LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu qu'une cour d'appel a, par un arrêt irrévocable, confirmé la rétractation d'une ordonnance enjoignant à M. X... de payer, en qualité de caution solidaire d'une société, la somme de 1 871 621 francs à la Banque régionale de l'Ouest (BRO) ; que celle-ci, reprochant à son avoué, M. Jean-Michel Y..., d'avoir conclu, sans lui en référer, que l'original de l'acte de cautionnement avait été remis à M. X..., alors qu'il n'avait en réalité qu'été momentanément égaré par elle, l'a assigné en indemnisation de son préjudice in solidum avec son assureur, les Mutuelles du Mans assurances ; que réformant le jugement déféré sur le montant des dommages-intérêts, qui avaient été alloués au titre de la perte de chance causée par la faute ainsi commise, l'arrêt attaqué a condamné in solidum M. Y... et les Mutuelles du Mans assurances à payer la somme de 285 326,78 euros à la BRO, correspondant au montant de sa créance envers M. X... ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :
Attendu que la société Mutuelles du Mans assurances et M. Y... font grief à l'arrêt attaqué de les avoir ainsi condamnés, alors, selon le moyen :
1°/ qu'un fait ne saurait être considéré comme un antécédent nécessaire du dommage, et partant causal, si même en son absence, le même préjudice serait survenu ; qu'en retenant que la faute de M. Y... à qui il était reproché d'avoir à tort avoué que l'original de l'acte avait été remis au débiteur était, à l'origine exclusive du préjudice subi par la BRO du fait du rejet de son action à l'encontre de M. X..., bien qu'il résultât de ses propres constatations que la BRO n'avait pas été en mesure de produire l'original de l'acte de cautionnement sur lequel reposait cette demande, sans rechercher, comme elle y était invitée si cette circonstance n'aurait pas, en toute hypothèse et même en l'absence de la faute imputée au défendeur à l'action, entraîné le rejet de la demande de l'établissement de crédit, ce qui était de nature à ôter tout caractère causal au manquement allégué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2°/ que la simple absence de contestation d'un prétendu débiteur ne suffit pas à justifier l'existence de son engagement ; qu'en affirmant que le principe de l'engagement de caution de M. X... n'avait jamais été discuté pour en déduire le caractère causal de la faute de M. Y... dans le préjudice invoqué par la BRO, alors que cette circonstance n'était pas à elle seule de nature à démontrer qu'en l'absence de la faute de l'avoué, l'action de la BRO aurait été couronnée de succès, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;
3°/ qu'en toute hypothèse, une photocopie peut ne pas valoir à elle seule preuve de l'original ; qu'en se bornant à relever que M. X... n'avait pas prétendu que la photocopie de l'acte de caution ne constituait pas une reproduction fidèle et durable de l'original pour en déduire que les chances de succès de la banque auraient été sérieuses en l'absence de l'aveu imputé à M. Y..., et qu'en conséquence la faute de ce dernier était la cause exclusive du dommage invoqué par la BRO, sans rechercher si la photocopie en cause aurait pu être considérée comme fiable par le juge qui s'était prononcé sur l'action de la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1315 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le préjudice a pour cause exclusive la faute de l'avoué constituée par l'aveu judiciaire de la remise de l'original de l'acte de cautionnement à la caution, qui emporte extinction de l'obligation, ce dont les juges avaient déduit, par application des articles 1234 et 1282 du code civil, que M. X... se trouvait libéré de sa dette ;
Que la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Mais sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :
Sur la recevabilité du grief, contestée par la défense :
Attendu que la BRO soutient que le grief est nouveau et irrecevable ;
Mais attendu qu'au regard de l'effet dévolutif total de l'appel interjeté, la notion de perte de chance était dans le débat ; que le grief ne peut être tenu pour nouveau et qu'il est, en conséquence, recevable ;
Et sur le grief :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour réformer le jugement sur le montant des dommages-intérêts et condamner in solidum la société Mutuelles du Mans assurances IARD et M. Y... à payer à la BRO la somme de 285 326,78 euros, l'arrêt retient que le préjudice subi par la banque du fait fautif de son avoué correspond au montant de sa créance envers M. X..., sans qu'il soit justifié de ne retenir qu'une fraction de cette créance ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que le préjudice de la BRO résultait de la perte de chance d'avoir pu faire juger selon les règles probatoires ordinaires, et non en considération de l'aveu judiciaire erroné, l'appel qu'elle avait interjeté contre le jugement rétractant l'ordonnance d'injonction de payer, de sorte qu'il appartenait aux juges du fond de rechercher la probabilité pour cette banque d'obtenir une décision plus favorable sans la faute retenue contre son avoué, puis d'évaluer le montant du préjudice résultant de cette perte de chance, la cour d'appel, qui n'a pas recherché les chances de succès de cette action et a ordonné la réparation intégrale du préjudice, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 9 mai 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Crédit industriel de l'Ouest banque CIO-BRO aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Crédit industriel de l'Ouest banque CIO-BRO ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille huit.