AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 février 2004), qu'afin de formuler une offre d'exécution d'un marché public portant sur une installation de cogénération dont la production était destinée à être mise à disposition d'Electricité de France (EDF), la société Sinerg a demandé l'évaluation du coût de raccordement au réseau ; que, par courrier du 4 septembre 1997, EDF a mentionné un prix de 120 000 francs ; que la société Sinerg ayant été choisie pour réaliser l'installation, EDF l'a informée, par lettre du 17 juillet 1998, que le coût serait en réalité de 4 017 866,07 francs hors taxes, les travaux étant finalement facturés, selon courrier du 3 décembre 1999, à la somme de 2 450 448,89 francs hors taxes ; que la société Sinerg a porté le différend financier résultant de cette facturation devant la Commission de régulation de l'énergie (la CRE), dont la décision a été frappée de recours par EDF ; que la cour d'appel a annulé cette décision pour violation du contradictoire, et dit que le différend serait réglé conformément aux conditions énoncées par EDF dans sa lettre du 17 juillet 1998 ;
Sur les observations déposées par la CRE :
Attendu qu'aucun texte ni principe n'habilite la CRE à présenter des observations sur le pourvoi formé contre l'arrêt rendu à la suite du recours formé contre l'une de ses décisions ; que ces observations sont irrecevables ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Sinerg fait grief à l'arrêt d'avoir annulé la décision de la CRE et d'avoir déclaré irrecevables les exceptions et fins de non recevoir soulevées par cette Commission, alors, selon le moyen :
1 / que la CRE, en sa qualité d'autorité administrative indépendante, tient de la loi le pouvoir, sur le recours contre ses décisions, d'être présente à la procédure et de présenter toutes observations de fait ou de droit, relatives, tant à son pouvoir de régulation, qu'à la décision attaquée, qui constituent autant de moyens auxquels la cour d'appel de Paris est tenue de répondre, si bien qu'en déclarant irrecevables les exceptions et fins de non recevoir soulevées par la CRE dans ses observations écrites, les juges d'appel ont violé l'article 38 de la loi du 10 février 2000, ensemble les articles 10 et 11 du décret du 11 septembre 2000 ;
2 / que pour les mêmes raisons, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que la CRE, autorité administrative indépendante dont émane la décision critiquée, n'est pas en droit de se substituer aux parties pour formuler des demandes ou fins de non recevoir qu'elles n'ont pas introduites dans le débat ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Sinerg fait encore le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1 / qu'en se bornant à énoncer que la société Sinerg admettait implicitement n'avoir pas été invitée à faire valoir ses observations sur le moyen tiré de l'application de l'article 8 du cahier des charges, sans opposer aucune réfutation aux observations de la CRE faisant valoir que la question du raccordement de l'installation au réseau était principalement régie par le cahier des charges, et que plusieurs pièces produites par les parties se référaient à ce cahier des charges, qui constituait le droit applicable dont la CRE devait assurer le respect, en sa qualité d'autorité administrative indépendante, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que pour les mêmes considérations, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la société Sinerg n'est pas fondée à se prévaloir d'un défaut de réponse aux observations de la CRE ; que le moyen est irrecevable ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que la société Sinerg fait grief à l'arrêt d'avoir dit que le différend d'ordre financier l'opposant à EDF sera réglé conformément aux conditions énoncées dans une lettre du 17 juillet 1998, alors, selon le moyen :
1 / que la CRE, dont la société Sinerg s'était approprié les observations qui étaient ainsi devenues autant de moyens auxquels les juges du fond étaient tenus de répondre, avait relevé que le courrier du 4 septembre 1997 ne faisait pas apparaître qu'il avait une valeur indicative, et constituait bien au contraire une proposition qui engageait EDF de manière ferme ; qu'ainsi la cour d'appel qui, sans procéder à aucune constatation de nature à établir que l'offre du 4 septembre 1997 aurait été simplement indicative, a pourtant jugé que les conditions financières du contrat avaient pu être ultérieurement, unilatéralement et substantiellement refaites parce que la modification du prix était justifiée par des conditions techniques, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1101 et 1134 du Code civil ;
2 / que la CRE, dont la société Sinerg s'était approprié les conclusions en demandant confirmation de sa décision, avait relevé que l'article 8 du cahier des charges imposait à EDF de faire une proposition concernant les modalités techniques et financières de raccordement, et qu'ainsi, dès lors qu'EDF n'avait fait parvenir dans les trois mois de la demande initiale aucun document ni pour faire une autre proposition, ni pour signifier l'impossibilité de chiffrer la proposition, EDF était engagée par le seul document envoyé durant cette période de trois mois ; qu'en n'opposant aucune réfutation à ce moyen, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile,
3 / que le versement de l'acompte exigé par EDF pour faire les travaux de raccordement n'impliquait aucune renonciation non équivoque de la société Sinerg à se prévaloir du caractère définitif de l'offre acceptée du 4 septembre 1997, particulièrement en l'état de la contrainte pesant sur la société Sinerg, qui était contractuellement tenue de livrer l'installation au 1er novembre 1998 ; qu'ainsi l'arrêt est privé de toute base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que dans son mémoire déposé devant la cour d'appel, la société Sinerg n'a pas demandé le bénéfice des observations présentées par la CRE ;
Attendu, d'autre part, que les recours contre les décisions prises par la CRE étant, aux termes du chapitre II du décret n° 2000-894 du 11 septembre 2000, instruits et jugés conformément aux dispositions de ce chapitre, par dérogation aux dispositions du Titre VI du Livre II du nouveau Code de procédure civile, la société Sinerg n'est pas fondée à se prévaloir de la règle posée au dernier alinéa de l'article 954 de ce Code ;
Et attendu, enfin, que, loin de retenir que le seul versement de l'acompte impliquait renonciation au caractère définitif de l'évaluation initiale, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de tenir pour indicatif le prix figurant au courrier du 4 septembre 1997 en retenant que ce document distingue deux postes de travaux, dont seuls ceux relevant du premier sont chiffrés à un prix forfaitaire, alors que les autres ne sont ni mentionnés ni estimés, qu'il résulte du compte rendu d'une réunion tenue le 11 février 1998 que la société Sinerg ne disposait pas alors de l'ensemble des éléments techniques indispensables à l'établissement d'une proposition technique et financière quant aux travaux qui n'avaient été ni chiffrés ni déterminés, que cette société ne peut prétendre l'avoir ignoré, dès lors qu'elle a fait retour à EDF, par courrier du 25 février 1998, d'un document destiné à réunir les éléments de collecte préparatoire à l'étude du raccordement, et par une autre lettre, de même date, demandé à EDF de lui communiquer le devis des travaux nécessaires à ce raccordement ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
Et sur le quatrième moyen :
Attendu que la société Sinerg fait encore grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le moyen :
1 / qu'il résultait de la lettre du 3 décembre 1999,produite aux débats et contradictoirement discutée, qu'EDF avait elle-même modifié les conditions énoncées dans la lettre du 17 juillet 1998, en diminuant le coût du raccordement de la somme de 841 115,02 francs HT ; qu'ainsi la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
2 / que, pour les mêmes considérations, elle a dénaturé les termes du litige, violant l'article 1134 du Code civil et 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le dispositif se référant à la lettre du 17 juillet 1998, dont les motifs de l'arrêt constatent qu'elle a été modifiée, peut, en application de l'article 461 du nouveau Code de procédure civile, donner lieu à requête en interprétation ; que ce moyen n'est pas recevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sinerg aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamne à payer à Electricité de France la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux février deux mille cinq.