AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf août deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire LEMOINE, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Mohamed,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 2e section, en date du 7 avril 2006, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de vols, tentatives de vols aggravés et recel de vol, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 9 juin 2006, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 427 et 593 du code de procédure pénale, du principe de la loyauté des preuves, de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'annuler tout acte de la procédure relatif à Mohamed X... ;
"aux motifs que, si l'instrumentalisation d'Abdelsatar Y..., mineur à cette date, à qui l'officier enquêteur a versé une somme d'argent afin qu'il apporte son aide à l'interpellation de ses camarades, et qui se retrouve poursuivi pour sa participation à l'infraction provoquée, constitue une atteinte non justifiée à ses droits fondamentaux, en revanche, le seul fait pour des enquêteurs de disposer sur un trajet habituellement suivi par des suspects, où des infractions similaires ont été récemment commises, un véhicule identique à ceux qui faisaient l'objet, de manière relativement fréquente, des infractions sur lesquelles il était enquêté, en favorisant, simplement, fût-ce avec l'aide d'un tiers, le passage du suspect à proximité du véhicule, ne constitue pas une manoeuvre de nature à déterminer des agissements délictuels ; n'est pas davantage critiquable la mise en évidence, dans ledit véhicule, d'un objet identique à ceux suscitant manifestement l'intérêt des auteurs des délits recherchés, en l'occurrence un téléphone portable ; que c'est de sa propre initiative, sans pression ni contrainte, que Mohamed X... a commis la soustraction frauduleuse du téléphone, infraction qui venait de se commettre lorsqu'il a été régulièrement interpellé par les enquêteurs agissant en flagrance ;
que les agissements des enquêteurs n'ont en rien constitué à l'égard de Mohamed X... une quelconque provocation à l'infraction, mais seulement une provocation à la preuve de l'implication d'un suspect, dénoncé par Abdelsatar Y... ;
"alors que le principe de la loyauté dans la recherche de la preuve fait obstacle à l'utilisation de toute manoeuvre ou stratagème ayant pour but ou pour effet de provoquer la commission d'une infraction pénale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les enquêteurs avaient disposé sur un trajet habituellement suivi par Mohamed X... un véhicule identique à ceux qui faisaient l'objet des infractions sur lesquelles il était enquêté et qu'ils avaient, avec l'aide d'un tiers auquel ils avaient remis une somme d'argent en échange de la dénonciation du suspect et de son incitation à emprunter le trajet déterminé par les policiers, favorisé le passage de celui-ci à proximité du véhicule dans lequel ils avaient mis en évidence un objet identique à ceux suscitant manifestement son intérêt, en l'occurrence un téléphone portable ; qu'après avoir ainsi mis en évidence la machination des policiers de nature à déterminer les agissements délictueux de Mohamed X..., la cour d'appel a, cependant, décidé que c'est de sa propre initiative, sans pression ni contrainte, qu'il a commis l'effraction du véhicule et la soustraction frauduleuse du téléphone ;
qu'en se prononçant de la sorte, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations, à savoir que l'interpellation de l'intéressé a procédé d'une machination de nature à déterminer et provoquer ses agissements délictueux, et a violé le principe de la loyauté des preuves, ensemble les dispositions précitées" ;
Vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble le principe de loyauté des preuves ;
Attendu que porte atteinte au principe de loyauté des preuves et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d'une infraction par un agent de l'autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d'un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 1er février 2005, dans le quatorzième arrondissement de Paris, Mohamed X... et Abdelsatar Y..., tous deux mineurs, ont été interpellés par des policiers alors qu'ils venaient de commettre un vol dans une automobile Renault twingo garée sur la voie publique ; que, depuis le mois de novembre 2004, de nombreux vols à la roulotte avaient été constatés dans le même quartier de l'arrondissement ; qu'Abdelsatar Y... avait été interpellé en flagrant délit, à deux reprises, le 22 janvier et le 1er février, à 3 heures, le jour même de son interpellation, à 18 heures 30, en même temps que Mohamed X... ; qu'il est apparu, à la suite de déclarations d'Abdelsatar Y... au juge d'instruction, confirmées pour l'essentiel par le principal enquêteur, que l'interpellation des deux mineurs en flagrant délit, le 1er février 2005, à 18 heures 30, avait été provoquée par une mise en scène policière ; que l'officier de police judiciaire, qui avait interrogé Abdelsatar Y... le 22 janvier puis dans la matinée du 1er février, lui avait proposé de faire stationner, près de l'endroit où les jeunes gens se réunissaient, une Renault twingo, dans laquelle seraient disposés en évidence un téléphone portable et une sacoche d'ordinateur ; qu'Abdelsatar Y... a précisé que l'officier de police judiciaire lui avait remis 7 euros pour qu'il puisse offrir une pizza à ses camarades, afin de les attirer à proximité du véhicule, et que lui-même, censé faire le guet, savait que les policiers observaient Mohamed X... occupé à forcer la portière de la Renault twingo ;
Attendu que l'arrêt, faisant droit à la requête présentée par Abdelsatar Y..., annule les procès-verbaux relatifs à son interpellation du 1er février, à 18 heures 30, et à son placement en garde à vue, en relevant qu'il avait été incité par un fonctionnaire de police à commettre l'infraction ;
Attendu qu'en revanche, pour rejeter la requête en annulation présentée par Mohamed X..., l'arrêt, par les motifs reproduits au moyen, retient qu'il a commis le vol de sa propre initiative et que le but de la mise en scène policière n'était pas de le provoquer à l'infraction mais seulement d'établir la preuve de son implication dans les faits préalablement dénoncés par Abdelsatar Y... ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, tout en relevant que Mohamed X... et Abdelsatar Y... avaient été interpellés alors qu'ils perpétraient de concert un délit que le second avait été provoqué à commettre par un fonctionnaire de police, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à Mohamed X..., l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 avril 2006, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Farge conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Lemoine conseiller rapporteur, M. Palisse, Mmes Desgrange, Nocquet, M. Beauvais conseillers de la chambre, Mme Guihal conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;