AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux février deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle BORE et SALVE de BRUNETON, de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN et de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Ergul,
- Y... Mukremil,
- L'ADMINISTRATION DES DOUANES, partie poursuivante,
contre l'arrêt de la cour d'appel PARIS, 9ème chambre, en date du 16 novembre 2004, qui a condamné les deux premiers, pour exportation de capitaux sans déclaration, à des pénalités douanières et a débouté l'administration des douanes de ses demandes après relaxe d'Ergul X... , Mukremil Y... et Yusuf Z... du chef d'importation de capitaux sans déclaration ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I - Sur les pourvois d'Ergul X... et de Mukremil Y... :
Sur le premier moyen de cassation proposé pour Ergul X... et Mukremil Y... , pris de la violation des articles 60, 464, 465 et 466 du Code des douanes, ensemble les articles 51 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen de nullité tiré de ce que, le 27 avril 2000, les agents des douanes ne pouvaient utiliser les pouvoirs qu'ils tiennent de l'article 60 du Code des douanes pour constater une infraction à l'article 464 du même Code ;
"aux motifs que, "l'article 60 du Code des douanes précise les pouvoirs de recherche des agents ; que les dispositions du titre XVI du Code prévoient à la charge des personnes physiques les obligations des articles 464 et suivants du Code dans le cadre de la circulation des capitaux ; que les dispositions du titre XII relatives aux exportations de capitaux (sic) ne contiennent aucune limitation à la portée de l'article 60 du Code des douanes" (arrêt attaqué p.9 in fine et p.10) ;
"alors que l'article 466 du Code des douanes figurant sous le titre XVI prévoit que les dispositions du titre XII dudit Code (articles 322 bis et suivants) relatives au contentieux des infractions douanières sont applicables aux infractions à l'obligation de déclaration des capitaux transférés à destination de l'étranger ; que l'article 60 du Code des douanes, qui confère un droit de visite aux agents des douanes, ne figurant pas dans ce titre XII, n'est pas applicable aux infractions cambiaires et non douanières à l'obligation de déclaration des transferts de capitaux, qui font exclusivement l'objet des dispositions spécifiques du titre XVI du Code des douanes ; qu'en affirmant le contraire la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé pour Ergul X... et Mukremil Y... , pris de la violation des articles 60, 64, 464, 465 et 466 du Code des douanes, ensemble des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen de nullité tiré de ce que les opérations de fouille du manteau et du bagage à main réalisées le 27 avril 2000 au préjudice d'Ergul X... excédaient les pouvoirs conférés aux agents des douanes par l'article 60 du Code des douanes ;
"aux motifs que, "la fouille du manteau et des bagages à main d'Ergul X... ne peut être assimilée à une fouille à corps et au contraire entre dans les prévisions de l'article 60 du Code des douanes" (arrêt attaqué p. 10, 3) ;
"alors, d'une part, que l'article 60 du Code des douanes confère aux agents des douanes un droit de visite visant les marchandises, les moyens de transport et les personnes ; que les vêtements ne sont pas visés par cette liste limitative et leur fouille constitue une fouille à corps, en sorte qu'en affirmant le contraire la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
"alors, de seconde part, et en tout état de cause, que l'article 60 du Code des douanes confère un droit de visite aux agents enquêteurs sans usage de la contrainte ; que ne justifie dès lors pas légalement sa décision au regard des textes susvisés la cour d'appel qui déclare régulière la fouille du manteau et du bagage à main du demandeur, sans vérifier, au besoin d'office, si ces fouilles sont intervenues sur une base volontaire, ou si Ergul X... a, au contraire, été contraint de se défaire de ces objets personnels pour que les agents procèdent aux investigations relatées par le procès-verbal du 27 avril 2000" ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Ergul X... et Mukremil Y... , pris de la violation des articles 5.2 et 6.3.a de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 60, 336, 464 et 465 du Code des douanes, et les articles 407, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen de nullité tiré de ce que, le 27 avril 2000, les agents des douanes n'ont pas utilisé la langue maternelle d'Ergul X... , et, en l'absence d'interprète, ne se sont pas assurés qu'il connaissait le français ;
