AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le six décembre deux mille six, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller X..., les observations de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA SOCIETE SCA CENTRE,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RIOM, chambre correctionnelle, en date du 2 mars 2006, qui, pour pratiques commerciales prohibées et infractions aux règles sur la facturation, l'a condamnée à 150 000 euros d'amende ;
Vu le mémoire produit ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que la Société coopérative d'approvisionnement du Centre (SCA Centre), distributeur assurant dans cette région l'approvisionnement d'hypermarchés, est poursuivie, sur le fondement d'un procès-verbal dressé par un agent de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, le 23 juin 2003, annexé à la citation, pour avoir, au cours des années 2001 et 2002, d'une part, remis à ses fournisseurs un contrat de coopération commerciale ne permettant pas d'identifier avec précision un service spécifique ou des obligations particulières exorbitantes des relations contractuelles habituelles justifiant la rémunération demandée au titre de cette coopération et, ainsi, contrevenu aux dispositions de l'article L. 441-6, 5e alinéa, du code de commerce, d'autre part, délivré des factures ne comportant pas la dénomination exacte des services facturés ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 450-1, L. 450-2, L. 450-3 et L. 450-4 du code de commerce, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a considéré comme régulière la procédure d'enquête diligentée par les agents de l'administration de la concurrence, de la consommation, et de la répression des fraudes ;
"aux motifs que " l'article L. 450-3, alinéa 1er, du code de commerce reconnaît aux enquêteurs " le droit d'accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel " ;
que ce droit d'accès ne permet pas aux enquêteurs de procéder à la visite ou à la fouille des lieux qui nécessite l'autorisation du juge des libertés et de la détention dans le cadre des enquêtes conduites sous contrôle judiciaire par application des dispositions de l'article L. 450-4, alinéa 3, du code de commerce ; que les enquêteurs peuvent, dans le cadre des enquêtes simples, demander aux personnes sans autorisation judiciaire la communication de documents professionnels tels les livres et factures, en obtenir ou en prendre copie ; qu'en procédant au contrôle des contrats et factures de coopération commerciale sans procéder à une visite domiciliaire mais en se faisant communiquer les seuls documents professionnels utiles à la manifestation de la vérité, l'agent de la DDCCRF de l'Allier a agi conformément aux règles de la loi dans le respect du domicile de la société en présence de son directeur qui a communiqué les contrats et factures demandés en lien direct avec l'objet de l'enquête ; que les dispositions de l'article 6 1 de la Convention européenne des droits de l'homme consacrent le droit pour tout accusé de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; que toutefois, il s'agit d'une disposition qui n'a pas été enfreinte en l'espèce dans la mesure où l'administration n'a procédé à aucune contrainte particulière et où le représentant de la personne morale poursuivie s'est librement exprimé à l'issue d'une enquête qui s'est déroulée sur une période de trois mois ; que, contrairement aux affirmations du prévenu, l'enquêteur de la DDCCRF a circonscrit son enquête au cadre des relations commerciales avec la société Lunor et, plus largement, aux contrats de collaboration commerciale entre la SCA Centre et ses fournisseurs ; qu'il a limité strictement ses investigations à l'objet précis préalablement défini et n'a exercé ses pouvoirs d'enquête qu'à la communication de quelques contrats et factures afférents auxdites opérations, n'a interrogé le responsable que sur les seules relations commerciales dans le cadre de la coopération de dynamique commerciale et promotionnelle régionale " (p. 6 et 7) ;
"1 ) alors, d'une part, que les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites en tous lieux que dans le cadre d'enquêtes demandées par le ministre chargé de l'économie et sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter ; que le seul fait, pour les enquêteurs de pénétrer dans les locaux d'une entreprise sans y avoir été invités par l'entreprise en cause constitue une visite au sens de l'article L. 450-4 du code de commerce, nécessitant une autorisation judiciaire ; qu'en affirmant, au contraire, que les enquêteurs pourraient procéder à ce type de mesure dès lors qu'elles ne s'apparentent pas à des fouilles, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
