LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jeannette, épouse Y..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NOUMÉA, chambre correctionnelle, en date du 17 juin 2008, qui, dans la procédure suivie contre Shene Y... du chef de violences aggravées, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 382, 591 et 593 du code de procédure pénale, L.562-3 du code de l'organisation judiciaire, 7, 19, 21 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999, 6 § 1 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du principe de non-discrimination ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le tribunal correctionnel de Nouméa incompétent pour statuer sur les intérêts civils au profit de la juridiction civile complétée par les assesseurs coutumiers ;
"aux motifs que la juridiction pénale a rendu la décision critiquée après avoir constaté que les deux parties, victime et prévenu, étaient de statut civil coutumier ; que cette décision repose sur ce constat et sur les dispositions prévues par les articles 7 et 19 de la loi organique 99-209 du 19 mars 1999 ; que cette motivation se fonde sur un avis 007001P du 15 janvier 2007 rendu par la Cour de cassation à la demande de la cour d'appel de Nouméa, selon lequel il résulte de l'article 7 que les personnes de statut civil coutumier kanak sont régies, pour l'ensemble du droit civil, par leur coutume et de l'article 19 que la juridiction civile de droit commun, seule compétente pour connaître des litiges dans lesquels toutes les parties sont de statut civil coutumier kanak, est alors complétée par des assesseurs coutumiers ; que la juridiction suprême en a déduit que la juridiction pénale est incompétente pour statuer sur les intérêts civils lorsque toutes les parties sont de statut civil coutumier kanak ; qu'il n'est pas contesté que l'auteur des faits, Shene Y... et la victime, Jeannette X..., épouse Y..., sont tous deux de statut civil coutumier ; que l'avis rendu par la Cour de cassation, s'il n'a pas, par sa nature, vocation à s'imposer aux juridictions pénales du ressort de la cour d'appel de Nouméa, doit être pris en considération par celles-ci ; qu'en effet, il s'appuie sur des dispositions prévues par la loi organique 99-209 du 19 mars 1999 ; qu'au regard du principe de la hiérarchie des normes juridiques, il est admis qu'une loi organique représente une valeur supérieure à celle des lois ordinaires, telles celles qui régissent le code de procédure pénale ; qu'en outre, la mise en oeuvre des dispositions prévues aux articles 7 et 19 de la loi organique n'a pas pour effet de priver les citoyens relevant du statut civil coutumier kanak du droit de mettre en mouvement l'action publique ; que ces dispositions ne visent pas, en effet, la phase de la procédure judiciaire relative à la mise en mouvement de l'action publique mais la phase qui concerne le jugement sur l'affaire sur l'action civile et plus particulièrement la composition de la juridiction appelée à statuer sur les intérêts civils ; qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce que le tribunal correctionnel s'est déclaré incompétent pour statuer sur les intérêts civils au profit de la juridiction civile complétée par les assesseurs coutumiers, au motif que toutes les parties étaient de statut civil coutumier kanak ;
"1°) alors que l'article 19 de la loi organique 99-209 du 19 mars 1999 qui donne compétence exclusive à la juridiction civile de droit commun pour connaître des litiges et requêtes relatifs au statut civil coutumier ou aux terres coutumières n'exclut pas la compétence du tribunal correctionnel saisi d'une action publique pour connaître de l'action civile de la victime de l'infraction poursuivie, lorsque cette dernière et le prévenu sont tous deux de statut civil coutumier ; qu'en se fondant néanmoins, pour déclarer le tribunal correctionnel incompétent pour statuer sur les intérêts civils, sur la circonstance que l'auteur des faits et la victime étaient tous deux de statut civil coutumier, la cour d'appel a méconnu les dispositions susvisées ;
"2°) alors que toute victime a droit à ce que son action civile puisse être exercée en même temps que l'action publique et devant la même juridiction, sans distinction aucune, fondée notamment sur l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale ; qu'en se fondant néanmoins, pour déclarer le tribunal correctionnel incompétent pour statuer sur l'action civile formée par Jeannette X..., sur les dispositions des articles 7 et 19 de la loi organique 99-209 du 19 mars 1999, lesquelles excluraient que le tribunal correctionnel puisse connaître des intérêts civils lorsque toutes les parties relèvent du statut civil coutumier kanak, la cour d'appel a violé le principe de non-discrimination prévu par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Shene Y..., de statut civil coutumier kanak, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Nouméa, par voie de convocation en justice, notifiée à sa personne, pour violences aggravées commises sur la personne de son épouse Jeannette X... de même statut ; que le tribunal, qui l'a déclaré coupable des faits reprochés et qui a reçu la victime en sa constitution de partie civile, s'est déclaré incompétent pour réparer le préjudice au profit de la juridiction civile complétée d'assesseurs coutumiers ; que cette décision, régulièrement signifiée au prévenu qui n'a pas comparu devant la juridiction, a été frappée d'appel par la seule partie civile qui a fait valoir que le tribunal répressif était compétent pour connaître de la demande en réparation ;
