AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que la société Sodemp exploite dans le 17e arrondissement de Paris l'hôtel "Le Méridien Etoile" ; que le 29 avril 1992, elle a conclu un accord d'entreprise "sur les modalités d'accompagnement consécutives au passage de la rémunération au pourcentage à la rémunération fixe" ; que l'article 1er de ce texte fixait le pourcentage maximum de baisse des rémunérations annuelles pour les diverses catégories de salariés concernés par la modification de la structure de leur rémunération ; que l'article 2 instituait un "salaire complémentaire individualisé, non indexable, (dit IPPC ou SCINI) destiné à compenser une partie de l'incidence du passage au fixe sur les rémunérations pour le personnel présent à la date du 4 juillet 1991" ; qu'il a été signé le 22 avril 1994 un accord d'entreprise sur les modalités d'emploi à temps partiel des femmes de chambre prévoyant que la rémunération de celles-ci sera "proportionnellement au temps de travail, équivalente à celle des femmes de chambre titulaires d'un contrat à temps complet", et
stipulant que "le salaire brut de base de référence pour une activité complète est fixé à 7 500 francs (hors ancienneté et hors prime de nourriture)" ; que le 11 octobre 2000, Mme X... et d'autres femmes de chambre de l'hôtel ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire sur la base de la règle "à travail égal, salaire égal", de dommages-intérêts pour repos compensateur non fourni à compter du 1er février 2000 et de dommages-intérêts pour non-application de la loi sur les 35 heures ; que l'union locale des syndicats CGT de Paris 17e est intervenue à l'instance ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur le premier moyen pris en sa deuxième branche :
Attendu que la société Sodemp fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à l'ensemble des salariées des sommes au titre de l'IPPC, des congés payés afférents et de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre, en ce qui concerne Mmes Y... di Z... et A..., des rappels de salaire et congés payés afférents, alors selon le moyen, qu'il incombe au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement ; qu'il appartient donc au salarié de démontrer qu'il effectue un travail de valeur égale à celui d'un autre salarié, sans bénéficier du même traitement, l'employeur devant ensuite établir que cette disparité de traitement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en reprochant à la société Sodemp de ne fournir aucun élément "quant à la nature du travail confié aux salariés concernés" pour en déduire l'existence d'un travail de valeur égal, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les articles 1315 du code civil et L. 133-5, L. 136-2, 8 et L. 140-2 du code du travail, ensemble le principe "à travail égal, salaire égal" ;
Mais attendu que sous couvert du grief pris d'une prétendue inversion de la charge de la preuve, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des faits par la cour d'appel, laquelle a relevé qu'à défaut d'élément contraire concernant la nature du travail confié aux salariés concernés, ceux ayant le même emploi et le même coefficient, affectés au même établissement, étaient présumés effectuer un même travail ou un travail de valeur égale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Attendu que l'employeur reproche à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait, alors selon le moyen, qu'une inégalité de traitement entre des salariés peut être justifiée lorsqu'elle repose sur des raisons objectives, étrangères à toute discrimination prohibée ; que ne constitue pas une disparité de traitement illicite le versement de rémunérations différentes à des salariés occupant les mêmes fonctions quand le montant des rémunérations résulte de la stricte application des dispositions conventionnelles en vigueur dans l'entreprise ; qu'en l'espèce, s'agissant des rappels de salaire sollicités par Mmes Y... di Z... et A..., la société Sodemp faisait valoir que la différence de rémunération entre ces dernières, engagées respectivement les 1er mai 994 et 20 septembre 1995, et la salariée de référence, embauchée en 1985, résultait d'une application pure et simple de l'accord d'entreprise du 22 avril 1994 sur les modalités d'emploi à temps partiel des femmes de chambre, fixant à compter de son entrée en vigueur le salaire d'embauche des femmes de chambre à 7 500 francs ; qu'en affirmant que "ce seul élément n'(aurait) pas (été) de nature à justifier une différence de traitement entre salariées effectuant un même travail" et en refusant pour cette raison de rechercher si les différences de rémunérations ne résultaient pas de la stricte application des dispositions conventionnelles en vigueur dans l'entreprise et ne reposaient pas sur des raisons objectives étrangères à toute discrimination prohibée, la cour d'appel a violé les articles L. 135-2, L. 136-2, 8 , L. 140-2, L. 140-3 et L. 140-4 du code du travail, ensemble le principe à travail égal, salaire égal" ;
Mais attendu que la cour d'appel a fait ressortir qu'en fonction de la seule date de leur engagement les salariés qui se trouvaient dans la même situation et qui exerçaient la même fonction ne percevaient pas la même rémunération ; qu'elle a pu en déduire que la seule circonstance que l'accord collectif ait fixé à partir d'une date déterminée le montant du salaire de base d'une femme de chambre à temps partiel, ne justifiait pas une différence de traitement entre salariées effectuant un même travail ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen pris en sa troisième branche :
Vu le principe "A travail égal, salaire égal" ;
Attendu que, pour accueillir les demandes des salariées, l'arrêt énonce que les dispositions de l'accord du 29 avril 1992 ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public des articles L. 133-5-4 , L. 136-2 8 , L. 140-2, L. 140-3 et L. 140-4 du code du travail ainsi qu'au principe "à travail égal, salaire égal ; qu'en effet, la disparité de situation suivant que les salariés étaient ou non présents à la date du 4 juillet 1991 n'est pas de nature à justifier une différence de traitement entre salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale, étant observé que l'IPPC, indemnisant une perte de chance d'évolution favorable de la rémunération, n'est pas liée à l'ancienneté, et que le principe "à travail égal, salaire égal" n'est pas limité à des situations dans lesquelles les salariés effectuent simultanément un travail égal pour un même employeur ;
Attendu cependant que ne méconnaît pas le principe "à travail égal, salaire égal", dont s'inspirent les articles L. 122-3-3, L. 133-5, 4 , L. 136-2, 8 et L. 140-2 du code du travail, l'employeur qui justifie par des raisons objectives et matériellement vérifiables la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ;
Et attendu qu'un salarié, engagé postérieurement à la mise en oeuvre d'un accord collectif organisant le passage d'une rémunération au pourcentage à une rémunération au fixe, ne se trouve pas dans une situation identique à celle des salariés présents dans l'entreprise à la date de conclusion dudit accord et subissant, du fait de la modification de la structure de leur rémunération, une diminution de leur salaire de base que l'attribution de l'indemnité différentielle a pour objet de compenser ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il existait une justification objective à la différence des rémunérations, la cour d'appel a violé la règle susvisée ;
Et attendu d'une part que la cassation encourue du chef du premier moyen emporte, par voie de conséquence nécessaire, celle des chefs critiqués par le second moyen ; d'autre part qu'en application de l'article 627 du nouveau code de procédure civile, la Cour de cassation, en cassant partiellement sans renvoi, peut mettre fin au litige par l'application de la règle de droit appropriée ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Sodemp au paiement de sommes au titre de l'IPPC et congés payés afférents aux salariées, de dommages-intérêts à l'union locale des syndicats CGT de Paris 17e, et d'indemnités au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile aux défendeurs, l'arrêt rendu le 29 avril 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute les salariées de leur demandes de rappels de salaire au titre de l'IPPC et de congés payés afférents, l'union locale des syndicats CGT de Paris de sa demande de dommages-intérêts et l'ensemble des défendeurs de leurs demandes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes présentées par les parties ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un octobre deux mille six.