AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° T 04-17.903 et n° S 04-17.902 ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen, réunis, du pourvoi n° T 04-17.903, qui attaque l'arrêt du 17 décembre 2002 :
Vu l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 17 décembre 2002 et 23 mars 2004) et les productions, que des fuites d'hydrocarbures provenant d'un oléoduc exploité par la société du Pipeline Méditerranée et Rhône (la SPMR), dans lequel ces produits circulaient en suspension de droits d'accises à destination de la Suisse, ont eu lieu sur le territoire de la commune de Saint-Just-Chaleyssin (Isère) et ont été suivies, le 1er janvier 1997, de l'éclatement de l'oléoduc ; que la SPMR a demandé à bénéficier d'une franchise des droits réclamés par l'administration des douanes sur les 795 201 litres de produits qui auraient été perdus ; qu'après avoir rejeté sa demande, l'administration a fait assigner la SPMR en paiement devant le tribunal d'instance par acte du 13 avril 2000 ; que le tribunal a déclaré la demande irrecevable comme prescrite ; que, par arrêt du 17 décembre 2002, la cour d'appel a infirmé le jugement, déclaré la demande recevable et dit que la SPMR ne pouvait se prévaloir de la force majeure ; qu'elle a en outre sursis à statuer sur la demande en paiement et enjoint à l'administration de répondre à l'un des moyens soulevés par la SPMR ; que, par arrêt du 23 mars 2004, la cour d'appel a partiellement accueilli la demande ;
Attendu que la SPMR fait grief à l'arrêt d'avoir décidé qu'elle ne pouvait se prévaloir d'un cas fortuit ou de force majeure, au sens de l'article 158 C du code des douanes, et de l'avoir déclarée tenue au paiement des droits et taxes sur les produits pétroliers perdus, alors, selon le moyen :
1 / que la seule irrésistibilité caractérise le cas fortuit ou la force majeure au sens de l'article 158 C du code des douanes ; qu'en exigeant que la perte des produits pétroliers résulte de circonstances imprévisibles et extérieures à la société SPMR et en refusant de rechercher si des fuites et l'éclatement de l'oléoduc ayant entraîné la perte des hydrocarbures pouvaient avoir été irrésistibles pour la SPMR, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2 / qu'aux termes de l'article 158 C du code des douanes, les pertes des produits placés en entrepôt fiscal de stockage de produits pétroliers ne sont pas soumises à l'impôt s'il est justifié auprès de l'administration qu'elles sont inhérentes à la nature des produits ; qu'en l'espèce, la SPMR faisait valoir, à titre subsidiaire, que la perte des produits pétroliers transportés par l'oléoduc était inhérente à leur nature, fluide, et que le fait que l'administration ait accepté de ne pas taxer les polluants récupérés dans le sol imposait, au regard de ladite nature, que ceux qui n'ont pas pu être récupérés à raison de la nature du sol, ne fassent pas non plus l'objet d'une taxation ; qu'en ne répondant à ce moyen déterminant, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, alors applicable, que l'entrepositaire agréé bénéficie d'une franchise pour les pertes intervenues en régime suspensif, dues à des cas fortuits ou à des cas de force majeure et établies par les autorités de chaque Etat membre ; qu'aux termes de l'article 158 C, 1 , du code des douanes, institué par la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992 portant, notamment, mise en oeuvre par la République française de la directive 92/12, précitée, les pertes de produits placés en entrepôt fiscal de stockage de produits pétroliers ne sont pas soumises à l'impôt s'il est justifié auprès de l'administration qu'elles résultent d'un cas fortuit ou d'un cas de force majeure ;
Attendu qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes que la notion de force majeure n'ayant pas un contenu identique dans les divers domaines d'application du droit communautaire, sa signification doit être déterminée en fonction du cadre légal dans lequel elle est destinée à produire ses effets (arrêts du 7 décembre 1993, X..., C-12/92 et du 29 septembre 1998, First City Trading, C-263/97) ; qu'il convient donc de savoir si la notion de cas de force majeure à l'origine des pertes intervenues en régime suspensif, au sens de l'article 14, paragraphe 1, précité, doit être entendue dans le sens de circonstances imprévisibles, irrésistibles et provenant d'une cause extérieure à l'entrepositaire agréé qui se prévaut de ces circonstances à l'appui de sa demande de franchise ou s'il suffit que ces circonstances aient été irrésistibles à l'égard de l'entrepositaire agréé ;
Attendu que l'article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12, précitée, dispose en outre que l'entrepositaire bénéficie également, en régime suspensif, d'une franchise pour les pertes inhérentes à la nature des produits durant le processus de production et de transformation, le stockage et le transport; que la question se pose dès lors de savoir si peuvent être considérées comme inhérentes à la nature des produits, au sens de l'article 14, paragraphe 1, les pertes d'une partie des produits échappés d'un oléoduc dues à leur caractère fluide et aux caractéristiques du sol sur lequel ils se sont répandus, qui ont fait obstacle à leur récupération et entraîné leur taxation ;
Attendu qu'il y a lieu de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur ces divers points ;
PAR CES MOTIFS :
RENVOIE à la Cour de justice des Communautés européennes aux fins de répondre aux questions suivantes :
1 ) La notion de cas de force majeure à l'origine des pertes intervenues en régime suspensif, au sens de l'article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, doit-elle être entendue dans le sens de circonstances imprévisibles, irrésistibles et provenant d'une cause extérieure à l'entrepositaire agréé qui se prévaut de ces circonstances à l'appui de sa demande de franchise ou suffit-il que ces circonstances aient été irrésistibles à l'égard de l'entrepositaire agréé ?
2 ) Les pertes d'une partie des produits échappés d'un oléoduc dues à leur caractère fluide et aux caractéristiques du sol sur lequel ils se sont répandus, qui ont fait obstacle à leur récupération et entraîné leur taxation, peuvent-elles être considérées comme inhérentes à la nature des produits, au sens de l'article 14, paragraphe 1, de la directive 92/12, précitée ?
SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice ;
Réserve les dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze juillet deux mille six.