LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :
Attendu que la société Cegelec n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que les descenseurs à sacs constituaient des équipements à vocation industrielle ne relevant pas de l'article 1792 du code civil, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit et, partant, irrecevable ;
Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis, ci-après annexés :
Attendu qu'appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve produits, la cour d'appel a constaté, sans violer l'article 4 du code de procédure civile, ni inverser la charge de la preuve, qu'à défaut de preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice il y avait lieu d'exonérer la société Tractel de toute responsabilité ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Cegelec services aux dépens des pourvois ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Cegelec services à payer aux sociétés Robust et Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre-Manche, ensemble, la somme de 2 500 euros et aux sociétés Tractel solutions et Generali assurances IARD la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP THOMAS-RAQUIN et BENABENT, avocat aux Conseils pour la société Cegelec services, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la Société CEGELEC SERVICES à payer d'une part à la Société GROUPAMA NORMANDIE la somme de 651 721 , d'autre part, à la Société ROBUST la somme de 23 404, le tout avec intérêts du jour de l'assignation du 31 août 2004 ;
AUX MOTIFS QUE « la Société CEGELEC, si elle ne conteste pas que les descenseurs à sacs qu'elle a livrés se sont avérés impropres à leur destination ni que sa responsabilité contractuelle soit susceptible de relever, en application de l'article 6.4 du cahier des clauses administratives générales du marché passé avec la Société ROBUST, de la garantie prévue par les articles 1792 et 2270 du Code civil modifiés par la loi du 4 janvier 1978, sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrite l'action de la Société ROBUST ; qu'elle fait en effet valoir que les réas litigieux sont des éléments dissociables puisqu'ils peuvent être démontés, de telle sorte qu'ils ne font l'objet que de la garantie de bon fonctionnement de deux ans à compter de la réception prévue par l'article 1792-3 du Code civil ; que toutefois, si la distinction entre les éléments d'équipements dissociables ou indissociables est utile pour déterminer, lorsqu'un tel élément est affecté dans sa solidité, entre les garanties prévues par les articles 1792-2 et 1792-3 du Code civil, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le vice affectant cet élément rend l'ensemble de l'ouvrage impropre à son usage ; que la responsabilité de plein droit de la Société CEGELEC relève en conséquence de l'article 1792 du Code civil, les dommages affectant les descenseurs les rendant impropres à leur destination, de telle sorte que l'action de la Société ROBUST, recevable pendant un délai de 10 ans à compter de la réception, n'est pas prescrite » (p. 8) ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'article 1792 du Code civil, texte d'ordre public, ne s'applique qu'à des travaux de construction immobilière et non à des équipements à fonction industrielle ; que les descenseurs à sacs faisant l'objet du marché, structures métalliques motorisées et mobiles se déplaçant sur des rails constituent des équipements industriels et non des constructions immobilières ; qu'en soumettant ces équipements - 20 -à la garantie légale des constructeurs immobiliers, la Cour d'appel a violé par fausse application l'article 1792 du Code civil ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, la seule référence à l'article 1792 du Code civil dans un document contractuel général ne peut rendre ce texte applicable à des travaux qui ne relèvent pas par nature de ce texte que si elle exprime sans équivoque la volonté des parties de leur étendre la garantie légale ; que l'article 6-4 du cahier des clauses administratives générales stipulait seulement que « les stipulations qui précèdent ne font pas obstacle au profit du maître de l'ouvrage de l'action en garantie prévue par les articles 1792 et 2270 du Code civil » ; que cette clause, qui a simplement pour objet de rappeler que l'article 1792 peut s'appliquer selon la nature des travaux, est insusceptible d'en étendre l'application à des travaux qui ne relèvent pas de son champ légal ; qu'en faisant néanmoins application de ce texte à des travaux situés hors de son champ d'application, la Cour d'appel a violé ensemble les articles 1134 et 1792 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société CEGELEC SERVICES de son appel en garantie à l'encontre des Sociétés TRACTEL SOLUTIONS et GENERALI ASSURANCES ;
