AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre janvier deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller GUIRIMAND, les observations de la société civile professionnelle ROGER et SEVAUX, de la société civile professionnelle GATINEAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LE COMITE D'ETABLISSEMENT DE L'USINE DE SAINT-JEAN DE MAURIENNE DE LA SOCIETE ALUMINIUM PECHINEY,
- LE SYNDICAT CGT DE L'ETABLISSEMENT DE L'USINE DE SAINT-JEAN DE MAURIENNE DE LA SOCIETE ALUMINIUM PECHINEY,
- X...
Y... Jean-Paul,
- Z... Eric,
- A... Patrice,
- B... Daniel,
- C... Paul,
- D... Jacques,
- E... Jean-Jacques,
- F... Jean-Jacques,
- G... Jean,
- H... Lionel,
- I... André,
- J... André,
- K... Jean-Michel,
- L... François,
- M... José,
- N... Georges,
parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CHAMBERY, chambre correctionnelle, en date du 13 novembre 2003, qui les a déboutés de leur demande après relaxe de Laurent O..., Marc P... et Patrick Q... des chefs d'entrave à l'exercice du droit syndical, à l'exercice régulier des fonctions de délégué du personnel et au fonctionnement régulier du comité d'établissement, et divulgation illégale d'informations nominatives ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-22 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale,défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établie la prévention de divulgation illégale d'informations nominatives ,
"aux motifs que le document examiné comporte un tableau indiquant les noms des délégués du personnel s'étant fait rembourser des frais de déplacement par leur employeur, exposés à l'occasion de l'exercice de leur mandat, ainsi que le montant individualisé de ces sommes ; qu'il apparaît que la diffusion de ce document, au surplus limitée à la seule enceinte de l'entreprise, n'est pas de nature en elle-même à attenter à la considération des personnes concernées dès lors que les informations chiffrées qui y figurent sont exactes et qu'il n'y a nul déshonneur, ni secret protégeable, s'agissant pour un délégué du personnel de se faire rembourser par son employeur des frais de déplacement par lui avancés dans l'accomplissement de sa fonction élective et que, par ailleurs, la perception de ces sommes n'est pas en soi rattachable à l'intimité de la vie privée, notion qui renvoie au secret protecteur de l'individu dans les aspects strictement personnels de son existence alors qu'en l'espèce, la nécessaire transparence conduit à considérer que le délégué du personnel ne doit pas craindre que soient diffusés dans son entreprise, notamment auprès de ceux qui l'ont élu, des éléments mathématiques concernant le remboursement de ses frais de déplacement exposés à l'occasion de son mandat ;
"alors, d'une part, que relève de l'intimité de la vie privée toute information ne portant pas sur un fait apparent et dont aucun principe fondamental ni disposition légale n'impose ou n'autorise la divulgation ce qui est nécessairement le cas de données relatives au montant des remboursements de frais perçus par des représentants du personnel à l'occasion de l'exercice de leurs mandats et dont la divulgation ne saurait être considérée comme répondant au droit légitime d'information des salariés s'agissant d'éléments chiffrés qui ne sauraient permettre de connaître l'importance de l'activité déployée par ces représentants ; qu'en décidant du contraire la Cour a entaché sa décision d'un manque de base légale ;
"et alors, d'autre part, que le délit de l'article 226-22 du Code pénal se trouvant également constitué en cas de divulgation illégale d'informations nominatives ayant pour effet de porter atteinte à la considération de l'intéressé, la Cour qui a considéré que tel n'était pas le cas en l'espèce sans rechercher comme l'y invitaient pourtant les conclusions des parties civiles si la diffusion d'informations individualisées sur le montant des remboursements perçus par les délégués avec indication du montant considéré par l'URSSAF comme soumis au régime des salaires n'était pas de nature à accréditer l'idée d'avantages octroyés aux représentants du personnel et à jeter ainsi le discrédit sur leurs fonctions, n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 226-22 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré non établie la prévention de divulgation illégale d'informations nominatives ;
"aux motifs qu'à supposer erronée l'analyse qui précède, il demeure que les informations en cause ont été diffusées auprès des personnes qui avaient qualité pour les recevoir, au sens de l'article 226-22 du Code pénal, dès lors qu'en étaient seulement destinataires des services ou des agents qui, à titre professionnel ou syndical, étaient intéressés par le problème qui se posait au sujet des frais de déplacement, l'URSSAF refusant de les prendre en compte dans le calcul des cotisations sociales lorsque n'était produit aucun justificatif de la dépense engagée ;
qu'ainsi le document examiné contenait des informations sur le montant individuel des frais de déplacement remboursé à tel délégué syndical nommément désigné auxquelles les destinataires pouvaient accéder par d'autres voies, soit parce qu'ils étaient investis de fonctions de direction, soit parce qu'ils avaient assisté à la réunion où la question a été abordée et au cours de laquelle a circulé le tableau nominatif, soit parce qu'ils étaient en charge d'appliquer les nouvelles modalités de traitement imposées par l'URSSAF ;
