AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept décembre deux mille quatre, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et URTIN-PETIT, de la société civile professionnelle BACHELLIER-POTIER de la VARDE, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jean-Noël,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 19 janvier 2004, qui, pour homicide involontaire, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement avec sursis, 2 ans d'interdiction professionnelle et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1 à 18 de l'arrêté du 22 juin 1998, 121-3, 221-6, 221-8 et 221-10 du Code pénal, 2, 3, 388, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Noël X... coupable d'homicide involontaire ;
"aux motifs propres que " le 7 septembre 2000, David Y... est décédé par noyade à proximité de l'île de Port Cros, alors qu'il effectuait une plongée dans le cadre d'un stage de niveau 1 organisé par la SARL Centre International de Plongée du Lavandou (CIP) dont le gérant est Jean-Noël X... ; que l'accident s'est produit au cours du quatrième jour de stage de David Y... et au cours de sa quatrième plongée, alors qu'il procédait, avec une autre stagiaire, Leslie Z..., et l'assistance d'un moniteur, Jean A..., à un exercice de vidage de masque à une profondeur de 15 mètres ;
qu'au cours de cet exercice, David Y..., manifestement pris de panique, a effectué une remontée non contrôlée en se débattant et en lâchant l'embout buccal de son détendeur, remontée que Jean A... n'a pas été capable de maîtriser et qui a provoqué la noyade de la victime ; qu'il ressort des déclarations de Jean A... et de Leslie Z... que la technique du vidage de masque n'avait pas été acquise par David Y... au cours des précédents exercices, condition pourtant indispensable à la plongée à une profondeur de 15 mètres au cours de laquelle celui-ci a trouvé la mort ; que Leslie Z... a en effet indiqué qu'au cours des précédentes plongées, David Y... avait refusé de recommencer cet exercice à une profondeur de 3 mètres, précisant "je pense qu'il a peur", et qu'il n'avait pu l'exécuter que partiellement à la profondeur de 5 mètres ;
qu'elle a ajouté que celui-ci lui avait fait part de son sentiment d'insécurité et de son état de stress ; que Jean A..., en charge des stagiaires et notamment de David Y..., n'a pas su apprécier ces éléments ni le risque encouru en conséquence par ce dernier du fait d'une plongée à une profondeur de 15 mètres qui ne correspondait pas à ses capacités ; qu'à l'issue de l'enquête, les services de la direction départementale de la jeunesse et des sports ont conclu que l'inexpérience pédagogique de Jean A... ne lui avait pas permis d'évaluer précisément le niveau technique acquis par l'élève au terme des trois plongées ayant précédé l'accident, que son positionnement trop éloigné par rapport à l'élève avait favorisé la remontée incontrôlée de celui-ci et que ses déclarations concernant l'assistance de la victime lors de la remontée faisaient envisager une formation insuffisante dans le domaine du sauvetage ; qu'à l'époque des faits, Jean A... effectuait lui-même un stage de formation pédagogique, dit stage d'encadrement, au CIP du Lavandou, sous la responsabilité de Jean-Noël X..., son moniteur, stage non rémunéré qui avait débuté le 1er septembre 2000, soit six jours seulement avant l'accident, pour s'achever le 15 septembre 2000 ; que, s'agissant de son premier stage d'encadrement, Jean A... n'avait alors aucune expérience pédagogique, ce que Jean- Noël X..., son moniteur de stage, ne pouvait ignorer ; que Jean A... a déclaré au cours de l'enquête :
"à aucun moment je n'ai eu de formation pédagogique au rôle de moniteur dispensé par Jean- Noël X... ; mon rôle se cantonnait à encadrer les clients ayant déjà un niveau de plongeur et, concernant le groupe de niveau 1 à former, je n'ai pas eu de réelle préparation à l'enseignement ; le but était d'encadrer sa clientèle ; durant mon stage, Jean-Noël X... est venu quelquefois plonger pour encadrer sa clientèle mais n'a jamais plongé avec moi ; d'ailleurs ni lui ni un brevet d'Etat employé par la société n'est venu voir si ma façon d'encadrer un groupe était bonne" ; que Jean-Noël X... n'a pas contesté ces déclarations ;