"aux motifs que, "s'il est exact que, lors de l'interrogatoire du 27 avril 2000, Ergul X... n'était pas assisté d'un interprète en langue turque, il n'est nullement démontré que celui-ci n'a pas été interrogé dans une langue qu'il maîtrisait suffisamment, en l'espèce la langue française ; qu'au contraire, il résulte des éléments de la procédure que celui-ci, entendu par procès-verbaux des 22 octobre 2001 et 12 mars 2002 en présence de son avocat, s'est exprimé en français et a relu et signé les procès-verbaux" (arrêt attaqué p.10) ;
"1 ) alors que, les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à inscription de faux des constatations matérielles qu'ils relatent, et, jusqu'à preuve contraire, de l'exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent ; qu'en l'absence de précision, dans le corps d'un procès-verbal, de la langue employée par les agents pour interroger un suspect, la langue en cause ne peut être déterminée que par référence à des éléments extrinsèques, rien ne permettant de présumer que c'est le français qui a été employé ; qu'en postulant, au contraire, que, le 27 avril 2000, Ergul X... aurait été interpellé en français, sans indiquer de quel document extérieur au procès-verbal litigieux elle aurait tiré cette conclusion, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
"2 ) alors, subsidiairement, que, à supposer qu'Ergul X... ait été interpellé en français, aux termes de l'article 6.3.a de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; qu'il en résulte que l'intégralité de l'interrogatoire par les autorités douanières, même au stade d'un simple contrôle ou d'une enquête préliminaire, doit s'effectuer dans une langue comprise par l'intéressé, cet interrogatoire étant utilisé par la suite dans le cadre d'une procédure diligentée contre lui ; que se contredit, en violation des textes susvisés, la cour d'appel qui affirme que, le 27 avril 2000, Ergul X... aurait parfaitement compris les questions posées par les agents enquêteurs, prétendument en langue française, cependant qu'elle constate elle-même, comme l'avaient d'ailleurs fait les premiers juges (cf. jugement p. 4), que, Ergul X... "ne parlant pas suffisamment la langue française", il devait être "assisté de M. A... ( ) interprète de langue turque" (arrêt attaqué p.5) ;
"3 ) alors, très subsidiairement, qu'un interrogatoire réalisé au cours d'une enquête préliminaire ou d'un simple contrôle doit être effectué dans une langue comprise par la personne interpellée ; que c'est à la date de l'interpellation litigieuse que doit être apprécié le degré de maîtrise de la langue française par le suspect ; que méconnaît cette règle, et ne justifie pas légalement sa décision au regard des textes susvisés, la cour d'appel qui affirme qu'il résulterait d'auditions réalisées un et deux ans après son interpellation du 27 avril 2000, qu'en 2000, précisément, Ergul X... aurait eu une maîtrise suffisante du français pour être interrogé dans cette langue" ;
Sur le quatrième moyen de cassation proposé pour Ergul X... et Mukremil Y... , pris de la violation des articles 66 de la Constitution de 1958, 5 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 60, 323, 464, 465, 466 du Code des douanes, les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la détention d'Ergul X... contre son gré pendant 5 heures 30 sans que le procureur de la République de Créteil ne soit informé de cette mesure coercitive ;
"aux motifs que, "selon le procès-verbal du 27 avril 2000, les agents des douanes ont procédé à la fouille des bagages d'Ergul X... à partir de 15 heures 30, puis à son interrogatoire, le procès-verbal ayant été clôturé à 20 heures ; que les douaniers devaient procéder à l'inventaire des devises françaises et étrangères placées dans différents contenants, procéder à la saisie et entendre l'intéressé ; que l'article 60 du Code des douanes implique que les constatations soient effectuées en présence de l'intéressé ; que, compte tenu de la multiplicité des opérations, la durée n'a pas été excessive ; qu'au demeurant il n'a été pratiqué aucune mesure coercitive impliquant l'obligation d'informer le procureur de la République" (arrêt attaqué p. 10, 6 à 10) ;
"alors que, les agents des douanes ont le droit, par application de l'article 60 du Code des douanes, de garder les personnes objet d'une visite le temps nécessaire à la réalisation de cette visite ; que, lorsqu'ils veulent, après avoir effectué cette visite et en avoir dressé procès-verbal, retenir les personnes en cause le temps nécessaire à la saisie des objets trouvés, ou pour interroger les personnes interpellées, parce qu'ils ont décelé un délit flagrant, ils doivent en aviser sans délai le procureur de la République, aux termes de l'article 323 du Code des douanes ; qu'au cas présent il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que la détention d'Ergul X... n'a pas servi uniquement à parfaire la visite