AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-sept octobre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Pierre,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 13ème chambre, en date du 24 novembre 2003, qui, pour agression sexuelle aggravée, l'a condamné à 4 ans d'emprisonnement dont 2 ans avec sursis et 5 ans d'interdiction d'exercice de la profession médicale, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 212-1 et R. 213- 6 et R. 213-7 du Code de l'organisation judiciaire, des articles 510 et 511 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était présidée par "M. Lifschutz, faisant fonction de président, désigné par ordonnance de Monsieur le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 8 septembre 2003" ;
"alors que toute accusation en matière pénale devant être examinée par un tribunal établi par la loi, la composition d'une formation de jugement doit être conforme aux dispositions législatives et réglementaires prévues à cet effet ; que tout arrêt devant faire la preuve par lui-même de la composition légale et réglementaire de la juridiction de laquelle il émane, la seule mention relative à un magistrat "conseiller faisant fonction de président", qui ne précise pas, au regard des dispositions des articles L. 212-1 et R. 213-7 du Code de l'organisation judiciaire, à quel titre le magistrat susnommé a été désigné dans les fonctions de président, ne permet pas d'établir que la juridiction est légalement établie ; que, dès lors, l'arrêt attaqué encourt la nullité" ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que lors des débats et du délibéré la chambre des appels correctionnels était présidée par M. Lifschutz, faisant fonction de président après désignation par le premier président de la cour d'appel en date du 8 septembre 2003, et que l'arrêt a été lu par ce magistrat ;
Attendu que ces mentions suffisent à établir que ledit magistrat a été régulièrement appelé à présider en l'empêchement du président titulaire ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-22 et 222-27 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pierre X... coupable d'agression sexuelle aggravée et l'a condamné à une peine de 4 ans d'emprisonnent dont deux ans assortis d'un sursis ;
"aux motifs qu'aucun élément de la procédure ne permet de confirmer l'état d'hypertension présenté par la patiente au moment de son auscultation par le docteur X... ; que le docteur X... a décidé de procéder à une injection intraveineuse d'un produit constitué par un mélange du contenu d'une ampoule de calcibronat et une demi ampoule de valium ; que les pièces du dossier et les débats révèlent l'anormalité de ce traitement prescrit à Nelly Y... ; que selon le rapport médico-légal décrit Nelly Y... il ne pouvait s'agir d'une crise hypertensive indiscutable puisqu'il n'existait pas de troubles neuro-sensoriels (
... ) ; qu'il souligne que l'injonction de valium était contre-indiquée ( ... ) ; que le mélange de valium avec d'autres produits dans la même seringue est par ailleurs à proscrire, de sorte que le calcibronat était, ipso facto, contre-indiqué ; que le docteur Z... souligne qu'à l'époque (où Jean-Pierre X... exerçait aux urgences), les injections de valium et de calcibronat étaient utilisées dans des situations tout à fait particulières de spasmophilie, de tétanie, d'angoisse, de petite agitation par exemple ; qu'en aucun cas elles n'étaient utilisées pour remédier à une hypertension ; que les observations recueillies au cours de la procédure auprès d'éminents médecins, à l'égard des expertises judiciaires, soulignent simplement que le valium et le calcibronat sont des produits utilisés séparément pour faire face à des situations d'une exceptionnelle intensité, relative à des crises de spasmophilie ou d'angoisse, à des états de stress aigu, avec pour résultat secondaire une amélioration nette de la tension artérielle ; que les témoignages des personnes présentes dans la salle d'attente en même temps de Nelly Y... ne soulignent aucun état d'agitation chez cette dernière ; que les faits décrits sont en outre à rapprocher des témoignages reçus d'autres patientes du docteur X... ;
que le docteur X... a infligé à Nelly Y... un traitement inadapté afin de l'affaiblir pour pratiquer sur elle des attouchements sexuels ;
"alors, d'une part, que les observations recueillies auprès de médecins auxquelles se réfère la cour d'appel certifient que le valium et le calcibronat peuvent être utilisés simultanément et que ce traitement n'est pas réservé à des situations exceptionnelles (attestations des docteurs A..., B..., C..., D...), qu'en conséquence, en relevant que ces observations soulignent simplement que ces deux produits sont utilisés séparément pour faire face à des situations d'une exceptionnelle gravité, la cour d'appel a dénaturé les pièces de la procédure et n'a pas légalement motivé sa décision ;
"alors, d'autre part, que l'attestation de Mme E..., présente dans la salle d'attente au moment des faits allégués, certifie que Nelly Y... était "très nerveuse, (qu'elle) regardait tout le temps dehors, sa montre, (qu'elle) bougeait sans arrêt" ;
