AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique a fait assigner le receveur de la recette des douanes de Castres devant le tribunal de grande instance en restitution du droit de fabrication qu'elle avait acquitté, en application de l'article 406 A, II, 1 du code général des impôts, alors applicable, sur les produits cosmétiques fabriqués par elle au cours des exercices 1997 et 1998 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le directeur général des douanes et droits indirects reproche à l'arrêt d'avoir accueilli la demande, alors, selon le moyen, que si les produits de parfumerie et de toilette ont été assujettis à un droit de fabrication, lui-même soumis en ce qui concerne le recouvrement et le contrôle aux règles relatives aux contributions indirectes, c'est afin d'éviter, indépendamment de la perception de recettes fiscales, le détournement d'alcool, dans l'intérêt de la santé publique, en incitant les opérateurs, soumis aux règles et contrôles d'une profession réglementée, à veiller à ce que les alcools soient bien utilisés pour la confection de produits de parfumerie et de toilette ; qu'en décidant le contraire, notamment sur la base d'un avis de la Commission européenne, lequel pourtant n'avait aucun caractère contraignant et n'était pas argumenté, et en délaissant les travaux préparatoires de la loi n° 70-576 du 3 juillet 1970, les juges du fond ont violé l'article 406 A du code général des impôts, tel qu'en vigueur à l'époque des faits, ensemble l'article 3-2 de la directive 92/12/CEE du Conseil du 25 février 1992 ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise que l'alcool et les boissons alcooliques peuvent faire l'objet d'autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques ; que, selon la Cour de justice des Communautés européennes, la notion de "finalités spécifiques" désigne un but autre que purement budgétaire (C-434/97, arrêt du 24 février 2000, Commission c/ France ; C-437/97, arrêt du 9 mars 2000, EKW) ; que la cour d'appel a exactement retenu, par motifs propres et adoptés, qu'il résultait des travaux préparatoires et des débats parlementaires qu'en instaurant le droit de fabrication litigieux, la loi n° 70-576 du 3 juillet 1970 portant simplifications fiscales ne poursuivait pas de finalité spécifique, au sens de l'article 3, paragraphe 2, de la directive précitée, telle que la protection de la santé publique, mais un objectif de nature exclusivement budgétaire, de sorte que, non conforme au droit communautaire, le droit de fabrication payé par la société en 1997 et 1998 devait lui être restitué ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que le directeur général des douanes et droits indirects reproche à l'arrêt d'avoir rejeté le moyen tiré de ce que les conditions de l'article 1965 FA du code général des impôts n'étaient pas remplies et condamné l'administration des douanes à restituer à la société le droit de fabrication acquitté en 1997 et 1998, alors, selon le moyen :
1 / que, dès lors que les juges du fond se sont exclusivement fondés sur la circonstance que l'administration n'apportait aucune preuve à l'appui de son moyen tiré de l'existence d'une répercussion, sans nullement se préoccuper du point de savoir si des éléments de preuve probants étaient produits par la demanderesse à la restitution quant à l'absence de répercussion du droit de fabrication sur la clientèle, c'est que les juges du fond ont fait peser la charge de la preuve sur l'administration ; qu'il leur appartenait donc, au préalable, de déterminer si la charge de la preuve pesait légalement sur l'administration ou si, au contraire, les règles de la charge de la preuve étant éliminées, le juge a l'obligation, au vu des éléments dont il dispose, de prendre parti sur l'existence ou l'absence de répercussion; qu'en refusant de prendre parti sur ce point, les juges du fond ont violé les articles 5 du code civil et 12 du nouveau code de procédure civile ;
2 / qu'en tout cas, en cas de demande de restitution, l'article 1965 FA, en cela conforme au droit communautaire, élimine les règles de la charge de la preuve et interdit par suite aux juges du fond de se déterminer en considération de ces règles ; que par suite, les juges du fond ont l'obligation, au vu des éléments dont ils disposent, de se prononcer sur l'existence ou l'absence de répercussion ; qu'en refusant de procéder de la sorte pour se déterminer au vu des règles de la charge de la preuve, en faisant peser cette charge sur l'administration, les juges du fond ont violé les articles 12 du nouveau code de procédure civile, 1315 du code civil et 1965 FA du code général des impôts ;
Mais attendu que l'article 1965 FA du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1986, applicable en la cause, qui subordonne le remboursement des droits indirects indûment acquittés à la condition qu'ils n'aient pas été répercutés sur l'acheteur, ne déroge pas aux règles qui gouvernent la charge de la preuve ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé qu'il incombait à l'administration d'apporter la preuve de la répercussion sur l'acheteur, par elle invoquée, du droit litigieux; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 1965 FA du code général des impôts ;
Attendu que, pour rejeter la demande d'expertise présentée par l'administration des douanes et condamner cette dernière à restituer à la société le droit de fabrication acquitté en 1997 et 1998, l'arrêt constate que l'administration ne produit aucune justification à l'appui de ses prétentions ;
Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans examiner au regard de la carence qu'elle retenait à l'encontre de l'administration si cette dernière pouvait disposer des éléments nécessaires à l'examen de la répercussion sur l'acheteur du droit indûment payé et sans constater l'inutilité de la mesure d'expertise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a refusé d'ordonner une expertise, l'arrêt rendu le 3 octobre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;
Condamne la société Pierre Fabre Dermo Cosmétique aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille six.