alors, de troisième part, qu'en se bornant à relever l'existence d'un baiser volé, sans caractériser la connotation sexuelle de ce baiser, et sans caractériser le stratagème qui aurait été utilisé pour surprendre le consentement de Maëva B..., la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, de quatrième part, qu'en se bornant à relever que Gaëlle C... faisait état de caresses et baisers accompagnés de propos déplacés, à connotation sexuelle, commis par contrainte alors qu'elle avait dix-sept ans, sans préciser en quoi aurait consisté cette contrainte, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
"alors, enfin, que l'autorité est une notion de fait qui s'apprécie de façon concrète d'après les circonstances de fait ; qu'en déduisant l'autorité de Joseph X... à l'égard de Maëva B... et Gaëlle C... du fait que les deux adolescentes avaient été confiées par la famille d'accueil D... à la famille d'accueil X... "pour la journée" (Maëva B...) ou "pour le temps des vacances" (Gaëlle C...), sans rechercher si, compte tenu de l'âge des jeunes filles (treize ans pour Maëva B... et dix-sept ans pour Gaëlle C...) et du caractère très bref et en tout cas non permanent de leur séjour dans la maison de la famille X..., celles-ci ne restaient pas soumises à l'autorité effective de leur propre famille d'accueil à laquelle elles pouvaient faire appel à tout moment, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale" ;
Sur le cinquième moyen de cassation, proposé pour Joseph X... et François X..., pris de la violation des articles 222-22, 222-23, 222-24, 222-27, 222-28 et 222-29 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué à ordonné la mise en accusation de François X... des chefs de viols commis sur la personne de Christelle Y..., et d'agressions sexuelles commises sur la personne de Corinne A..., mineures de quinze ans, par personne ayant autorité ;
"aux motifs que Christelle Y... expliquait de manière précise et réitérée avoir fait l'objet, dans la maison familiale de Contes, d'un acte de pénétration sexuelle commis sous la contrainte par François X..., alors qu'elle était âgée de douze ou treize ans (cf. arrêt p. 8, 1, et p. 10, 5) ; que Corinne A... fait état de caresses réalisées sans son consentement sur ses seins et ses fesses dans la piscine, dans l'atelier et dans la maison alors qu'elle avait treize et quatorze ans (cf. arrêt p. 11 6) ; que l'écart d'âge conséquent et sa position de fils de la famille d'accueil suffisent à établir l'existence d'un lien d'autorité entre François X... et les deux adolescentes au moment des faits (cf. arrêt p. 10 dernier, et p. 11 dernier) ;
"alors, d'une part, que le viol et l'agression sexuelle ne sont constitués que si l'auteur des faits a employé la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, éléments que les juges doivent caractériser ; qu'en se bornant à relever que Christelle Y... faisait état d'un acte de pénétration sexuelle commis avec violence, sans préciser en quoi aurait consisté cette violence alléguée par l'adolescente, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, qu'en se bornant à relever que Corinne A... faisait état de caresses réalisées sans son consentement sur ses seins et ses fesses, sans caractériser en quoi ces actes auraient été commis par violence, contrainte, menace ou surprise, et sans s'expliquer sur l'argumentation pertinente de François X... selon laquelle l'absence de violence ou contrainte et la signification ludique des actes résultaient des propres déclarations de la jeune fille qui admettait que c'était plutôt un jeu" (cf. procès-verbal de mise en présence, D. 62), la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, enfin, que l'autorité est une notion de fait qui s'apprécie de façon concrète d'après les circonstances particulières de l'espèce ; qu'en se bornant à déduire l'autorité de fait que François X... aurait exercée sur Christelle Y... et Corinne A... de la différence d'âge entre lui et les jeunes filles de la famille d'accueil, sans caractériser en quoi François X... aurait pu, en présence de ses parents qu'il n'a jamais été amené à remplacer, exercer une quelconque autorité sur les deux adolescentes, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les motifs de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, après avoir exposé les faits et répondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mémoire dont elle était saisie, a relevé l'existence de charges qu'elle a estimé suffisantes contre Joseph X... et François X... pour ordonner leur renvoi devant la cour d'assises sous l'accusation de viols et agressions sexuelles aggravés ;
Qu'en effet, les juridictions d'instruction apprécient souverainement si les faits retenus à la charge de la personne mise en examen sont constitutifs d'une infraction, la Cour de cassation n'ayant d'autre pouvoir que de vérifier si, à supposer ces faits établis, la qualification justifie la saisine de la juridiction de jugement ;
Que, dès lors, les moyens ne peuvent qu'être écartés ;
Et attendu que la procédure est régulière et que les faits, objet principal de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pelletier conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;