LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois février deux mille dix, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller LE CORROLLER, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, de la société civile professionnelle THOMAS-RAQUIN et BÉNABENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général FINIELZ ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Pierre,- LA SOCIÉTÉ MILLENIUM DIFFUSION prise en la personne de son liquidateur Michel Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 4 février 2009, qui a condamné le premier, pour recel, à 3 000 euros d'amende dont 1 500 euros avec sursis, la seconde, pour complicité de recel, à 3 000 euros d'amende dont 1 500 euros avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I - Sur le pourvoi de la Société Millenium Diffusion :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II - Sur le pourvoi de Pierre X... :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, L. 713-3, L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a reconnu Pierre X... coupable de recel de contrefaçon de marque, l'a condamné à la peine de 3 000 euros d'amende dont 1 500 euros avec sursis et a alloué à la société BPI la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que, sur les marques Jean-Paul Gaultier « Le Mâle » ; que la SA BPI a déposé deux marques tridimensionnelles en couleur, les 25 mars et 7 septembre 1995, sous les n° 95564538 et 95587225, la première représentant un flacon en verre translucide en forme de tronc masculin, fortement musclé, sans bras, de couleur bleutée surmonté d'une pompe, la seconde représentant ce flacon muni d'un bouchon cylindrique et orné de bandes horizontales en verre dépoli sur le buste ; que si le flacon litigieux « Inmate for men » ne constitue pas la reproduction à l'identique de cette marque, il convient de rechercher s'il existe, entre ces deux flacons, un risque de confusion visuelle ou conceptuelle au terme d'une appréciation globale fondée sur l'impression d'ensemble produite ; que les caractéristiques du flacon dans la déclinaison qui en est faite procèdent d'un parti pris esthétique qui traduit une démarche créative portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur ; que la contrefaçon s'apprécie par un examen d'ensemble et non par une analyse de détail ; que les flacons incriminés reproduisent les caractères essentiels de la marque tridimensionnelle, à savoir un buste d'homme en couleur, sans bras et particulièrement musclé, de sorte que se dégage des deux conditionnements la même impression d'ensemble ; que le consommateur moyen ne peut que se méprendre sur l'origine du flacon litigieux ; que les différences insignifiantes liées au matériau, la présence d'un biseau et d'un socle, la hauteur de la coupe du buste, passent inaperçues aux yeux d'un consommateur moyennement attentif, qui sera conduit à considérer que les flacons « Inmate for Men » sont une déclinaison des flacons « Le Mâle », déposé à titre de marque, de sorte que les faits de contrefaçon sont caractérisés, peu importe que les circuits de distribution soient différents ;
" et aux motifs, sur la marque Jean-Paul Gaultier « Classique » ; que la marque figurative tridimensionnelle n° 922440690 représente un flacon de couleur rose en partie transparent ou légèrement translucide, surmonté d'un bouchon argent, évoquant un buste féminin, revêtu d'un étroit bustier, sans bras, avec une poitrine opulente, une taille fine et des hanches marquées ; que le flacon « Inmate for women » reproduit les caractéristiques essentielles de la marque tridimensionnelle notamment un buste sans bras, la forme opulente de la poitrine, celle marquée des hanches avec un bouchon métallique ; que les différences tenant à la couleur du flacon, au matériau utilisé, la nudité de la poitrine et le trépied, n'affectent pas l'impression d'ensemble qui se dégage, des deux conditionnements, dès lors que la forme du corps féminin qu'ils évoquent, est suggérée dans les mêmes proportions, de sorte que le consommateur moyennement attentif sera enclin à leur attribuer une origine commune en dépit de la différence inopérante des circuits de distribution ; que les faits de contrefaçon de marque sont là aussi caractérisés ;
" 1°) alors que, selon l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, la contrefaçon de marque n'est caractérisée que s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public entre le produit contrefait et le produit contrefaisant ; que, pour apprécier ce risque, les juges peuvent se fonder sur des éléments extrinsèques, telle une différence des circuits de distribution ; qu'en l'espèce, Pierre X... soutenait qu'il n'existait aucun risque de confusion dans l'esprit des consommateurs compte tenu notamment des différences entre les circuits de distribution et la structure de la clientèle des produits en cause ; qu'en refusant de prendre en considération ces différences en raison de leur prétendue inopérance, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen " ;