Attendu que, pour confirmer le jugement dans ses dispositions relatives à la compétence de la juridiction civile, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article 7 de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999, que les personnes de statut civil coutumier kanak sont régies, pour l'ensemble du droit civil, par leur coutume, et de l'article 19 de la même loi, que la juridiction civile de droit commun, seule compétente pour connaître des litiges dans lesquels toutes les parties sont de statut civil coutumier kanak, est alors complétée par des assesseurs coutumiers ; que les juges en déduisent que la juridiction pénale, à laquelle ne sont pas applicables les articles 2 et suivants de l'ordonnance 82-877 du 15 octobre 1982, devenus les articles L. 562 -19 et suivants du code de l'organisation judiciaire, instituant des assesseurs coutumiers au tribunal civil de première instance et à la cour d'appel, dont le sens et la portée n'ont pas été modifiés par l'ordonnance n°2006-73 du 8 juin 2006 portant refonte à droit constant de ce code, est incompétente pour statuer sur les intérêts civils lorsque toutes les parties sont de statut coutumier kanak ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les dispositions conventionnelles invoquées, a fait l'exacte application des textes précités, en l'état de la déclaration de la France effectuée en application de l'article 63 devenu l'article 56 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais, sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3, 418, 509, 515, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation du principe du contradictoire et excès de pouvoir ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Jeannette X... ;
"aux motifs qu'il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile de Jeannette X... épouse Y..., la juridiction ne pouvait, sans se contredire, statuer sur la recevabilité de la constitution de partie civile de la victime puis se déclarer incompétente pour connaître de l'action civile ;
1°) alors que l'action civile devant les tribunaux répressifs est un droit exceptionnel qui doit être strictement renfermé dans les limites fixées par les articles 2 et 3 du code de procédure pénale, applicables en Nouvelle-Calédonie, et dont l'appréciation relève de la compétence exclusive du juge pénal ; qu'en se fondant, pour dire que le tribunal correctionnel ne pouvait recevoir l'action civile, sur la circonstance inopérante que le litige sur les intérêts civils relèverait de la compétence de la juridiction civile, la cour d'appel a méconnu l'étendue de la compétence du juge pénal ;
2°) alors que la cour ne peut, sur le seul appel de la partie civile contre un jugement ayant déclaré le prévenu coupable des faits qui lui étaient reprochés et ayant reçu celle-ci en sa constitution de partie civile, aggraver le sort de l'appelant ; que la cour qui, saisie du seul appel de la partie civile, a infirmé le jugement en ce qu'il avait reçu la constitution de partie civile de cette dernière, sans inviter au préalable les parties à s'expliquer sur la recevabilité de cette constitution, a méconnu l'étendue de sa saisine et aggravé le sort de l'appelante, violant ainsi les articles susvisés" ;
Vu les articles 2, 3, 509 et 515 du code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part , aux termes des articles 509 et 515 du code de procédure pénale, la cour d'appel ne peut, sur le seul appel de la partie civile, modifier le jugement dans un sens défavorable à celle-ci ;
Attendu que, d'autre part, même dans le cas où la réparation du dommage échappe à la compétence de la juridiction répressive, la constitution de partie civile est cependant recevable en ce qu'elle tend à faire établir l'existence de l'infraction ;
Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait reçu la victime en sa constitution de partie civile, les juges énoncent qu'ils ne peuvent, sans se contredire, statuer sur la recevabilité de cette constitution puis se déclarer incompétents pour connaître de l'action civile ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui, sur le seul appel de la partie civile limité à la compétence du juge répressif pour liquider son préjudice, dont l'existence résultait de la déclaration de culpabilité passée en force de chose jugée, a aggravé son sort en la privant de la possibilité, à elle définitivement reconnue par le jugement frappé d'appel, d'intervenir aux débats sur l'action publique, afin de pouvoir opposer, devant le tribunal chargé de la liquidation, une décision intervenue en sa présence sur cette action, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives à la recevabilité de la constitution de partie civile de Jeannette X..., épouse Y..., l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nouméa, en date du 17 juin 2008, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que la disposition du jugement ayant exactement reçu la demanderesse en sa constitution de partie civile est devenue définitive ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nouméa et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Mme Radenne conseillers de la chambre, MM. Chaumont, Delbano, Mme Harel-Dutirou conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Fréchède ;
Greffier de chambre : M. Souchon ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;