LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que pour financer l'acquisition par la société La Petite Miette d'un fonds de commerce, la Banque populaire industrielle et commerciale de la région Sud de Paris, aux droits de laquelle vient la Banque populaire Rives de Paris (la banque) a consenti à celle-ci par acte des 30 avril et 18 mai 1998 un prêt d'un montant de 185 987,80 euros dont le remboursement était garanti, à concurrence de 170 742,89 euros, par les engagements de cautions souscrits, d'une part, par les époux X..., tous deux associés de la société, d'autre part, par la société Socama BICS ; que par acte du 5 août 1998, Mme X... s'est en outre portée caution solidaire à concurrence de la somme de 9 164,94 euros, de tous les engagements de la société La Petite Miette envers la banque qui a consenti à celle-ci une facilité de caisse en compte courant du même montant; que la société La Petite Miette a été placée en liquidation judiciaire le 25 octobre 1999 ; que les époux X... ont alors fait assigner la banque en annulation de leurs engagements de cautions et en paiement de dommages-intérêts ; que la banque a fait assigner Mme X... en paiement de la somme due au titre du solde débiteur du compte courant de la société et la société Socama BICS, subrogée dans les droits de la banque pour avoir exécuté envers elle son engagement de caution, a fait assigner les époux X... en paiement de la somme de 170 056,13 euros ; que l'arrêt attaqué, statuant sur ces différentes instances qui avaient été jointes, a déclaré nuls pour réticence dolosive de la banque les engagements de cautions souscrits par M. et Mme X... les 30 avril et 18 mai 1998, débouté en conséquence la société Socama BICS de sa demande, condamné Mme X... à payer à la banque la somme de 7 751,13 euros au titre du solde débiteur du compte courant de la société La Petite Miette et condamné la banque, pour avoir fait souscrire à Mme X... les cautionnements litigieux, à payer à celle-ci à titre de dommages-intérêts la somme de 24 825,42 euros en réparation du préjudice financier et la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, et sur la seconde branche du second moyen :
Attendu qu'aucun de ces moyens ne serait de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur la première branche du second moyen :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour condamner la banque à payer à Mme X... la somme de 24 825,42 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que seule l'appréciation optimiste par la banque des capacités de développement du chiffre d'affaires de la société La Petite Miette, qui a mené inévitablement à la liquidation de cette société, a privé Mme X..., gérante de la société, de sa rémunération qu'elle a évaluée à 17 074,29 euros ; qu'en statuant ainsi, alors que la perte de cette rémunération n'était pas imputable à la faute commise par la banque à l'égard de sa caution, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la Banque populaire Rives de Paris à payer à Mme X... la somme de 24 825,42 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier occasionné par son engagement de caution, l'arrêt rendu le 15 mai 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Banque populaire Rives de Paris et de la société Socama BICS ;
Vu l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, rejette la demande de la SCP Ortscheidt, avocat de Mme X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre septembre deux mille neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Y..., avocat aux Conseils pour la société Banque populaire Rives de Paris et la société Socama Bics
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nuls les engagements de caution souscrits les 30 avril et 18 mai 1998 par Monsieur et Madame X... et d'avoir débouté la société Socama Sud de Paris de sa demande tendant à voir condamner Monsieur et Madame X... à lui payer la somme de 149 178,75 euros au titre des prêts consentis les 30 avril et 18 mai 1998 ;
Aux motifs que « lors de l'octroi des prêts à la société en constitution en avril 1998, Madame X... (…) n'était titulaire du CAP de boulangerie (…) que depuis quelques mois, et n'avait aucune expérience professionnelle ni dans le domaine de la boulangerie ni dans celui de la gestion et du financement des entreprises ; qu'elle avait toujours été salariée auparavant, et assurait dernièrement au sein d'une société de recouvrement de créances le conseil de créanciers souhaitant engager une procédure judiciaire (…) ; que d'autre part, au moment de la signature des actes de prêt, elle exerçait son activité rue de Javel à Paris depuis quinze jours seulement et ne connaissait pas l'achalandage de la boulangerie ; qu'à cet égard la boutique (…) n'était pas très bien située puisqu'elle subissait dans le seul rayon de 200 mètres la concurrence de 5 autres boulangeries ; que la banque ne pouvait ignorer cette circonstance, ayant elle-même une agence à proximité et les cédants du fond ayant leur compte professionnel en ses livres ; que la BPRP était déjà créancière des époux Z..., précédents exploitants ; que Monsieur X..., technicien de maintenance, n'avait aucune compétence dans le domaine de la boulangerie (…) ; que le seul fait que l'artisan ait une qualification professionnelle ne suffit pas à le considérer comme une caution avertie ; qu'en l'espèce, il résulte clairement des circonstances de la cause que Mme X... (et encore moins son époux) n'était pas une caution "avertie" des risques de l'exploitation commerciale projetée, ni de la gestion d'une entreprise ; que la banque devait mettre en garde Madame X... au regard des capacités financières réelles de la société La Petite Miette, lesquelles étaient modestes au départ, et des risques de surendettement pesant sur l'exploitant ; que c'est à bon droit