La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/11/2004 | FRANCE | N°04-81601

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 novembre 2004, 04-81601


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois novembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, et de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Marie-Elise,

- X... Jean-Marc,

- X... Marie-Hélène,

épouse Y...,

- X... Véronique, épouse Z...,

- X... Denis, parties civiles ,

contre l' arrêt ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois novembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, et de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général COMMARET ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Marie-Elise,

- X... Jean-Marc,

- X... Marie-Hélène, épouse Y...,

- X... Véronique, épouse Z...,

- X... Denis, parties civiles ,

contre l' arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 29 janvier 2004, qui les a déboutés de leurs demandes après relaxe de Patrick A... et Pierre B... des chefs d'homicide involontaire, blessures involontaires contraventionnelles, infractions à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Pierre X..., chauffeur au service de la société A..., qui effectuait la livraison de deux poutrelles métalliques pesant 9 tonnes chacune sur un chantier de travaux publics ouvert par la société Gagne, a été tué par suite de la chute de l'une d'elle lors des opérations de déchargement auxquelles il participait ; qu'à la suite de cet accident, Patrick A..., président de l'entreprise de transport, et Pierre B..., président de la société Gagne ont été poursuivis, notamment, pour homicide involontaire et pour infraction aux dispositions du Code du travail relatives aux mesures destinées à empêcher les chutes d'objet et de matériaux ; qu'ils ont été retenus dans les liens de la prévention ; que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel, infirmant la décision entreprise, a relaxé les prévenus et débouté les parties civiles ;

En cet état :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, L. 231-2, L.263-2 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Patrick A... des fins de la poursuite exercée des chefs d'"homicide involontaire dans le cadre du travail" et d'"emploi de salarié sans prévoir de protection contre chute d'objet - bâtiment ou travaux publics" ;

"aux motifs que "l'examen du contrat souscrit entre les deux parties ne fait apparaître que la seule obligation d'assurer le transport des poutrelles métalliques jusqu'à la destination déterminée par le souscripteur, l'entreprise Gagne, le chargement ayant été assuré par des membres du personnel de l'entreprise Gagne et le déchargement devant l'être également par l'entreprise donneuse d'ordre ; que ces éléments ressortent des éléments du dossier et notamment des déclarations d'Yves C..., alors chef de chantier au sein de l'entreprise Gagne, qui était ainsi assisté de deux autres salariés, l'entreprise TMC et Patrick A... ne mettant à disposition que, d'une part, le chauffeur pour assurer le transport exceptionnel desdites poutrelles et, d'autre part, que des moyens consistant en la fourniture de grues pour assurer le déchargement ; que le fait de décider que le chauffeur aurait dû être éloigné de son camion qui a été relevé par le coordonnateur n'avait fait l'objet nulle part de prescriptions écrites dans le cadre d'un PPSP, qui était alors à la charge de l'entreprise demanderesse du service et n'existait pas en l'espèce ; que, dès lors, aucune faute caractérisée ne pouvant être reprochée à Patrick A... sur le fondement de l'article 121-3 du Code pénal, il sera renvoyé des fins de la poursuite" ;

"alors qu'aux termes clairs et précis du contrat passé le 14 octobre 1998 entre la Société Gagne et la Société TMC A..., la Société Gagne avait commandé à la Société TMC A... les prestations suivantes: "transports courants et exceptionnel de la totalité des ossatures de la passerelle, dont deux poutres ( ... ) ;

déchargement et mise en place sur le site à l'aide de grues spéciales avec chauffeurs de l'ensemble des ossatures ci-dessus" ; qu'en retenant que la Société TMC A... aurait été seulement chargée d'assurer le transport des poutrelles, et non leur déchargement, la cour d'appel a dénaturé le contrat susvisé" ;

Sur le deuxième moyen de cassation (subsidiaire), pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Patrick A... des fins de la poursuite exercée du chef d'"homicide involontaire dans le cadre du travail" ;

