AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., chirurgien-dentiste effectuant à titre salarié des vacations au centre de santé dentaire de la Mutualité de la Loire, a été licencié pour faute grave le 1er mars 2000, motifs pris de fautes professionnelles ayant donné lieu à une sanction disciplinaire prononcée le 3 février 2000 par le Conseil national de l'Ordre des chirurgiens-dentistes ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté ses demandes tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen :
1 / qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu, dans le même délai, à l'exercice de poursuites pénales ;
qu'en décidant que le délai de prescription avait commencé à courir à la date de la décision ordinale sanctionnant le docteur X... sur un plan disciplinaire et non pas à la date à laquelle les faits ayant entraîné son licenciement avaient été portés à la connaissance de la Mutualité de la Loire, la cour d'appel a violé l'article L. 122-44 du code du travail ;
2 / que l'employeur dispose du pouvoir de sanctionner le salarié pour un agissement considéré par lui comme fautif, la sanction pouvant aller jusqu'au licenciement ; qu'il lui appartient à ce titre de porter une appréciation sur les agissements commis par le salarié dans l'exécution de son contrat de travail ; qu'en outre, aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; qu'il résulte de ces principes que l'employeur ne peut engager une procédure de licenciement à l'encontre d'un salarié plus de deux mois après avoir eu connaissance des faits sur lesquels est fondée cette procédure, alors même qu'une juridiction disciplinaire professionnelle a été saisie des mêmes faits ; qu'en affirmant pourtant, pour refuser d'opposer à la Mutualité de la Loire cette prescription, qu'elle ne pouvait procéder au licenciement de M. X... qu'après que les fautes ou manquements de celui-ci aient été dûment établis par une décision de la juridiction disciplinaire ayant acquis force exécutoire, la cour d'appel a violé les articles L. 122-40 et L. 122-44 du code du travail ;
Mais attendu qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 122-44 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu en même temps à l'exercice de poursuites pénales ;
Et attendu que la cour d'appel a fait ressortir que la Mutualité de la Loire n'avait pu avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à M. X... qu'à la date à laquelle l'instance ordinale avait statué sur les manquements professionnels, et a constaté que l'intéressé avait été licencié moins de deux mois après la décision ordinale ; qu'abstraction faite des motifs erronés critiqués par la seconde branche et qui sont surabondants, elle a exactement décidé que la poursuite disciplinaire n'était pas prescrite ;
que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen pris en ses troisième et quatrième branches :
Vu les articles L. 122-6, L. 122-14-3 et L. 122-14-7 du code du travail, ensemble l'article 1351 du code civil ;
Attendu que pour décider que M. X... avait commis une faute grave, l'arrêt retient que la décision ordinale a acquis autorité de chose jugée au jour du licenciement, que seul le juge du contentieux du contrôle technique peut se prononcer sur des fautes professionnelles et des manquements à la déontologie, que le contrat de travail fait de la décision disciplinaire une cause de résiliation et que l'ordre professionnel ayant retenu la gravité des manquements commis par le praticien, la faute grave est caractérisée ;
Attendu cependant que si la méconnaissance de dispositions du code de déontologie des chirurgiens-dentistes peut être invoquée par l'employeur à l'appui du licenciement pour faute grave d'un chirurgien-dentiste salarié, la décision prise par la juridiction ordinale quant à ce manquement et à sa sanction disciplinaire n'a pas autorité de chose jugée devant le juge judiciaire ; qu'il appartenait dès lors à la cour d'appel de rechercher, alors même qu'une clause du contrat de travail de M. X... stipulait qu'il pouvait être licencié sans indemnité en cas de sanction prononcée par le conseil de l'ordre des chirurgiens-dentistes pour faute professionnelle grave, si ce manquement présentait le caractère d'une faute grave au sens du premier des textes susvisés ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard desdits textes ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 septembre 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société La Mutualité de la Loire aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne La Mutualité de la Loire à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille six.