qu'en outre, au moment de l'accident, le rôle de directeur de plongée était assuré par Jorge B..., employé par Jean-Noël X... en qualité de marin pilote de bateau, qui, ayant éloigné son navire pour surveiller d'autres palanquées, n'avait aucune visibilité sur celle dirigée par Jean A..., lequel est resté seul avec ses deux stagiaires, David Y... et Leslie Z... ; que ce sont des plongeurs appartenant à un autre centre de plongée qui ont, vainement, tenté de porter secours à la victime, le bateau piloté par Jorge B... étant invisible depuis le lieu du drame ; qu'il ressort de l'ensemble des ces éléments que Jean A... qui effectuait un stage pédagogique non rémunéré dans le centre de plongée dirigé par Jean-Noël X..., son moniteur, responsable dudit stage, était en réalité employé, à peu de frais, par ce dernier, pour procéder à la formation et à l'encadrement de ses clients sans pouvoir lui-même bénéficier de la formation et de l'encadrement que nécessitaient son statut de stagiaire, son inexpérience et, par voie de conséquence, la sécurité des clients ; qu'il appartenait à Jean- Noël X..., en sa qualité de moniteur responsable du stage de Jean A..., de fournir à celui-ci la formation et l'encadrement nécessaires et, en sa qualité de dirigeant du Centre International de Plongée du Lavandou, de prendre toutes mesures utiles, notamment en employant du personnel qualifié, pour éviter un accident à l'occasion de l'activité de plongée sous-marine organisée par ce centre, activité dont la dangerosité est manifeste et qui exposait ses clients, particulièrement ceux de niveau 1, tel David Y..., inexpérimentés en la matière, à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ; qu'en s'abstenant de prendre ces mesures, et notamment en laissant Jean A..., moniteur stagiaire dépourvu de toute expérience et de toute formation pédagogique, diriger seul le stage de niveau 1 de David Y..., il a commis une faute caractérisée au sens de l'article 121-3 du Code pénal issu de la loi du 10 juillet 2000, qui a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation de l'accident dont ce dernier a été victime " (arrêt, pages 5 à 7) ;
"et aux motifs, adoptés des premiers juges, que : " la palanquée à laquelle appartenait la victime était placée sous la responsabilité pédagogique du moniteur Jean A..., en cours de formation ; que le formateur a pris l'initiative d'installer les deux plongeurs sur un fond de quinze mètres pour réaliser l'exercice prévu ; qu'il est cependant admis par les professionnels de la discipline que la profondeur de six mètres ne doit pas être dépassée pour ce niveau de formation ; que de surcroît, l'élève David Y... n'avait pas maîtrisé l'exercice envisagé lorsque celui-ci avait été tenté à une profondeur de trois mètres ; qu'il en est résulté une remontée en panique, suivie d'une noyade, avant que la victime ait pu être prise en charge par l'embarcation d'assistance en poste en surface ; que l'exercice dans le cadre duquel l'accident est survenu s'est déroulé sur un fond inadapté ; que lors de la remontée panique de l'élève, le moniteur n'a pas appliqué les consignes de sécurité prévoyant le maintien de l'embout en bouche ; que le moniteur admet par ailleurs avoir utilisé pour l'exercice un site qu'il ne connaissait pas ; que sa responsabilité est engagée dans les conséquences mortelles de l'accident survenu ; qu'il convient d'entrer en voie de condamnation à son encontre ; que par ailleurs, le moniteur en formation fait état du fait qu'il n'était présent sur le centre de formation que depuis peu de temps, en l'espèce une semaine, qu'il n'avait pas eu le temps de se familiariser avec les divers sites de plongée, qu'il donnait ses premiers cours à des élèves, les autres sorties ayant consisté en de l'accompagnement de plongées d'exploration ; qu'il n'avait pas obtenu auprès du directeur du centre ou du personnel en sous ordre l'encadrement pédagogique nécessaire à sa formation avant la survenue de l'accident ; que la partie civile C..., compagne de la victime, indiquait que le stage de formation auquel elle participait avec son ami David Y... ne se déroulait pas de manière satisfaisante ; que les cours se suivaient à cadence élevée et qu'elle avait renoncé à poursuivre la formation ; qu'elle avait rencontré avec son ami le chef du centre, Jean-Noël X..., mais que celui-ci avait refusé de rembourser le prix de l'inscription, indiquant que le personnel pédagogique correspondant était déjà engagé ; que David Y... avait décidé de poursuivre sans elle bien qu'elle ait constaté qu'il était inquiet des conditions de la plongée qui allait lui être fatale ;