" 2°) alors que la contrefaçon ne peut être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre relevant du domaine public ; que la représentation d'un buste sans bras ne peut être protégée par le droit des marques, dès lors qu'elle ressortit au domaine public ; qu'en l'espèce il appert des propres termes de l'arrêt que si le flacon « Inmate for men » représente un buste d'homme sans bras, il diffère de celui de la marque « Jean-Paul Gaultier – Le Mâle » par sa couleur, son matériau ou encore sa hauteur de coupe ; qu'il ressort de même que si le flacon « Inmate for women » représente un buste de femme sans bras, il existe avec le flacon de la marque « Jean-Paul Gaultier – Classique » des différences tenant à la couleur du flacon, au matériau utilisé, la nudité de la poitrine ou la présence d'un trépied ; qu'en se fondant néanmoins, pour retenir la contrefaçon, sur le fait que les flacons litigieux représentaient tous deux des bustes sans bras, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation du principe précité et des articles visés au moyen " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 321-1 du code pénal, L. 122-4, L. 511-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a reconnu Pierre X... coupable de recel de contrefaçon de droit d'auteur et de modèle, l'a condamné à la peine de 3 000 euros d'amende dont 1 500 euros avec sursis et a alloué à la société BPI la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que, sur le flacon « Le Mâle », la SA BPI caractérise son modèle de flacon par sa forme stylisée de tronc masculin, à la musculature saillante, sans bras, de couleur bleutée, surmontée d'un bouchon cylindrique en métal ; que ce modèle a été déposé en couleur à l'Institut national de la propriété industrielle le 25 avril 1994 sous le n° 942417 ; que, pour s'opposer au grief de contrefaçon, les appelants soutiennent que l'idée de commercialiser un parfum dans un flacon en forme de buste humain n'est ni nouvelle, ni originale et relève au contraire, d'un genre ou d'une idée ancienne et classique ; que, pour bénéficier de la protection spécifique instaurée par le livre V du code de la propriété intellectuelle, il convient de rechercher si le modèle en cause est nouveau, c'est-à -dire s'il ne peut lui être opposé d'antériorité et s'il possède un caractère propre résultant d'une impression globale différente des modèles divulgués antérieurement ; que le flacon commercialisé par la société Z..., dénommé « Shocking », créé en 1930, représentant un buste épuré, sans bras, dont les proportions s'apparentent à celle du mannequin utilisé par les couturières, ne présente pas les caractéristiques du flacon « Le Mâle », à savoir un buste masculin particulièrement musclé ; qu'il n'est pas contesté que les flacons « Orphée », « Red Heat », « Rocky man », « Physical Jockey for man », « Heros », « Cyrus for men » ont été créés postérieurement au dépôt du modèle de la SA BPI ; que par voie de conséquence, aucun document versé aux débats n'établit une antériorité susceptible de détruire la nouveauté de la combinaison revendiquée ; que le modèle de la SA BPI répond ainsi au caractère de nouveauté et représente un caractère propre ; qu'il est protégeable au sens du livre V du code de la propriété intellectuelle ; qu'en outre le modèle, dont la banalité n'est pas établie, est, par sa forme spécifique de buste masculin stylisé, sans bras, à la musculature saillante, surmonté d'un bouchon cylindrique argenté, adoptant une couleur bleue, le résultat d'un processus créatif qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et bénéficie également de la protection instaurée par le livre I du code de la propriété intellectuelle ; qu'il résulte de l'examen des flacons en présence, auquel la cour a procédé, que le flacon litigieux « Inmate for Men », reproduit les caractéristiques originales du modèle « Le Mâle » en ce qu'il représente un buste masculin, à la musculature proéminente, sans bras, surmonté d'un bouchon de forme cylindrique ; que le consommateur moyennement attentif sera enclin à attribuer aux deux flacons une origine commune, notamment par les ressemblances visuelles qui se dégagent des conditionnements ; qu'il s'ensuit que le modèle « Inmate for Men » contrefait le modèle « Le Mâle » et porte atteinte aux droits d'auteur dont la SA BPI est investie sur ce modèle ;
" et aux motifs que, sur le flacon « Classique », la société Millenium diffusion et Pierre X... reprochent à la SA BPI sa volonté monopolistique et abusive d'interdire à quiconque de commercialiser une eau de toilette dès lors que le contenant serait constitué d'un buste de femme et ce, qu'elle que soit sa configuration esthétique, forme déjà adaptée par les dessinateurs des années « 40 », afin de représenter les « nymphettes » ou « vamps » de l'époque ; que la SA BPI, qui ne revendique aucun monopole sur ce concept, fait justement valoir qu'il est arbitraire de représenter un flacon de parfum en forme de buste féminin sans bras comportant une poitrine opulente et un bouchon en forme cylindrique ; que le buste du flacon « Shocking », représentant un buste épuré, sans bras, dont les proportions s'apparentent à celle du mannequin utilisé par les couturières, ne présente pas