AUX MOTIFS QU' « elle sera déboutée de son action en garantie contre la Société TRACTEL pour les motifs exposés plus haut » (p. 9 al. 3) ;
ET QUE « le 26 juin 1997, au cours des opérations de chargement d'un navire, des bruits anormaux lors de manoeuvres de relevage des descenseurs de la flèche du deuxième appareil (dénommé D2), ont été détectés par les dockers qui en ont informé le propriétaire de l'installation ; que les poulies dites « réas » guidant les câbles de levage ont été démontées pour examen et il est apparu que nombre d'entre elles étaient affectées de ruptures totales ou partielles des soudures entre les flasques et le moyeu ; qu'après avoir examiné les documents relatifs à la commande des réas par la Société ALSTHOM à la Société CHARLET puis procédé et fait procéder à des calculs de résistance de ces pièces, les experts judiciaires ont conclu que la Société CHARLET avait fourni des réas non conformes aux spécifications (classification M7) qui lui avaient été communiquées par la Société ALSTHOM et ne respectant pas la contrainte de fatigue des règles de l'art ; que selon leurs conclusions définitives, la rupture est la conséquence de la conception de la poulie et surtout de ses soudures, qui a conduit à une contrainte inadmissible dans les conditions de service contractuelles, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si ces conditions de service ont été dépassées ; qu'il est effectivement établi par les pièces versées aux débats que la Société ALSTHOM a consulté la Société CHARLET pour la fourniture de poulies de relevage « suivant spécifications jointes », lesquelles étaient détaillées et mentionnaient notamment la référence au classement FEM (Fédération Européenne de la Manutention) du mécanisme selon les normes L4, T5, M7 ; or, la Société CHARLET a accepté de fournir des réas de type BS renforcé (en acier E 36.3 ou 1) présentés comme conformes aux exigences FEM et utilisables jusqu'au groupe M7 alors qu'il s'est avéré par la suite, selon pièce versée aux débats (A 66 des annexes du rapport d'expertise) que les réas de type BS « série légère » étaient adaptés jusqu'au groupe M6 de la FEM tandis que seuls les réas sur mesure « série lourde » BR, fournis par la suite en remplacement des précédents au cours de l'été 1997, étaient adaptés jusqu'au groupe M8 de la FEM ; qu'en outre, il résulte des calculs effectués dans le cadre de l'expertise, même s'ils sont contestés par la Société TRACTEL et n'ont pas été validés par le Tribunal, que les réas BS fournis n'étaient pas conformes à la spécification M7 ; que toutefois, à supposer qu'il soit démontré que la Société CHARLET ait commis une faute en fournissant des réas non conformes à la commande, la responsabilité de cette société ne peut être engagée que s'il est établi que cette faute est la cause du sinistre ; qu'à cet égard, la Cour constate, comme l'a fait le Tribunal, que malgré les nombreuses demandes faites au cours de l'expertise, les experts judiciaires se sont refusés, au motif que la non-conformité des réas leur paraissait suffisamment démonstratrice, à rechercher si les contraintes engendrées par l'installation conçue et construite par la Société ALSTHOM étaient celles prévues au marché et étaient ainsi compatibles avec les spécifications communiquées à la Société CHARLET ; qu'il résulte pourtant du rapport de l'APAVE, intervenue en qualité de contrôleur technique pour la Société ROBUST, que ces contraintes n'ont cessé d'évoluer dans le temps, sans que les calculs aient été sérieusement refaits pour en mesurer les conséquences, et notamment après la fourniture des réas ; qu'ainsi, l'APAVE fait-elle état dans son rapport communiqué aux débats d'augmentations de masse qui ont abouti dès le mois de février 1997 à dépasser l'enveloppe de poids prévue par la Société ROBUST ; que la Société ALSTHOM avait néanmoins alors interrogé la Société CHARLET sur les conséquences de ces modifications et il avait été décidé sur le conseil de cette dernière de renforcer plusieurs réas en fonction de leurs emplacements ; mais surtout, qu'une nouvelle révision allant de nouveau dans le sens d'un accroissement des contraintes est survenue en septembre 1997, l'APAVE signalant en outre des anomalies dans les calculs et attirant l'attention sur le fait que la remise à niveau de tous ces écarts (de poids) pourrait entraîner des « répercussions non négligeables sur les autres composants de l'engin tels que flèche, relevage, portique, stabilité » ; qu'il ne peut être dès lors affirmé que des réas répondant à la spécification M7 auraient pu