de son bagage et de son manteau, mais aussi à procéder à la saisie des sommes qui y auraient été trouvées, ainsi qu'à faire subir un premier interrogatoire à Ergul X... ; que, en considérant comme régulières ces opérations intervenues sans que le procureur de la République en soit avisé, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour écarter les exceptions de nullité par lesquelles Ergul X... faisait valoir, d'une part, que l'article 60 du Code des douanes est inapplicable en matière de manquement à l'obligation déclarative de capitaux et en tout état de cause n'autorise pas la fouille forcée d'un manteau et d'un bagage à main, d'autre part, que les agents des douanes, lors du contrôle effectué le 27 avril 2000, n'avaient pas interrogé Ergul X... dans une langue qu'il comprenait et, enfin, que ce dernier ne pouvait être retenu contre son gré pendant 5 heures 30 sans que le procureur de la République en fût informé, l'arrêt prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond quant à l'aptitude d'Ergul X... à s'exprimer en français, et dès lors que l'article 60 du Code des douanes autorise la fouille des vêtements et que le prévenu n'a pas été maintenu à la disposition des agents des douanes contre son gré au-delà du temps nécessaire aux opérations de contrôle et à leur consignation par procès-verbal, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;
Qu'il s'ensuit que les moyens doivent être écartés ;
Il - Sur le pourvoi de l'administration des douanes :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 336, 464, 465, 466 du Code des douanes, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué prononce la relaxe des prévenus du chef du délit d'importation de capitaux sans déclaration ;
"aux motifs que la somme de 109 550 DM a été remise à Paris par Z... ; qu'elle provenait de la vente d'actions que possédaient Mukremil Y... et Ergul X... d'une société Kombassan dont le siège est en Allemagne ; que les prévenus n'ont fait aucune déclaration sur les modalités de transfert de ces fonds sur le territoire français et qu'ils les ignoraient totalement ; qu'aucun élément de la procédure ne permet de déterminer les dates de transferts de ces fonds, le nombre de passages à la frontière qui ont été nécessaires et notamment le montant des sommes transportées lors de chacun des passages supposés ;
"1 ) alors que, les procès-verbaux de douane font foi jusqu'à preuve contraire des aveux et déclarations qu'ils relatent ;
qu'il résulte du procès-verbal du 2 janvier 2001 que Yusuf Z... a déclaré que lorsque les actionnaires de Kombassan voulaient céder leurs actions, il téléphonait à Kombassan à Cologne d'où étaient donnés les ordres à B...
C... ; qu'il ajoutait que quelqu'un de chez B... venait apporter l'argent ; qu'il précisait encore que, lorsque Ergul X... et Mukremil Y... ont liquidé leurs actions, quelqu'un de chez B... est venu en France porter l'argent, et que lui-même leur avait remis la somme en deutsche marks les 13 et 21 avril 2000 ainsi qu'un formulaire à l'en-tête de la B... ; que, par procès-verbal du 4 décembre 2000, Mukremil Y... a communiqué aux agents des douanes un justificatif de la société Kombassan et un certificat de B...
C... ; qu'en relaxant les prévenus motifs pris de ce que les prévenus, et notamment Yusuf Z..., n'ont fait aucune déclaration sur les modalités de transfert de ces fonds sur le territoire français et qu'ils les ignoraient, la cour d'appel a violé les articles 336 du Code des douanes et 593 du Code de procédure pénale ;
"2 ) alors que, les procès-verbaux de douane font foi jusqu'à preuve contraire des aveux et déclarations qu'ils relatent ;
que Yusuf Z... a déclaré, par procès-verbal du 2 janvier 2001 que les sommes susvisées avaient été apportées par un courrier de Cologne "un peu avant le 13 avril 2000" ; qu'il était ainsi établi que les sommes litigieuses avaient été importées d'Allemagne en une seule fois et quelques jours avant le 13 avril 2000 ; qu'en relaxant dès lors les prévenus motifs pris de ce qu'aucun élément de la procédure ne permet de déterminer les dates de transfert des fonds ni le nombre des passages à la frontière, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve des infractions reprochées n'était pas rapportée à la charge des prévenus, en l'état des éléments soumis à son examen, et a ainsi justifié sa décision déboutant l'administration des Douanes de ses prétentions ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte président, M. Soulard conseiller rapporteur, MM. Challe, Dulin, Mmes Thin, Desgrange, MM. Rognon, Chanut, Mmes Nocquet, Ract-Madoux conseillers de la chambre, M. Lemoine, Mmes Degorce, Labrousse conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Finielz ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;