AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit mai deux mille cinq, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller BLONDET, les observations de Me BOUTHORS, de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ et de la société civile professionnelle RICHARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FRECHEDE ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE METZ,
- LA SOCIETE DE SECOURS MINIERE FER et SEL de LORRAINE, partie civile,
contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 29 avril 2004, qui a relaxé Bernard X... et Jean Y... des chefs de faux et a débouté la seconde de ses demandes ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par le Procureur général, et pris de la violation de l'article 441-1 du Code pénal ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par Me Bouthors pour la partie civile, et pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-3, 111-4, 441-1, 441-1, alinéa 1, 441-10, 441-11 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a renvoyé Bernard X... et Jean Y... des fins de la poursuite et a déclaré la société de Secours Minière Fer et Sel de Lorraine irrecevable en sa constitution de partie civile ;
"aux motifs qu'aux termes de l'article 441-1 du code pénal constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice... ; que l'infraction de faux nécessite donc la réunion des trois éléments suivants : l'altération de la vérité, un préjudice actuel ou éventuel, l'élément intentionnel ; qu'en l'espèce, en vertu de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel prononcée le 21 mai 2001 par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Metz, devenue définitive, le tribunal correctionnel et par là-même la Cour sont saisis du délit de faux commis au préjudice de l'Etat (le secrétariat aux anciens combattants) ; qu'en application de l'article L. 115 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, la réalisation d'un acte médical génère pour le médecin une créance contre l'Etat ; que quoi qu'il en soit l'Etat était redevable des prestations médicales nécessitées par l'état de santé des patients du docteur X... relevant de l'article L. 115 susvisé ; que, même si les faux reprochés respectivement au docteur X... et au docteur Y... étaient constitués dans leur matérialité, lesdits faux n'ont été générateurs d'aucun préjudice pour l'Etat ; qu'alors même que la société de secours minière n'a émis aucune critique sur la prévention, un des éléments constitutifs de l'infraction de faux, en l'espèce le préjudice, n'étant pas établi, il convient de relaxer les deux prévenus des fins de la poursuite ; que compte tenu de ce qui précède, la société de secours minière doit être déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile à l'encontre tant du docteur X... que du docteur Y... ";
"1) alors que, d'une part, il n'y a pas lieu de rechercher le préjudice du faux matériellement établi lorsque ce dernier découle de la nature même de I'acte falsifié ; que tel est le cas d'une ordonnance médicale rédigée par un médecin qui a soigné le patient au nom et pour le compte d'un autre médecin qui se contente de la signer et d'y apposer son tampon ; la cour d'appel de Metz, en estimant que le préjudice n'était pas établi, a violé les textes susvisés ;
"2) alors subsidiairement que, d'autre part, les juridictions répressives ont le devoir de caractériser les faits de la prévention sous toutes les qualifications dont ils sont susceptibles ;
que la cour d'appel de Metz, qui se borne à rejeter la prétention visée au seul motif qu'elle n'aurait pas été critiquée par la partie civile sans rechercher si les faits dont elle était saisie ne pouvaient être retenus sous une autre qualification pénale, a violé les textes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Vu les articles 441-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, constitue un faux l'acte fabriqué par une ou plusieurs personnes à seule fin d'éluder la loi et de créer l'apparence d'une situation juridique de nature à porter préjudice à autrui ;
Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Bernard X..., médecin salarié de la Société de secours minière fer et sel de Lorraine, qui gère un régime obligatoire de sécurité sociale, a délivré, pendant plusieurs années, à des patients affiliés à cet organisme et le consultant au titre du régime général des pensions militaires d'invalidité, des ordonnances à l'en-tête de Jean Y... , médecin d'exercice libéral installé dans la même commune, qui étaient signées à l'avance par ce praticien ; que Jean Y... transmettait ces ordonnances, où les diagnostics et prescriptions avaient été formulés par son confrère, au secrétariat d'Etat aux anciens combattants, avec la feuille de soins prélevée dans le carnet à souche remis au patient par cette administration, qui lui réglait les consultations ; que la société de secours minière, partie civile, a évalué à 38 362, 27 euros le montant des sommes dont elle aurait été ainsi frustrée ; que Bernard X... et Jean Y... ont été condamnés pour faux par le tribunal correctionnel, qui les a déclarés entièrement responsables du préjudice subi par la partie civile ;
Attendu que, pour réformer cette décision, relaxer les prévenus et débouter de ses demandes la société de secours minière, l'arrêt, après avoir relevé qu'aux termes d'une ordonnance, qui n'a pas été contestée par la partie civile, le juge d'instruction a renvoyé les deux médecins devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'avoir commis des altérations de la vérité "ayant entraîné un préjudice pour l'Etat", se borne à énoncer que les actes reprochés n'ont en réalité causé aucun préjudice à celui-ci, dès lors qu'en application de l'article L. 115 du Code des pensions militaires, il était effectivement débiteur à l'égard des patients concernés, titulaires d'une pension d'invalidité, des prestations médicales dont il a assuré le paiement ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans répondre aux conclusions de la partie civile, qui faisait valoir que les actes frauduleux des médecins lui avaient causé un préjudice, la cour d'appel, qui n'était pas liée par le détail des termes de la qualification visée à la prévention, a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 29 avril 2004, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Blondet conseiller rapporteur, MM. Farge, Palisse, Le Corroller, Castagnède conseillers de la chambre, Mme Guihal, M. Chaumont, Mme Degorce conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;