AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre janvier deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller POMETAN, les observations de la société civile professionnelle TIFFREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DAVENAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Frédéric,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7ème chambre, en date du 10 mai 2004, qui, pour blessures involontaires, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 222-19 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Frédéric X... coupable de blessures involontaires ayant causé une incapacité de plus de trois mois dans le cadre du travail ;
"aux motifs que, "le 29 avril 1998, Jean-Luc Y..., chauffeur routier salarié de la société TFE dont Maurice Z... était le responsable, a été victime d'un accident alors qu'il procédait à une livraison au magasin du Centre Leclerc de Hyères dirigé par Frédéric X... et appartenant à la SA Hyerdis ;
""qu'aucun salarié de ce magasin n'ayant voulu prendre en charge la cargaison de viande d'un poids d'environ 400 kilos destinées à cet établissement, Jean-Luc Y... a tenté de décharger seul le chariot supportant ladite cargaison, lequel, alors qu'il se trouvait sur le hayon élévateur du camion en position basse, s'est renversé sur lui, le blessant aux jambes ;
""qu'à la suite de cet accident, Jean-Luc Y... a subi une incapacité totale de travail de 4 mois ;
""qu'il résulte du procès-verbal dressé par Valérie A..., inspecteur du Travail des transports du département du Var, que le magasin Leclerc ne disposait pas d'un quai de déchargement, que l'emplacement réservé à cet usage, où s'était produit l'accident situé à l'arrière du magasin, était exigu et encombré de cartons, que le sol y était accidenté, que la configuration des lieux et son encombrement rendaient difficiles aux chauffeurs les manoeuvres et la manutention des chariots, qu'enfin, aucun protocole de sécurité n'avait été établi entre la société TFE et la direction du magasin Leclerc, ce en violation des dispositions de l'arrêté du 26 avril 1996 relatif aux règles de sécurité applicables aux opérations de déchargement et de déchargement effectuées par une entreprise extérieure ;
""qu'en effet, aux termes de l'article 2 de ce décret, ces opérations doivent faire l'objet d'un document écrit dit "protocole de sécurité" remplaçant le plan de prévention prévu aux articles R. 237-7 et suivants du Code du travail et comprenant toutes les indications et informations utiles à l'évaluation des risques de toute nature générés par l'opération et les mesures de prévention et de sécurité devant être observées à chacune des phases de sa réalisation ;
""que ces informations concernent, notamment, pour le magasin Leclerc, entreprise d'accueil : ""- les consignes de sécurité et particulièrement celles qui concernent l'opération de chargement ou de déchargement ;
""- le lieu de livraison ou de prise en charge, les modalités d'accès et de stationnement aux postes de chargement ou de déchargement accompagnées d'un plan et des consignes de circulation ;
""- les matériels et engins spécifiques utilisés pour le chargement ou le déchargement ;
""- l'identité du responsable désigné par l'entreprise d'accueil auquel l'employeur délègue ses attributions conformément à l'article R. 237-3 du Code du travail ;
""que Frédéric X..., entendu par procès-verbal de police du 9 mai 2001, a reconnu que ce protocole de sécurité, dont l'établissement lui incombait en sa qualité de directeur du magasin Leclerc de Hyères titulaire d'une délégation de pouvoirs signée le 24 décembre 1991 par le président directeur général de la SA Hyerdis propriétaire de ce magasin, n'avait pas été signé à la date de l'accident ;
""que, depuis les faits, est entrée en vigueur la loi du 10 juillet 2000 tendant à définir les délits non intentionnels, ayant modifié l'article 121- 3 du Code pénal (...) ;
""que les faits reprochés au prévenu doivent être examinés au regard de ces dispositions nouvelles plus favorables d'application immédiate ;
""qu'il ressort de la procédure que l'accident dont Jean-Luc Y... a été victime est dû au fait qu'il déchargeait, seul, un chariot portant une charge d'environ 400 kilos à l'emplacement du magasin réservé à cet usage où la manutention des chariots était rendue difficile par l'exiguïté des lieux, leur encombrement et le caractère accidenté du sol ;
""que l'établissement du protocole de sécurité prévu par l'arrêté du 26 avril 1996 définissant, comme le prescrit ce texte, les consignes de sécurité concernant les opérations de déchargement, le lieu de livraison, les modalités d'accès aux postes de déchargement, les matériels et engins spécifiques utilisés pour le déchargement et l'identité du responsable désigné par le magasin Leclerc pour veiller à ces opérations aurait permis d'éviter cet accident ;
""qu'en omettant d'établir ce protocole, obligation qui lui incombait personnellement en sa qualité de directeur du magasin Leclerc, entreprise d'accueil, titulaire d'une délégation de pouvoirs, le prévenu a commis une faute caractérisée au sens de l'article 121-3 du Code pénal issu de la loi du 10 juillet 2000 qui exposait les personnes chargées des opérations de chargement et de déchargement à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer et qui a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation de l'accident dont Jean-Luc Y... a été victime" ;
"alors que 1 ), il est constant que Jean-Luc Y... a été blessé en tentant de décharger seul un chariot supportant une cargaison, lequel, alors qu'il se trouvait sur le hayon élévateur de son camion en position basse, s'est renversé sur lui ; qu'en déclarant Frédéric X... coupable de blessures involontaires, motif pris de l'absence d'un protocole de sécurité, sans se prononcer davantage sur la manière dont Jean-Luc Y... avait manoeuvré son chariot, et sans rechercher ainsi, comme elle y était invitée, si l'accident litigieux avait pour cause exclusive un maniement défectueux de la part du salarié, sans pouvoir être imputé au prévenu, fût-ce indirectement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
"alors que 2 ), subsidiairement, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; qu'en reprochant à Frédéric X... une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il n'aurait pu ignorer, sans rechercher si d'autres accidents s'étaient produits dans le passé et si, dès lors, Frédéric X... avait pu prendre conscience d'un risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, dont il se déduit que l'accident n'avait pas eu pour cause exclusive une faute de la victime, mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit de blessures involontaires prévu et réprimé par l'article 222-19 du Code pénal ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Cotte président, M. Pometan conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;