qu'en conséquence, en se bornant à constater que les témoignages des personnes présentes dans la salle d'attente en même temps de Nelly Y... ne soulignent aucun état d'agitation chez cette dernière, sans préciser l'identité de ces témoins ni s'expliquer sur le témoignage inverse de Mme E..., la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;
"alors, en outre, qu'en se référant au témoignage de Pascale F... sans s'expliquer sur les attestations produites par Jean-Pierre X... certifiant de la personnalité déséquilibrée de cette dernière, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;
"alors, encore, que le délit d'agression sexuelle suppose l'emploi de violence, contrainte, menace ou surprise ; qu'en se bornant à relever l'emploi d'un procédé tendant à affaiblir la patiente, sans constater si cet affaiblissement avait contraint cette patiente à consentir aux attouchements, la cour d'appel a violé les articles 222-22 et 222-27 du Code pénal ;
"alors, enfin, que le délit d'agression sexuelle suppose l'emploi de violence, contrainte, menace ou surprise ; qu'en se bornant à relever que les attouchements sexuels allégués avaient été précédés de l'administration d'un traitement destiné à affaiblir la patiente, sans constater par quel procédé, dans cet état d'affaiblissement, le consentement de cette dernière aurait été surpris, la cour d'appel a violé les articles 222-22 et 222-27 du Code pénal" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et des circonstances de la cause, ainsi que des éléments contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 et 132-24 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Jean-Pierre X... à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis ;
"aux motifs que la peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux avec sursis, et la peine complémentaire d'interdiction d'exercer la profession de médecin pendant cinq ans sont justifiées par la gravité des faits et les renseignements de personnalité réunis sur le prévenu ;
"alors, d'une part, que le choix d'une peine d'emprisonnement sans sursis doit être spécialement motivé en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ; qu'en se limitant aux motifs abstraits et généraux tirés de la "gravité des faits" et des "renseignements de personnalité réunis sur le prévenu", sans préciser de quoi résultait la gravité des faits et quels étaient les éléments de la personnalité du prévenu justifiant le prononcé d'une peine de deux ans d'emprisonnement ferme, la cour d'appel a violé les articles 132-19 et 132-24 du Code pénal ;
"alors, d'autre part, que Jean-Pierre X... a versé aux débats plus de 47 attestations de bonne moralité émanant non seulement de confrères ou de patients, mais aussi de personnes rencontrées hors de l'exercice de sa profession ; qu'en conséquence, en se référant au motif abstrait et général tiré des "renseignements de personnalité réunis sur le prévenu" sans s'expliquer sur les pièces produites par ce dernier, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a prononcé une peine d'emprisonnement en partie sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l'article 132-19 du Code de procédure pénale ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles préliminaire, 465, 512 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble le principe de la présomption d'innocence ;
"en ce que la cour d'appel a décerné un mandat de dépôt à l'encontre de Jean-Pierre X... ;
"aux motifs que les circonstances de la commission des faits qui se sont déroulés dans l'exercice de l'activité professionnelle de ce médecin qui a abusé de sa fonction pour affaiblir, par un traitement dont l'anormalité a été démontrée, une patiente afin de l'agresser sexuellement, causent un trouble grave et intense à l'ordre public ; qu'en raison de l'ancienneté des faits, septembre 1998, de la nécessité d'assurer la répression dans des délais raisonnables, il échet de décerner un mandat de dépôt à l'encontre de Jean-Pierre X... ;
"alors, d'une part, que le mandat de dépôt doit être justifié par une mesure particulière de sûreté et n'a pas pour objet d'assurer la répression d'une infraction, au demeurant non définitivement constatée, dans des délais raisonnables ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé les textes précités ainsi que le principe de la présomption d'innocence ;
"alors, d'autre part, que la seule constatation d'un trouble grave et intense à l'ordre public sans justification de la nécessité, au regard de ce trouble, d'une privation de liberté, ne justifient pas le prononcé d'un mandat de dépôt ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé les textes précités" ;
Attendu que l'arrêt attaqué n'encourt pas le grief allégué dès lors que, conformément aux dispositions de l'article 465 du Code procédure pénale, applicables devant la cour d'appel, les magistrats ont décerné un mandat de dépôt à l'encontre du prévenu par une décision spéciale et motivée par la nécessité d'assurer la répression dans des délais raisonnables vu l'ancienneté des faits, qui remontent au mois de septembre 1998 ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;