La Commission nationale de réparation des détentions instituée par l'article 149-3 du Code de procédure pénale, composée lors des débats de M. Gueudet, président, Mme Nési, M. Chaumont, conseillers référendaires, en présence de M. Charpenel, avocat général et avec l'assistance de Mme Bureau, greffier, a rendu la décision suivante :
Statuant sur le recours formé par :
- M. Hyacinthe X... ,
contre la décision du premier président de la cour d'appel de Metz en date du 16 septembre 2005 qui lui a alloué une indemnité de 28 000 euros sur le fondement de l'article 149 du Code précité ;
Les débats ayant eu lieu en audience publique le 31 mars 2006 , le demandeur ne s'y étant pas opposé ;
Vu les dossiers de la procédure de réparation et de la procédure pénale ;
Vu les conclusions de M. Behr, avocat au Barreau de Nancy représentant M. X... ;
Vu les conclusions de l'agent judiciaire du Trésor ;
Vu les conclusions de M. le procureur général près la Cour de cassation ;
Vu les conclusions en réponse de M. Behr et de l'intéréssé ;
Vu la notification de la date de l'audience, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, au demandeur, à son avocat, à l'agent judiciaire du Trésor et à son avocat, un mois avant l'audience ;
M. X... comparaît personnellement ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Nési , les observations de M. X..., comparant et de Mme Couturier-Heller, avocat représentant l'agent judiciaire du Trésor, les conclusions de M. l'avocat général Charpenel, le demandeur ayant eu la parole en dernier ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi, la décision étant rendue en audience publique ;
LA COMMISSION,
Attendu que par décision du 16 septembre 2005 le premier président de la cour d'appel de Metz a alloué à M. X... une indemnité de 28.000 euros au titre du préjudice résultant d'une détention de 2 ans, trois mois et 27 jours effectuée du 29 juin 1999 au 26 octobre 2001, pour des faits qui ont donné lieu à une décision d'acquittement, prononcée par la cour d'assises de la Moselle le même jour ;
Attendu que M. X... a régulièrement formé un recours contre cette décision, pour que son indemnité soit portée à la somme de 160.000 euros, et a également demandé la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor a conclu au rejet du recours ;
Attendu que l'avocat général a conclu dans le même sens ;
Attendu que, dans ses dernières conclusions en réponse, le requérant a ventilé sa demande et réclamé 40.000 euros au titre de son préjudice matériel et 120.000 euros au titre de son préjudice moral ;
Vu les articles 149 et 150 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'une indemnité est accordée à sa demande à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive; que cette indemnité doit réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral causé par la privation de liberté ;
Sur le préjudice matériel :
Attendu que l'intéressé fait valoir que compte tenu de ses diplômes il aurait pu sans difficulté trouver un emploi pendant sa longue période de détention injustifiée ;
Attendu que l'agent judiciaire du Trésor s'oppose à l'admission du recours faute pour l'intéressé de justifier de sa situation professionnelle lors de son placement en détention ;
Attendu que M. X..., qui était sorti de prison le 15 mai 1994 après avoir purgé une peine de quinze ans de réclusion criminelle, affirme avoir travaillé depuis , sans en rapporter la moindre justification; qu'il a seulement démontré que, depuis 2004, il bénéficiait d'un contrat à durée indéterminée comme ouvrier spécialisé avec un salaire de 1350 euros par mois ;
Qu'il reconnaît lui-même que ce travail est sans relation avec les diplômes qu'il a obtenus lors de ses précédentes incarcérations ; qu'il ne justifie d'aucun emploi, ni recherche d'emploi au moment de son incarcération , puis lors de sa remise en liberté en octobre 2001 ;
Attendu que, dans ces conditions, son recours ne peut qu'être rejeté, faute de justification d'un préjudice matériel en relation de cause à effet avec sa détention ;
Sur le préjudice moral :
Attendu que pour fixer à 28.000 euros l'indemnité allouée à ce titre, le premier président a tenu compte du passé carcéral de l'intéressé qui a été condamné à de multiples reprises à des peines fermes d'emprisonnement, dont trois de nature criminelle (six ans, douze ans et quinze ans de réclusion criminelle) et de sa forte personnalité qui lui a permis de faire face au choc carcéral ;
Attendu toutefois que si ces éléments, dont la réalité n'est pas contestable, sont à prendre en compte comme facteurs d'atténuation du préjudice moral, ils doivent être pondérés par le fait que M. X..., qui avait passé des diplômes en vue de sa réinsertion, et qui n'avait pas subi de nouvelle condamnation depuis 1994, s'est trouvé confronté à nouveau, à 52 ans, et pour des raisons qu'il savait injustifiées, au milieu carcéral dont il avait fait l'effort de s'éloigner ;
Attendu qu'il convient en conséquence d'accueillir son recours et de dire que compte tenu de l'ensemble de ces circonstances et de la longueur de la détention, l'indemnité constituant l'entière réparation de son préjudice doit être fixée à la somme de 38.000 euros ;
Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que pour des motifs liés à l'équité il y a lieu d'allouer à ce titre à M. X... la somme de 1.000 euros ;
PAR CES MOTIFS :
ACCUEILLE partiellement le recours de M. Hyacinthe X... ;
Lui ALLOUE la somme de 38.000 (TRENTE HUIT MILLE EUROS) au titre de son préjudice moral ;
REJETTE son recours au titre du préjudice matériel ;
Lui ALLOUE la somme de 1.000 (MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
LAISSE les dépens à la charge du Trésor Public ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique le 2 mai 2006 par le président de la Commission nationale de réparation des détentions,
En foi de quoi la présente décision a été signée par le président, le rapporteur et le greffier présent lors des débats et du prononcé.