AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Western Télécom (Western), qui propose notamment des services de télécommunications aux entreprises, a conclu le 20 avril 2000 avec la société France Télécom un contrat "Y...
X... France" lui permettant d'acheminer son trafic vers les destinations internationales proposées par la société France Télécom en se raccordant directement sur les commutateurs internationaux de cette dernière ; que la société Western a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire en mars 2001 ; qu'elle a bénéficié en octobre 2002 d'un plan de continuation ;
qu'après échec de discussions entre les parties sur un échéancier de règlement des créances échues puis contestation par la société Western des factures émises par la société France Télécom, celle-ci a indiqué qu'à défaut de paiement, elle mettrait en oeuvre la clause de résiliation du contrat à effet du 1er juillet 2005 ; que, le 9 juin 2005, la société Western a, par application des dispositions de l'article L. 36-8.I du code des postes et communications électroniques, saisi l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), au fond, d'une demande de règlement de différend portant sur les conditions financières que lui consent la société France Télécom pour la fourniture des prestations de transit et de terminaison internationale de trafic et, à titre conservatoire, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la société France Télécom de maintenir l'accès de la société Western au trafic international à un tarif fixé provisoirement par l'ARCEP à 50% du tarif actuel ; que par décision n° 05-0614 du 30 juin 2005, l'ARCEP, estimant non rapportée la preuve d'une atteinte grave et immédiate par la société France Télécom aux règles régissant le secteur des communications électroniques, a rejeté les demandes de mesures conservatoires ;
Sur les observations déposées par l'ARCEP :
Attendu qu'aucun texte ni principe n'habilite l'ARCEP à présenter des observations sur le pourvoi formé contre l'arrêt rendu à la suite du recours formé contre l'une de ses décisions ; que ces observations sont irrecevables ;
Sur le second moyen, pris en ses première et quatrième branches :
Attendu que la société France Télécom fait grief à l'arrêt, réformant sur ce point la décision de l'ARCEP, de lui avoir enjoint de reprendre l'accès de la société Western au trafic international dans l'attente de la décision au fond, alors, selon le moyen :
1 / que les mesures conservatoires susceptibles d'être prononcées en application du code des postes et des communications électroniques doivent être accessoires au litige au fond et ne peuvent préjuger de l'issue du litige ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que la société Western Télécom avait saisi, au fond, l'ARCEP d'une demande tendant notamment à : "constater que France Télécom pratique des prix discriminatoires non orientés vers les coûts et non transparents" ; qu'en conséquence, les moyens tirés de l'absence de prix orientés vers les coûts et de l'existence de prix d'éviction ne pouvaient pas être présentés au soutien d'une demande de mesures conservatoires ; qu'en déclarant toutefois bien fondé ce moyen, pour en déduire que la reprise des fournitures à la société Western Télécom devait être ordonnée, la cour d'appel, préjugeant le fond, a excédé ses pouvoirs et violé les articles L. 36-8 et R. 11-1 du code des postes et des communications électroniques ;
2 / que seuls relèvent de la compétence dévolue à l'ARCEP pour le règlement des différends, les contentieux relatifs à un refus d'accès ou d'interconnexion, à l'échec des négociations commerciales ou à un désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques, ce qui exclut les litiges nés des pratiques observées sur les marchés de détail ; qu'en imputant toutefois à France Télécom une pratique de prix d'éviction au titre de l'article L. 38-1 du code des postes et communications électroniques, laquelle est propre à un marché de détail et ne relève donc pas de la compétence dont dispose l'ARCEP pour trancher un différend, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs au regard des articles L. 36-8 et R.11 du code des postes et des communications électroniques ;
Mais attendu, d'une part, que si les dispositions de l'article R.11-1, alinéa 4, du code des postes et des communications électroniques imposent qu'une demande de mesures conservatoires soit accompagnée ou précédée d'une saisine au fond de l'ARCEP en raison d'un différend mentionné par l'article L. 36-8 du même code, elles ne comportent aucune restriction quant aux pratiques dont est valablement saisie l'ARCEP en vue du prononcé de mesures conservatoires ;
Attendu, d'autre part, que, si c'est à tort qu'en dépit des dispositions de l'article 133 de la loi n° 2004-669 du 10 juillet 2004 et alors que l'ARCEP n'avait pas, à l'époque des faits, mis en oeuvre les compétences que lui confèrent les dispositions des articles L. 37-1 et L. 37-2 du code des postes et des communications électroniques issues de cette loi, la cour d'appel a estimé que des obligations tarifaires résultaient pour la société France Télécom des dispositions de l'article L. 38 1 de ce code, le moyen manque en fait en ce qu'il soutient que la cour d'appel aurait fait application des dispositions de l'article L. 38-1 du même code ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 4 du nouveau code de procédure civile ;
Attendu que, pour faire injonction à la société France Télécom de reprendre l'accès de la société Western au trafic international dans l'attente de la décision au fond, l'arrêt retient que la société France Télécom reconnaît ne pas avoir orienté les prix contractuels vers les coûts ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que dans ses écritures, la société France Télécom, qui faisait valoir que les conditions techniques et tarifaires de son offre d'acheminement international ne pouvaient résulter d'une contrainte sectorielle et se prévalait tant de l'approbation par l'ARCEP de la suppression du catalogue d'interconnexion pour 2001 de l'ensemble des destinations internationales que du projet de décision n° 05-0571 du 15 juin 2005 de l'ARCEP estimant non nécessaire le maintien d'une régulation ex ante sur le marché de gros du transit vers l'international, précisait que ces "constatations factuelles" ne constituaient pas "un aveu" de ce qu'elle aurait effectivement pratiqué des tarifs non orientés vers les coûts, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions de la société France Télécom ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 août 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Western Télécom aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la société Western Télécom à payer à la société France Télécom la somme de 3 000 euros ; rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze décembre deux mille six.