"2 ) alors, d'autre part, et en tout état de cause, que l'administration doit porter à la connaissance des personnes entendues l'objet exact de l'enquête à laquelle elle procède, même si cette enquête se déroule dans le cadre de l'article L. 450-3 du code de commerce, et non dans le cadre de l'article L. 450-4 du même code ; qu'en validant la procédure d'enquête sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si un objet précis d'enquête avait été communiqué aux personnes interrogées, au seul motif que cet objet, non communiqué, aurait été étroitement défini, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés" ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité du procès-verbal, prise des absences d'autorisation judiciaire et de notification de l'objet de l'enquête, l'arrêt retient, notamment, que les agents de la direction générale de la concurrence sont autorisés par l'article L. 450-3, alinéa 1, du code de commerce à accéder à tous locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel et à demander la communication de documents professionnels, tels les livres comptables et les factures et à en prendre copie ; que les juges relèvent qu'en effectuant le contrôle des contrats et des factures relatifs aux opérations de coopération commerciale et en se faisant communiquer par le directeur de la société les seuls documents utiles à la manifestation de la vérité, l'agent n'a pas procédé à une visite domiciliaire requérant une autorisation judiciaire préalable ; qu'ils ajoutent que l'enquêteur a circonscrit ses investigations au cadre des relations commerciales de la société SCA Centre avec ses fournisseurs et limité strictement son enquête à son objet préalablement défini ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que la notification à la personne entendue de l'objet de l'enquête résulte des mentions du procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve contraire, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions légales et conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article préliminaire du code de procédure pénale, des articles 111-3 et 111-4, 121-2, 131-38, 131-39 du nouveau code pénal, de l'article L. 441-6 du code de commerce, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société SCA Centre coupable d'infraction aux règles sur le contrat de coopération commerciale ;
"aux motifs que " l'article L. 441-6 du code de commerce n'impose nullement l'écrit en tant que condition de validité du contrat, mais comme moyen de contrôle de la réalité du service facturé aux fournisseurs et ce afin de clarifier le calcul du seuil de revente à perte... ou encore d'éviter toute discrimination ou avantage sans contrepartie et à ce titre faciliter la transparence tarifaire et garantir l'équilibre et la loyauté entre les compétiteurs ; qu'il est manifeste que les contrats signés par la centrale régionale d'achat et ses fournisseurs ne répondent pas à cette définition dans la mesure où ils sont rédigés en termes généraux au risque d'en faire des contrats d'adhésion pure et simple où seul varierait le montant de la rémunération de la centrale en fonction d'un pourcentage de chiffre d'affaires qui, au demeurant, à en croire les termes particulièrement vagues de l'objet du contrat, ne constitue pas une base pertinente de rémunération ; que l'imprécision de la prestation mise à la charge du distributeur ne permet pas à l'administration et au juge d'apprécier la réalité du service offert et pour lequel la centrale régionale d'achat s'est engagée ; que cette absence de précision équivaut à l'absence d'engagement et tombe ainsi sous le coup des dispositions pénales sanctionnées par l'article L. 441-6, alinéas 5 et suivants, du code de commerce " ;
"et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que " les contrats établis par la société SCA Centre ne comportent aucune précision quant aux prestations fournies ; qu'il ne mentionnent pas d'obligations exorbitantes ni de personnalisation des services faisant l'objet d'une rémunération " (p. 5) ;
"1 ) alors, d'une part, que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le seul comportement du distributeur relatif aux contrats de coopération commerciale qui était pénalement sanctionné aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, était le défaut d'établissement d'un contrat écrit en double exemplaire détenu par chacune des deux parties ; que l'appréciation de l'existence de véritables services spécifiques détachables des opérations de vente, justifiant, au fond, la conclusion de ce type de contrat, relevait du juge civil, du juge commercial, ou du Conseil de la concurrence ;
qu'en retenant la société SCA Centre dans les liens de la prévention sans relever qu'elle aurait omis d'établir des contrats de coopération commerciale écrits, au simple motif que les termes de ces contrats n'auraient pas permis au juge pénal de s'assurer de la réalité des prestations en cause, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
"2 ) alors, d'autre part, et en tout état de cause, qu'un service promis au titre de la coopération commerciale revêt un caractère spécifique excluant qu'il ait été porté atteinte à la loyauté et à la transparence commerciale dès lors que la prestation en cause est détachable de l'opération de vente sous-jacente et qu'elle n'est pas fictive, peu important qu'elle soit identique pour tous les partenaires commerciaux de l'opérateur économique considéré ; de sorte que ne justifie pas légalement sa décision, au regard des textes susvisés, la cour d'appel qui retient la demanderesse dans les liens de la prévention au seul motif que la prestation prévue par ses contrats de coopération commerciale aurait été décrite en des termes généraux, identiques pour tous ses partenaires, lesquels auraient ainsi été invités à souscrire des contrats d'adhésion, ou qu'elle n'aurait pas été "exorbitante" ;