résister aux contraintes réelles subies en raison des caractéristiques réelles d'utilisation ou en d'autres termes déterminer si les ruptures constatées sont la conséquence d'une résistance insuffisante des réas ou de l'excès des contraintes exercées par les câbles par rapport aux spécifications prévues ; que les experts, après avoir indiqué dans un premier temps (p. 19 de leur rapport) qu'ils ne pourraient se prononcer, en raison du renforcement par ALSTHOM de l'arrimeur ayant entraîné un surpoids, qu'après communication et étude des notes de calculs et des plans réclamés, se sont bornés à indiquer qu'ils traiteraient de la seule question de la conformité de la livraison CHARLET ; qu'en conséquence, et faute du lien de causalité entre la faute et le préjudice, la Cour, comme l'ont fait les premiers juges, exonèrera la Société TRACTEL (venant aux droits de la Société CHARLET) de toute responsabilité dans la survenance du sinistre et dans ses conséquences » (pp. 6 à 8) ;
ALORS QUE, tenu d'une obligation de résultat envers son donneur d'ordres quant au respect des spécifications précisées par celui-ci, le fournisseur ne peut s'exonérer que par la preuve d'un cas de force majeure ou du fait de son client ; que dès lors qu'il est établi qu'il a méconnu les prescriptions techniques de la commande, il ne peut dégager sa responsabilité qu'à condition d'établir soit un cas de force majeure, soit une faute de son client, telle qu'une inadaptation des prescriptions entraînant que le dommage se serait néanmoins produit s'il avait satisfait aux spécifications ; qu'ayant expressément constaté que « les réas fournis n'étaient pas conformes à la spécification M7 » précisée dans la commande, la Cour d'appel ne pouvait écarter la responsabilité de la Société TRACTEL au motif qu'il n'était pas établi « que des réas répondant à la spécification M7 auraient pu résister aux contraintes réelles subies en raison des caractéristiques réelles d'utilisation » sans inverser la charge de la preuve, en violation de l'article 1147 du Code civil.
Moyen produit par la SCP LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocat aux Conseils pour la société Robust et la Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre-Manche, demanderesses au pourvoi incident :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés ROBUST et GROUPAMA NORMANDIE de leurs demandes faites à l'encontre des sociétés TRACTEL SOLUTIONS et GENERALI ASSURANCES IARD ;
Aux motifs que « sur la détermination des causes techniques des désordres, le 26 juin 1997, au cours des opérations de chargement d'un navire, des bruits anormaux lors de manoeuvres de relevage des descenseurs de la flèche du deuxième appareil (dénommé D2), ont été détectés par les dockers qui en ont informé le propriétaire de l'installation. Les poulies dites "réas" guidant les câbles de levage ont été démontées pour examen et il est apparu que nombre d'entre elles étaient affectées de ruptures totales ou partielles des soudures entre les flasques et le moyeu ;
Qu'après avoir examiné les documents relatifs à la commande des réas par la société Alsthom à la société Charlet puis procédé et fait procéder à des calculs de résistance de ces pièces, les experts judiciaires ont conclu que la société Charlet avait fourni des réas non conformes aux spécifications (classification M7) qui lui avaient été communiquées par la société Alsthom et ne respectant pas la contrainte de fatigue des règles de l'art ;
Que, selon leurs conclusions définitives, la rupture est la conséquence de la conception de la poulie et surtout de ses soudures, qui a conduit à une contrainte inadmissible dans les conditions de service contractuelles, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si ces conditions de service ont été dépassées ;
Qu'il est effectivement établi par les pièces versées aux débats que la société Alsthom a consulté la société Charlet pour la fourniture de poulies de relevage "suivant spécifications jointes", lesquelles étaient détaillées et mentionnaient notamment la référence au classement FEM (Fédération Européenne de la Manutention) du mécanisme selon les normes IA T5,M7 ; Qu'or la société Charlet a accepté de fournir des réas de type BS renforcé (en acier E 36.3 ou 1) présentés comme conformes aux exigences FEM et utilisables jusqu'au groupe M7 alors qu'il s'est avéré par la suite, selon pièce versée aux débats (A66 des annexes du rapport d'expertise) que les réas de type BS "série légère" étaient adaptés jusqu'au groupe M6 de la FEM tandis que seuls les réas sur mesure "série lourde" BR, fournis par la suite en remplacement des précédents au cours de l'été 1997, étaient adaptés jusqu'au groupe M8 de la FEM ;