que le prévenu Jean-Noël X... se retranche derrière l'organisation du stage conforme aux prescriptions réglementaires ; qu'il indique avoir mis en place, tant au fond qu'en surface, le personnel suffisant, qu'il estime que l'accident est intégralement imputable au formateur Jean A... qui n'a pas respecté les profondeurs imposées et de surcroît a menti sur les circonstances de la plongée, notamment en disant qu'il se trouvait sur un fond de six mètres, alors que l'enregistreur de profondeur porté par le moniteur mentionnait quinze mètres ; mais attendu qu'il appartenait à Jean- Noël X... de s'assurer que le personnel qu'il employait sur son centre disposait des connaissances suffisantes des fonds utilisés pour parer à toutes éventualités ; qu'il apparaît que l'emploi du temps de son moniteur stagiaire ne permettait pas à ce dernier de remplir l'emploi du temps qui lui était imposé en même temps qu'il devait découvrir le cadre naturel d'un lieu de plongée sur lequel il n'évoluait que depuis une semaine ; que par ailleurs, en refusant de rembourser les frais d'inscription à la future victime, qui venait lui exposer son incapacité à clôturer sa formation, il l'a induit à poursuivre les plongées dans un état de stress croissant qui a contribué à l'accident mortel ; qu'il a par ces motifs contribué à la réalisation de l'accident et qu'il doit en être tenu responsable " (jugement, pages 7 à 9) ;
"alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux ; qu'en l'espèce, aux termes de la citation du 25 janvier 2001, qui seule fixait les limites de la prévention, il était reproché à Jean-Noël X... d'avoir, le 7 septembre 2000, involontairement causé la mort de David Y..., en utilisant dans une structure commerciale un stagiaire inexpérimenté, à savoir Jean A..., placé précocement en situation d'autonomie pendant une période d'intense activité, et en assurant mal la sécurité surface en employant un pilote dépourvu du certificat d'acquisition pour la conduite d'un navire ayant un rôle d'équipage ; que, dès lors, en se déterminant par la circonstance que Jean-Noël X..., qui aurait refusé de rembourser les frais d'inscription à la future victime, aurait ainsi induit celle-ci à poursuivre les plongées dans un état de stress croissant qui avait contribué à l'accident mortel, la cour d'appel, qui a retenu à la charge dudit prévenu des faits non visés à la prévention, et sur lesquels il ne résulte pas de l'arrêt qu'il ait accepté d'être jugé, a violé l'article 388 du Code de procédure pénale ;
"alors que, pour caractériser, conformément à l'article 121-3 alinéa 2 du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000, le délit d'homicide involontaire, la faute d'imprudence ayant directement causé le dommage implique que l'auteur des faits n'avait pas accompli les diligences normales compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'en l'espèce, pour retenir Jean-Noël X... dans les liens de la prévention, la cour d'appel a estimé que Jean-Noël X..., directeur du centre de plongée, n'avait pas fourni à Jean A..., moniteur, la formation nécessaire devant lui permettre de diriger le stage de niveau 1 de la victime, David Y... ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant par ailleurs que Jean A..., en charge des stagiaires, avait lui même commis une imprudence constitutive du délit d'homicide involontaire en ne sachant pas apprécier les risques inhérents à la plongée ni les capacités de David Y..., ce dont il résultait nécessairement que Jean A... disposait des compétences suffisantes pour diriger le stage de formation des plongeurs et, partant, que Jean-Noël X... n'avait commis aucune imprudence en confiant à ce moniteur la charge des stagiaires, la cour d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les textes susvisés ;
"alors qu'il résultait, d'une part, du procès-verbal d'audition de Jean A... en date du 8 septembre 2000, d'autre part du procès-verbal d'audition de Jorge B... du 21 août 2001 que depuis le 1er septembre 2000, Jean A..., plongeur niveau IV, suivait effectivement, au sein du centre de plongée dirigé par le demandeur, un stage pédagogique lui conférant des prérogatives d'enseignement, et que cette formation, délivrée par Jorge B..., titulaire du Brevet d'Etat d'éducateur sportif 1er degré, était constituée de débriefings en fins de séance, ainsi que de préparations des séances suivantes au sein d'une équipe de moniteurs ; que dès lors, en se déterminant par la circonstance que Jean A... n'avait reçu aucune formation pédagogique susceptible de lui permettre de diriger le stage des plongeurs niveau 1, la cour d'appel, qui a dénaturé les témoignages figurant au dossier, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Valat conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;