que la décision entreprise a estimé que la banque ne justifiait d'aucune investigation précise pour vérifier elle-même le sérieux et l'équilibre financier de l'opération envisagée (…) ; qu'alors que les revenus cumulés de M. et Mme X... en 1997 (…) correspondaient pour M. X... à 0,25 % des mensualités auxquelles il s'engageait et pour Mme X... à 0,50 % de ces sommes, la disproportion flagrante entre les revenus du couple (qui ne possédait aucun patrimoine) et les engagements contractés caractérise une faute à la charge de la Banque Populaire ; que bien plus, après avoir sollicité les engagements des cautions à hauteur de 1.120.000 F en principal, la BPRP a fait souscrire à Mme X... un nouvel engagement de caution pour la somme de 9 146,94 euros nets moins de quatre mois après le démarrage de la société La Petite Miette, sans procéder à aucune nouvelle vérification des disponibilités de l'intéressée ; que le 6 août 1998, l'engagement de Mme X... était manifestement disproportionné à ses ressources et son patrimoine de sorte que le manquement de la banque à son obligation de mise en garde est avéré ; qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré nuls les engagements de caution des 30 avril et 18 mai 1998 pour réticence dolosive de la banque quant à l'impact du projet sur les disponibilités financières des cautions ; que sur le fondement de l'engagement de caution du 6 août 1998, la banque ne sera pas déboutée de sa demande, mais la condamnation correspondante sera appelée à se compenser avec la réparation accordée à Mme X... » ;
Alors que 1°) le seul manquement à une obligation précontractuelle d'information ne peut suffire à caractériser une réticence dolosive, si le caractère intentionnel de ce manquement et l'erreur déterminante provoquée par celui-ci ne sont pas constatés ; qu'en ayant prononcé la nullité des engagements de caution des 30 avril et 18 mai 1998 en raison de la réticence dolosive de la Banque Populaire caractérisée par le manquement de cette dernière à son devoir de mise en garde, sans avoir constaté ni le caractère intentionnel de ce manquement, ni que celui-ci était déterminant du consentement des cautions dirigeantes de la société, la cour d'appel a violé l'article 1116 du Code civil ;
Alors que 2°) le banquier n'est tenu d'un devoir de mise en garde qu'à l'égard de la caution non avertie ; qu'en ayant retenu que Madame X..., qui avait créé la société La Petite Miette dont elle était l'associée et la gérante et qui avait de surcroît occupé pendant 19 ans des fonctions de responsable juridique d'un service chargé de la gestion de contentieux civils et commerciaux et du recouvrement de créances, était non avertie, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;
Alors que 3°) en n'ayant pas répondu aux conclusions déterminantes de la Banque Populaire et de la société SOCAMA Sud de Paris qui faisaient valoir que Madame X... avait consulté plusieurs experts pour l'élaboration du montage financier, le choix du fonds de commerce et la faisabilité de l'opération, en sorte qu'elle était nécessairement avertie, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Banque Populaire Rives de Paris à payer à Madame X... les sommes de 24.825,42 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et de 10.000 euros au titre du préjudice moral occasionné par son engagement de caution ;
Aux motifs propres que « Madame X... réclame au titre de son préjudice financier celui qu'elle estime découler pour elle de la liquidation judiciaire de la société La Petite Miette intervenue le 25 octobre 1999 ; qu'elle demande le paiement de la somme de (…) 17.074,29 euros correspondant au montant de sa rémunération de gérante, de 1.067,14 euros bruts par mois, non perçue pendant 16 mois, de juillet 1998 à octobre 1999 ; qu'il est certain que seule l'appréciation trop optimiste par la banque des capacités de développement par la boulangerie de son chiffre d'affaires, menant à la concrétisation inévitable des difficultés de la société La Petite Miette, a pu priver sa caution dirigeante d'une rémunération qui était censée garantir les engagements pris ; qu'ainsi le préjudice financier personnel de Mme X... sera justement compensé par l'octroi à titre de dommages-intérêts de la somme de 17.074,29 euros montant de la rémunération, votée en assemblée générale de la société, qu'elle était en droit d'attendre de l'activité professionnelle investie par elle (…) ; que Madame X... (…) a été ruinée par les engagements qu'elle a été amenée à souscrire et a rencontré d'importants problèmes de santé réactionnels ; qu'elle est aujourd'hui retraitée et hébergée par ses enfants ; que la décision entreprise apparaît avoir justement évalué le préjudice moral occasionné au couple X... à la somme de 10.000 euros » ;
Et aux motifs adoptés que « le préjudice moral occasionné aux époux X... par les soucis découlant de cette procédure sera fixé, à défaut de justification précise de la nature et de l'étendue de ses différents éléments, à la somme forfaitaire de 10.000 euros » ;
Alors que 1°) le banquier dispensateur de crédit n'est tenu d'indemniser que les conséquences directes de sa faute ; que la cour d'appel, qui n'avait retenu qu'une faute de la Banque Populaire à l'égard de la caution, ne pouvait condamner la banque à réparer la perte de rémunération de la gérante, qui ne résultait pas directement du manquement de la banque au devoir de mise en garde envers la caution (violation de l'article 1382 du Code civil) ;
Alors que 2°) la réparation d'un préjudice doit être intégrale et ne peut être fixée en équité à une somme forfaitaire ; qu'en ayant fixé en équité le montant des dommages et intérêts dus aux époux X... à une somme forfaitaire de 10.000 euros au titre du préjudice moral, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice.