La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- M. Youcef X...,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Reims en date du 18 mars 2004 qui lui a alloué une indemnité de 3.600 euros au titre de son préjudice matériel et celle de 9.000 euros au titre de son préjudice moral sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 19 novembre 2004, le demandeur et son avocat ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. Miravete, avocat au barreau de Reims représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de Cassation ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
M. X..., bien que régulièrement convoqué, ne comparaît pas et ne s'est pas excusé. Il est représenté à l'audience par M. Michelet avocat au barreau de Reims conformément aux dispositions de l'article R.40-5 du Code de procédure pénale ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Nési, les observations de M. Michelet, avocat du demandeur et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Finielz, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION :
Attendu que par décision du 18 mars 2004 le premier président de la cour d'appel de Reims a alloué à M. X... une somme de 3.600 euros en réparation du préjudice matériel et une somme de 9.000 euros au titre du préjudice moral à raison d'une détention de 9 mois et un jour effectuée du 30 avril 1999 au 31 janvier 2000 pour des faits qui ont fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu ainsi qu'une indemnité de 800 en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'intéressé et l'agent judiciaire du Trésor ont régulièrement formé un recours contre cette décision ; que M. X... demande que l'indemnité pour préjudice matériel soit portée à 22.867, 35 euros, celle pour préjudice moral à 30.500 euros et celle au titre de l'article 700 à 2.250 euros ; qu'il sollicite également de la Commission nationale une nouvelle indemnité de ce chef, d'un montant équivalent ;
Attendu que l'agent judiciaire conclut uniquement au rejet de la demande présentée au titre du préjudice matériel ;
Vu les articles 149 à 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive ; que, selon l'article 149 précité, l'indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que pour évaluer le préjudice matériel de M. X..., le premier président a écarté l'offre d'embauche de la société Nicopack en date du 25 mai 1999 qu'il a estimé peu crédible eu égard au montant du salaire offert et au fait qu'elle avait été produite à l'appui d'une demande de mise en liberté ; qu'il a en revanche retenu l'existence d'une perte de chance de trouver un emploi qu'il a évaluée à 400 euros par mois et limitée à la période de détention ;
Attendu que M. X... maintient que son préjudice économique correspond à la perte du salaire figurant dans l'offre de la société Nicopack depuis juin 1999, date à laquelle il aurait du être embauché jusqu'au 21 août, date à laquelle il a repris une activité, soit une période de quinze mois ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor considère pour sa part que les éléments de personnalité relevés par la décision critiquée vont à l'encontre de l'existence même d'un préjudice matériel et qu'il n'est pas démontré de volonté réelle du requérant de trouver une activité professionnelle régulière et non dissimulée;
Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats que la lettre de la société Nicopack du 25 mai 1999 contient une décision ferme d'embauche à partir du 1er juin 1999, pour une durée indéterminée et pour un salaire de base de 10.000 francs qui n'apparaît pas manifestement disproportionné par rapport à certaines rémunérations antérieures de M. X... comme ouvrier spécialisé ou au salaire perçu par celui-ci lors de sa reprise d'activité en août 2000 ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor n'établit aucunement qu'il s'agirait d'un document de complaisance alors que par une attestation du 2 juin 2004, le directeur de la société Nicopack a réaffirmé la réalité de cette proposition ;
Attendu qu'il y a lieu en conséquence d'accueillir le recours de M. X... et de lui allouer l'indemnité qu'il réclame au titre de son préjudice matériel, celle-ci correspondant à la rémunération mensuelle qu'il avait la certitude de percevoir à compter du 1er juin 1999 et couvrant une période d'inactivité qui peut être considérée en totalité comme imputable à la détention ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que le premier président a justifié la somme de 9.000 allouée en retenant, comme élément majorant le préjudice, la séparation d'avec un enfant nouveau-né, et comme facteur d'atténuation, la personnalité de l'intéressé, connu des services de police et vivant d'expédients d'où il tirait un train de vie supérieur à celui des garçons de son âge ;
Attendu que seul M. X... critique cette évaluation en faisant notamment valoir que son incarcération serait à l'origine de sa séparation d'avec sa concubine ;
Mais attendu que cet élément, qui n'est étayé par aucune des attestations produites, a été écarté à juste titre par le premier président ;
Qu'en revanche, l'âge de l'intéressé au moment de son incarcération, la durée de sa détention, son absence d'incarcération antérieure et la séparation d'avec son enfant justifient que l'indemnité assurant la réparation intégrale du préjudice moral de M. X... soit fixée à 13.500 euros ;
Qu'il y a lieu d'accueillir son recours également de ce chef ;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que M. X... ne fournissant aucun argument ni document à l'appui de sa contestation, il convient de confirmer l'indemnité allouée à ce titre ;
Attendu qu'il y a lieu d'accorder au requérant, au titre de la présente procédure, une indemnité de 800 euros ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le recours de l'agent judiciaire du Trésor ;
ACCUEILLE le recours formé par M. Youcef X... des chefs du préjudice moral et du préjudice matériel, et statuant à nouveau :
ALLOUE à M. Youcef X... la somme de 22.867, 35 (vingt deux mille huit cent soixante sept euros, trente cinq centimes) au titre de son préjudice matériel et celle de 13.500 (treize mille cinq cents euros) au titre de son préjudice moral ;
LE REJETTE pour le surplus ;
ALLOUE à M. Youcef X... la somme de 800 (huit cents euros) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique par la Commission nationale de réparation des détentions, le 17 décembre 2004 où étaient présents : M. Canivet, président, Mme Nési, conseiller rapporteur, M. Gueudet, conseiller, M. Finielz, avocat général, Mme Grosjean, greffier.
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier.