AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 24 octobre 2002) et les productions, que la société Sotira, créancière de la société Jeanneau pour la somme de 1 132 000 francs, garantie par une hypothèque maritime du 20 septembre 1995, enregistrée le 3 octobre 1995, en a confié le recouvrement à la société Sfac recouvrement aux droits de laquelle se trouve la société Euler Sfac recouvrement (société Sfac) ; que la société Jeanneau a été mise en redressement judiciaire par jugement du 2 novembre 1995 qui a fixé la date de cessation des paiements au 1er octobre 1995 ; que le juge-commissaire n'a admis la créance qu'à titre chirographaire au motif que l'hypothèque avait été enregistrée postérieurement à la cessation des paiements ; qu'ultérieurement, la société Sotira a assigné la société Sfac en indemnisation du préjudice qu'elle prétend avoir subi en raison des manquements de la société Sfac qui, en s'abstenant d'interjeter appel de l'ordonnance du juge commissaire, lui a fait perdre une chance de se prévaloir de l'hypothèque dans le cadre de la procédure collective ; que la cour d'appel a accueilli la demande ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :
Attendu que la société Sfac reproche à l'arrêt d'avoir ainsi statué alors, selon le moyen :
1 / que l'hypothèque sur un bâtiment de mer est rendue publique par l'inscription sur un registre spécial tenu par le conservateur des hypothèques maritimes ; que dès lors en l'espèce l'hypothèque maritime constituée par la société Jeanneau au profit de la société Sotira ayant été inscrite le 15 novembre 1995 à la conservation des hypothèques maritimes de Sète, en retenant que l'inscription de l'hypothèque maritime était datée du 3 octobre 1995 qui était la date de l'enregistrement de l'acte sous seing privé portant hypothèque maritime à la recette principale des Herbiers, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ensemble l'article 15 du décret n° 67-967 du 27 octobre 1967 ;
2 / que seules échappent à la nullité les sûretés qui ont été constituées avant la date de cessation des paiements mais ont été publiées avant le jugement d'ouverture de la procédure collective ; que, dès lors, en l'espèce l'hypothèque maritime garantissant la créance de la société Sotira ayant été publiée le 15 novembre 1995, soit après le jugement de redressement judiciaire de son débiteur la société Jeanneau en date du 2 novembre 1995, en se bornant, pour déclarer que l'ordonnance du juge-commissaire rejetant le caractère privilégié de la créance de la société Sotira était contestable, à relever sa motivation suivant laquelle la date d'enregistrement de l'acte portant hypothèque maritime était postérieure à la date de cessation des paiements, sans tenir compte de ce que la publication de cette hypothèque était intervenue après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire la décision du juge-commissaire était en fait justifiée, la cour d'appel a violé les articles L. 621-50 et L. 621-107 du Code de commerce ;
3 / qu'en outre la perte d'une chance de réussite d'une action en justice doit être réelle et sérieuse ; que dès lors en affirmant, pour retenir que la société Sfac avait fait perdre à sa cliente la société Sotira une chance de recouvrer partie de sa créance hypothécaire en ne lui conseillant pas d'interjeter appel de l'ordonnance du juge-commissaire qui avait refusé d'admettre le caractère privilégié de sa créance au motif que l'enregistrement de l'hypothèque maritime était postérieur à la date de cessation des paiements, que le moyen tiré de l'article 57 de la loi du 25 janvier 1985 n'ayant été soulevé ni par le débiteur ni par le représentant des créanciers, ni par le juge-commissaire et qu'il n'est pas certain qu'il aurait été soulevé d'office par la cour d'appel, la cour d'appel, qui a ignoré que l'inscription postérieure au jugement de redressement judiciaire étant manifeste aurait été invoquée en appel par le débiteur a fortiori par le représentant des créanciers qui pouvaient soulever des moyens nouveaux pour s'opposer à l'admission à titre privilégié de la créance, a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le moyen tiré de l'article 57 de la loi du 25 janvier 1985 n'ayant été soulevé ni par le débiteur, ni par le représentant des créanciers, ni par le juge commissaire, la cour d'appel, qui en a déduit qu'il ne pouvait être tenu pour certain qu'il aurait été soulevé devant le juge d'appel ou par lui, a fait ressortir que la société Sotira avait perdu une chance réelle et sérieuse d'être inscrite en qualité de créancier hypothécaire ; que l'arrêt, abstraction faite du motif erroné critiqué par les deux premières branches et qui n'encourt pas le grief de la troisième branche, est ainsi justifié ;
Et sur la quatrième branche :
Attendu que la société Sfac fait encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le moyen, qu'en toute hypothèse la réparation d'une perte de chance ne peut être égale à l'avantage qu'aurait prouvé (sic) (procuré ?) cette chance si elle s'était réalisée ; que dès lors en évaluant le préjudice subi par la société Sotira du fait de la perte de chance de recouvrer sa créance hypothécaire à la somme de 140 000 francs représentant la quote part affectée aux créanciers hypothécaires de son débiteur, déduction faite de l'indemnité versée par la société Sfac son assureur de crédit, la cour d'appel, qui lui a ainsi accordé l'intégralité de la somme qu'elle aurait obtenue dans le passif de son débiteur, a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que dès lors que l'indemnité allouée est inférieure à l'avantage qu'aurait procuré la chance si elle s'était réalisée, la cour d'appel, en statuant comme elle a fait, n'encourt pas les griefs du moyen ; que ce dernier n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sfac recouvrement aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Sfac recouvrement à payer à la société Sotira la somme de 1 800 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille quatre.