Qu'en outre il résulte des calculs effectués dans le cadre de l'expertise, même s'ils sont contestés par la société Tractel et n'ont pas été validés par le tribunal, que les réas BS fournis n'étaient pas conformes à la spécification M7 ;
Que, toutefois, à supposer qu'il soit démontré que la société Charlet ait commis une faute en fournissant des réas non conformes à la commande, la responsabilité de cette société ne peut être engagée que s'il est établi que cette faute est la cause du sinistre ;
Qu'à cet égard, la cour constate, comme l'a fait le tribunal, que malgré les nombreuses demandes faites au cours de l'expertise, les experts judiciaires se sont refusés, au motif que la nonconformité des réas leur paraissait suffisamment démonstratrice, à rechercher si les contraintes engendrées par l'installation conçue et construite par la société Alsthom étaient celles prévues au marché et étaient ainsi compatibles avec les spécifications communiquées à la société Charlet ;
Qu'il résulte pourtant du rapport de l'Apave, intervenue en qualité de contrôleur technique pour la société Robust, que ces contraintes n'ont cessé d'évoluer dans le temps, sans que les calculs aient été sérieusement refaits pour en mesurer les conséquences, et notamment après la fourniture des réas ;
Qu'ainsi l'Apave fait elle état dans son rapport communiqué aux débats d'augmentations de masse qui ont abouti dès le mois de février 1997 à dépasser l'enveloppe de poids prévue par la société Robust ;
Que la société Alsthom avait néanmoins alors interrogé la société Charlet sur les conséquences de ces modifications et il avait été décidé sur le conseil de cette dernière de renforcer plusieurs réas en fonction de leurs emplacements ;
Que surtout une nouvelle révision allant de nouveau dans le sens d'un accroissement des contraintes est survenue en septembre 1997, l'Apave signalant en outre des anomalies dans les calculs et attirant l'attention sur le fait que la remise à niveau de tous ces écarts (de poids)pourrait entraîner des "répercussions non négligeables sur les autres composants de l'engin tels que flèche, relevage, portique, stabilité" ;
Qu'il ne peut être dès lors affirmé que des réas répondant à la spécification M7 auraient pu résister aux contraintes réelles subies en raison des caractéristiques réelles d'utilisation, ou en d'autres termes déterminer si les ruptures constatées sont la conséquence d'une résistance insuffisante des réas ou de l'excès des contraintes exercées par les câbles par rapport aux spécifications prévues ;
Que les experts, après avoir indiqué dans un premier temps (p 19 de leur rapport) qu'ils ne pourraient se prononcer, en raison du renforcement par Alsthom de l'arrimeur ayant entraîné un surpoids, qu'après communication et étude des notes de calculs et des plans réclamés, se sont bornés à indiquer qu'ils traiteraient de la seule question de la conformité de la livraison Charlet ;
Qu'en conséquence et faute de preuve du lien de causalité entre la faute et le préjudice, la cour, comme l'ont fait les premiers juges, exonérera la société Tractel (venant aux droits de la société Charlet) de toute responsabilité dans la survenance du sinistre et dans ses conséquences » (arrêt, p. 6 à 8) ;
1) Alors que la société TRACTEL était tenue d'une obligation de résultat de fournir des réas conformes aux spécifications convenues ; que la cour d'appel ayant constaté que les réas livrés, adaptés seulement jusqu'au groupe M6, ne respectaient pas les spécifications de contrainte M7 prévues au marché, il incombait à la société TRACTEL, dont la responsabilité était présumée, d'établir que l'incident avait été causé, non par sa faute, mais par l'excès des contraintes exercées par les câbles au regard des spécifications M7 prévues ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1147 du code civil ;
2) Alors en tout état de cause que la cour d'appel ne pouvait, sauf à méconnaître son office, retenir que la preuve du lien de causalité n'était pas rapportée, au prétexte que, les experts s'étant refusés à rechercher si les contraintes engendrées par l'installation conçue et construite par la société Alsthom étaient celles prévues au marché et étaient ainsi compatibles avec les spécifications communiquées à la société Charlet, il lui était impossible de déterminer si les ruptures constatées étaient la conséquence d'une résistance insuffisante des réas ou de l'excès de contraintes exercées par les câbles par rapport aux spécifications prévues ; qu'il lui appartenait, au besoin, après avoir invité les experts à compléter leurs conclusions, de trancher cette question ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;