"alors que la Cour qui s'est abstenue de répondre à l'argument péremptoire des conclusions des parties civiles qui, se fondant sur les énonciations mêmes de la note en cause, faisaient valoir qu'elle avait été distribuée à diverses catégories de personnel et notamment les ingénieurs et contremaîtres ne pouvant se prévaloir d'aucune qualité leur donnant droit à l'accès à ces informations, qualité qui ne saurait au demeurant être confondue avec le simple intérêt, n'a pas justifié de sa décision considérant que l'élément constitutif du délit tenant à l'absence de qualité du ou des destinataires des informations nominatives faisait défaut en l'espèce" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Laurent O..., Marc P... et Patrick Q..., respectivement chef d'établissement, directeur et directeur-adjoint des ressources humaines d'un établissement de la société Aluminium Pechiney, ont été poursuivis, sur le fondement de l'article 226-22 du Code pénal, pour avoir irrégulièrement diffusé au sein de l'entreprise un document intitulé "Compte-rendu de la réunion du 24 janvier 2000" comportant le détail du remboursement des frais de déplacement de chacun des représentants du personnel en 1995 et 1996, postérieurement à un redressement opéré par l'URSSAF au motif que les sommes versées constituaient en réalité pour partie des salaires ;
Attendu que, pour dire la prévention non établie de ce chef, l'arrêt attaqué prononce par les motifs exactement repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui, répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle était saisie, a, à bon droit, retenu que la divulgation du document litigieux ne portait atteinte ni à la considération ni a l'intimité de la vie privée des représentants du personnel concernés et que l'un des éléments matériels du délit poursuivi faisait défaut, a donné une base légale à sa décision ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 482-1, L. 481-2, L. 483-1 et R. 434-1 du Code du travail, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision des premiers juges déclarant non établie la prévention d'entrave à l'exercice des droits syndicaux, aux fonctions de délégués du personnel et au fonctionnement du comité d'établissement ;
"aux motifs que si, selon l'article R. 434-1 du Code du travail, la rédaction des procès-verbaux de réunion du comité d'entreprise incombe à son secrétaire, le document incriminé n'est aucunement assimilable à un procès-verbal unilatéralement établi par l'employeur et susceptible d'attenter aux prérogatives des représentants du personnel ou au fonctionnement du comité d'entreprise, aucune confusion n'étant possible sur sa provenance et l'identité de ses auteurs ; qu'au demeurant a de fait été établi et d'ailleurs versé au dossier, par un délégué du personnel, le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise qui s'est tenue le 24 janvier 2000 ; que les deux documents sont bien distincts et le lecteur peut sans hésitation savoir à qui attribuer la paternité de chacun ; qu'aucun texte n'interdit à l'employeur de faire connaître à ses salariés des informations mêmes retranscrites de manière subjective sous son propre prisme, sur des questions débattues au comité d'établissement et dont les représentants du personnel n'ont nul monopole légalement protégé quant à la diffusion auprès de leurs collègues ; que le document incriminé à tort est rattaché à l'exercice de la liberté d'expression constitutionnellement affirmé et dont l'employeur comme les délégués du personnel, peuvent faire usage pourvu qu'ils ne commettent pas d'abus à cette occasion, aucun excès pénalement qualifiable n'étant caractérisé en l'espèce ;
"alors, d'une part, que le document litigieux étant rédigé à l'entête de la société, mais sans identifier son auteur, la cour d'appel ne pouvait estimer que le lecteur pouvait sans ambiguïté savoir à qui en attribuer la paternité et comprendre en conséquence qu'il n'était pas en face du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise qui y était rapportée, sans expliquer en quoi aucune confusion n'était possible à ce titre ;
"alors, d'autre part, subsidiairement, qu'en rédigeant et en faisant afficher un document qui reprenait une à une les questions inscrites à l'ordre du jour de la réunion du comité d'établissement, en indiquant pour chacune d'elle la réponse apportée par le comité aux uestions de la direction, et ce sans ajouter le moindre commentaire, et qui, par conséquent, présentait la forme d'un procès-verbal, l'employeur a violé les dispositions de l'article R. 434-1 du Code du travail réservant au seul secrétaire du comité le soin de rédiger le procès-verbal des réunions du comité, et, par la nécessaire confusion ainsi créée, commis le délit d'entrave ; que la Cour qui pour décider du contraire s'est fondée sur la seule indication de l'identité de l'auteur de ce document pour en déduire l'absence de toute confusion possible chez le lecteur n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, enfin, que la Cour ne pouvait d'avantage prétendre se fonder sur le principe de la liberté d'expression pour exclure tout délit d'entrave dès lors qu'il résultait du document en cause ainsi que le faisaient valoir les parties civiles dans leurs conclusions délaissées, qu'il ne contenait pas le moindre commentaire, ni, par conséquent, de quelconque manifestation d'expression, mais tendait uniquement à présenter sous une forme apparemment objective des informations énaturées" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des délits d'entrave n'était pas rapportée, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant les parties civiles de leurs prétentions ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Guirimand conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;