"aux motifs que "l'examen du contrat souscrit entre les deux parties ne fait apparaître que la seule obligation d'assurer le transport des poutrelles métalliques jusqu'à la destination déterminée par le souscripteur, l'entreprise Gagne, le chargement ayant été assuré par des membres du personnel de l'entreprise Gagne et le déchargement devant l'être également par l'entreprise donneuse d'ordre ; que ces éléments ressortent des éléments du dossier et notamment des déclarations d'Yves C..., alors chef de chantier au sein de l'entreprise Gagne, qui était ainsi assisté de deux autres salariés, l'entreprise TMC et Patrick A... ne mettant à disposition que, d'une part, le chauffeur pour assurer le transport exceptionnel desdites poutrelles et, d'autre part, que des moyens consistant en la fourniture de grues pour assurer le déchargement ; que le fait de décider que le chauffeur aurait dû être éloigné de son camion qui a été relevé par le coordonnateur n'avait fait l'objet nulle part de prescriptions écrites dans le cadre d'un PPSP , qui était alors à la charge de l'entreprise demanderesse du service et n'existait pas en l'espèce ; que, dès lors, aucune faute caractérisée ne pouvant être reprochée à Patrick A... sur le fondement de l'article 121-3 du Code pénal, il sera renvoyé des fins de la poursuite" ;

"alors que, selon l'arrêt attaqué, la Société TMC A... n'avait pas à procéder au déchargement des poutrelles, que Pierre X..., chauffeur du camion de transport, salarié de la Société TMC A..., avait pourtant été mortellement atteint, au cours des opérations de déchargement, par la chute d'une poutrelle ; que la cour d'appel ne pouvait dès lors pas relaxer Patrick A... du chef d'homicide involontaire, sans s'expliquer sur la présence inopinée de Pierre X... sur le chantier, au moment des opérations de déchargement, et sans rechercher, à cet égard, si Patrick A... avait négligé d'assurer la sécurité de Pierre X..., en ne lui interdisant pas de participer aux opérations de déchargement ou de se trouver sur le chantier au cours de ces opérations" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu que, pour renvoyer Patrick A... des fins de la poursuite, l'arrêt retient que la société A... n'avait que la seule obligation d'assurer le transport des poutrelles jusqu'à la destination déterminée par la société Gagne qui devait en assurer le déchargement ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans mieux s'expliquer sur les raisons pour lesquelles le chauffeur de la société A... avait pu se trouver sur le chantier au moment des opérations de déchargement et sans rechercher si le prévenu n'avait pas failli à ses obligations en matière de sécurité, notamment, en n'interdisant pas à ce salarié de participer à ces travaux ou de se trouver sur le chantier au cours de ces opérations, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 221-6 du Code pénal, L.231-2, L.263-2 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a renvoyé Pierre B... des fins de la poursuite exercée des chefs d' "homicide involontaire dans le cadre du travail" et d'"emploi de salarié sans prévoir de protection contre chute d'objet - bâtiment ou travaux publics" ;

"aux motifs que, "il ressort des éléments versés au dossier que Pierre B... avait délégué ses pouvoirs en matière de sécurité à Pierre D..., délégation parfaitement valable et répondant aux critères légaux et jurisprudentiels ; qu'au surplus, une délégation de pouvoir avait été consentie au chef de chantier, Yves C... qui avait commencé les opérations de déchargement sans se plaindre en quoi que ce soit d'un manque de moyens à son niveau ; que compte tenu de ces éléments, la responsabilité de Pierre B... ne saurait être davantage recherchée en l'espèce" ;

"alors que 1 ), un chef d'entreprise ne peut déléguer ses pouvoirs à plusieurs personnes pour l'exécution d'un même travail, un tel cumul étant de nature à restreindre l'autorité et à entraver les initiatives des prétendus délégataires ; que le juge du fond ne pouvait donc relaxer Pierre B... , représentant légal de la Société Gagne, au prétexte que des délégations de pouvoirs avaient été consenties à la fois à Pierre D... et à Yves C..., un tel cumul de délégations n'étant pas valable ;

"alors que 2 ), l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence, qu'en affirmant simplement que la délégation consentie à Pierre D... "répond(ait) aux critères légaux et jurisprudentiels", sans constater précisément que Pierre D... était pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour l'exercice des pouvoirs délégués, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision ;

"alors que 3 ), en jugeant valable la délégation de pouvoirs consentie à Yves C..., salarié de la Société Gagne, au seul motif qu'il avait commencé les opérations de déchargement "sans se plaindre en quoi que ce soit d'un manque de moyens à son niveau". sans rechercher s'il avait été en mesure d'assurer la sécurité sur le chantier, tout en procédant lui-même aux opérations de déchargement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors que 4 ), en jugeant valable la délégation de pouvoirs consentie à Yves C..., salarié de la Société Gagne, au seul motif qu'il avait commencé les opérations de déchargement "sans se plaindre en quoi que ce soit d'un manque de moyens à son niveau", sans même s'expliquer sur la présence de Pierre X... à proximité des poutrelles au cours du déchargement, et sans rechercher si Pierre X..., salarié de la Société TMC A..., avait dû en réalité participer aux opérations de déchargement, ce qui aurait mis en évidence l'insuffisance des moyens mis à la disposition d'Yves C... par la Société Gagne, pour mener à bien et en toute sécurité les opérations de déchargement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;

Vu l'article L. 263-2 du Code du travail ;

Attendu que, si le chef d'entreprise a la faculté de déléguer la direction d'un chantier à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des dispositions en vigueur, il ne peut, en revanche, déléguer ses pouvoirs à plusieurs personnes pour l'exécution d'un même travail, un tel cumul étant de nature à restreindre l'autorité et à entraver les initiatives de chacun des prétendus délégataires ;

Attendu que, pour renvoyer Pierre B... , président de la société Gagne des fins de la poursuite, l'arrêt retient que le prévenu a délégué ses pouvoirs en matière de sécurité à deux chefs de chantier ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et du principe ci-dessus énoncé ;

D'où il suit que la cassation est de nouveau encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE , en toutes ses dispositions civiles, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de CHAMBERY, en date du 29 janvier 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de CHAMBERY et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M . Joly conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Souchon ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 04-81601
Date de la décision : 23/11/2004
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

TRAVAIL - Hygiène et sécurité des travailleurs - Responsabilité pénale - Chef d'entreprise - Exonération - Cas - Délégation de pouvoirs - Cumul de délégations (non).

TRAVAIL - Responsabilité pénale - Chef d'entreprise - Exonération - Cas - Hygiène et sécurité des travailleurs - Délégation de pouvoirs - Cumul de délégations (non)

RESPONSABILITE PENALE - Chef d'entreprise - Exonération - Cas - Délégation de pouvoirs - Hygiène et sécurité des travailleurs - Cumul de délégations (non)

Si, en matière d'hygiène et de sécurité, le chef d'entreprise a la faculté de déléguer la direction d'un chantier à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des dispositions en vigueur, il ne peut, en revanche, déléguer ses pouvoirs à plusieurs personnes pour l'exécution d'un même travail, un tel cumul étant de nature à restreindre l'autorité et à entraver les initiatives de chacun des prétendus délégataires.


Références :

Code de procédure pénale 593
Code du travail L263-2
Code pénal 221-6

Décision attaquée : Cour d'appel de Chambéry, 29 janvier 2004

Dans le même sens que : Chambre criminelle, 1989-06-06, Bulletin criminel, n° 243, p. 608 (rejet).


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 nov. 2004, pourvoi n°04-81601, Bull. crim. criminel 2004 N° 295 p. 1107
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2004 N° 295 p. 1107

Composition du Tribunal
Président : M. Cotte
Avocat général : Mme Commaret.
Rapporteur ?: M. Valat.
Avocat(s) : la SCP Tiffreau, la SCP Piwnica et Molinié.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2004:04.81601
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award