"3 ) alors, très subsidiairement que, pour contrôler la teneur de la prestation promise par la centrale d'achat, le juge ne saurait se limiter aux termes du contrat ; qu'en considérant, au contraire, que " l'absence d'engagement " prétendu de la société SCA Centre pourrait être déduite de l'" absence de précision " du contrat sur ce point, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés ;
"4 ) alors, enfin, qu'intervertit la charge de la preuve, et méconnaît le principe de la présomption d'innocence, en violation des textes susvisés, la cour d'appel qui retient la demanderesse dans les liens de la prévention au motif qu'elle ne se serait pas préconstituée, par écrit, la preuve de la réalité et de la teneur exacte des prestations promises par elle au titre de la coopération commerciale" ;
Attendu que, pour retenir l'irrégularité des contrats de coopération commerciale, mettant à la charge de la société SCA Centre la seule obligation d'assurer la présence des produits du fournisseur dans l'assortiment régional adapté à la consommation locale et recommandé à l'ensemble des hypermarchés approvisionnés, l'arrêt, après avoir énoncé que l'exigence d'un écrit n'est pas une condition de validité des conventions mais un moyen donné à l'administration de contrôler la réalité des services facturés aux fournisseurs pour assurer la transparence tarifaire et la loyauté des transactions, retient, notamment, par motifs propres et adoptés, que l'imprécision de la prestation mise à la charge du distributeur ne permet pas d'apprécier la réalité du service offert ; que les juges ajoutent que les contrats ne comportent pas d'obligations exorbitantes ni la description des services rémunérés et en déduisent à l'absence d'engagements spécifiques ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, dépourvues d'insuffisance comme de contradiction, et dès lors que, d'une part, un contrat écrit de coopération commerciale doit constater la fourniture par le distributeur à son fournisseur de services spécifiques détachables des simples obligations résultant des achats et des ventes et que, d'autre part, l'irrégularité de la convention équivaut à son absence, la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie et n'a pas renversé la charge de la preuve, a fait l'exacte application de l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 2 août 2005 ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 111-3 et 111-4, 121-2, 131-38, 131-39 du nouveau code pénal, de l'article préliminaire du code de procédure pénale, des articles L. 441-3 et L. 441-4 du code de commerce, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a considéré que la demanderesse s'était rendu coupable d'infraction aux règles relatives à la facturation ;
"aux motifs que " aux termes des dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce, la facture doit mentionner, entre autre, la dénomination précise des services rendus ; qu'en conséquence, les factures établies par un distributeur pour des prestations de coopération commerciale doivent permettre à l'administration et au juge d'identifier avec précision la nature exacte des services rendus ; qu'en l'espèce, la DGCCRF s'est fait communiquer 147 factures établies en exécution des vingt contrats litigieux ; que toutes ces factures sont aussi imprécises que le sont les contrats qui leur sert de support, étant précisé qu'elles sont toutes rédigées en termes généraux en ce qui concerne la nature de la prestation ainsi définie " présence des produits dans l'assortiment régional adaptée à la consommation locale et recommandée à l'ensemble des centres E. Leclerc dépendant de la SCA Centre " " (p. 10) ;
"alors que la facture doit mentionner la dénomination précise des services rendus ; qu'il en va ainsi de la facture qui permet de rattacher la somme réclamée par son émetteur à une prestation de service donnée, précisément identifiée, celle-ci fût-elle définie dans le cadre d'un autre document et, en particulier, d'un contrat ; qu'en retenant la demanderesse dans les liens de la prévention, au motif que la facture n'aurait pas comporté de définition précise des prestations dont il était demandé paiement, sans rechercher si les factures litigieuses permettaient, ou non, d'identifier les contrats pour lesquels il était demandé paiement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés" ;
Attendu que, pour relever que les 147 factures établies par la société SCA Centre ne comportaient pas les mentions requises, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que les mentions exigées par l'article L. 441-3 du code de commerce doivent figurer sur les factures sans qu'il soit nécessaire de se référer aux documents qui les fondent, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Cotte président, M. Rognon conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;