les caractéristiques revendiquées par la SA BPI, à savoir un buste féminin, revêtu d'un étroit bustier, sans bras, avec une poitrine opulente, une taille fine et des hanches marquées ; que les caractéristiques du flacon, dans la déclinaison qui en est faite, procèdent d'un parti pris esthétique qui traduit une démarche créative portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur, de sorte qu'il est protégeable par le droit d'auteur ; que l'examen des flacons en présence auquel la cour s'est livrée révèle que le flacon « Inmate for women » reproduit les caractéristiques essentielles du flacon original de la SA BPI notamment un buste sans bras, la forme opulente de la poitrine, celle marquée des hanches, le bouchon métallique ; que les différences liées au matériau utilisé, la présence d'un biseau et d'un socle, la hauteur de la coupe du buste, n'affectent pas la contrefaçon, laquelle s'apprécie par un examen d'ensemble et non par une analyse de détails de sorte que les flacons incriminés contrefont le modèle « Classique » et portent atteinte aux droits d'auteur dont est investie la SA BPI ;
" 1°) alors que les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, Pierre X... soutenait qu'il ressortait des pièces versées aux débats que la configuration esthétique revendiquée n'était pas nouvelle ou propre au sens de la loi dès lors que cette présentation était antériorisée de longue date comme le démontrait notamment le modèle de flacon commercialisé depuis 1994 / 1995 sous la dénomination « Héros » par la société Uomo parfums représentant un buste masculin d'inspiration gréco-romaine, ainsi que le modèle de flacon « Cyrus for Men » commercialisé par la société Pagnaccos représentant également un buste masculin pourvu d'une imposante musculature ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'était pas contesté que les flacons « Héros » et « Cyrus for men » ont été créés postérieurement au dépôt par la société BPI du modèle « Le Mâle », quand Pierre X... le contestait expressément, la cour d'appel a dénaturé les conclusions dont elle était saisie ;
" 2°) alors qu'il résulte des propres dispositions de l'arrêt que l'originalité du flacon « Le Mâle » tenait notamment en sa couleur bleue ; qu'en affirmant que le flacon « Inmate for Men » reproduisait les caractéristiques essentielles du flacon « Le Mâle » sans constater s'il était de couleur bleue, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
" 3°) alors qu'un modèle a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée ; qu'en l'espèce, Pierre X... soutenait que les flacons « Le Mâle » et « Classique » n'avaient pas de caractère propre au regard du flacon de parfum « Shocking » créé par Elsa Z... en 1937, et représentant un buste humain sans bras ; que, pour affirmer que les modèles dont s'agit revêtaient un caractère propre, la cour d'appel s'est contentée de relever que le flacon créé par Elsa Z... ne présentait pas toutes les caractéristiques de ceux revendiqués par la société BPI ; qu'en statuant ainsi, sans nullement rechercher ni établir que l'impression visuelle d'ensemble que les flacons « Le Mâle » et « Classique » suscitaient chez l'observateur averti différait de celle produite par le flacon « Shocking », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-4 du code de la propriété intellectuelle ;
" 4°) alors que la contrefaçon ne peut être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d'un genre relevant du domaine public ; que la représentation d'un buste sans bras ne peut être protégée par le droit d'auteur, dès lors qu'elle ressortit au domaine public ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de l'arrêt que si le flacon « Inmate for women » représentait un buste de femme sans bras, il différait cependant du modèle « Classique » de par le matériau utilisé, la présence d'un biseau et d'un socle, ainsi que la hauteur de la coupe du buste ; qu'en se fondant néanmoins pour retenir l'existence d'une contrefaçon, sur le fait que le flacon incriminé représentait un buste sans bras, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation du principe précité ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 121-3, 321-1 du code pénal, L. 511-2 et suivants, L. 716-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a reconnu Pierre X... coupable de recel de contrefaçon de droits d'auteur, de modèle et de marque, l'a condamné à la peine de 3 000 euros d'amende dont 1 500 euros avec sursis et a alloué à la société BPI la somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que les délits de contrefaçons étant établis, le recel est certain puisque les prévenus, professionnels de la distribution de parfums, avaient parfaitement conscience de la similitude entre les produits mis en vente et ceux protégés et ont d'ailleurs joué sur cette similitude en en faisant un argument de publicité ou de vente ;
" alors que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relever tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que le délit de recel suppose la constatation que la chose recelée provient d'un crime ou d'un délit ou en constitue le produit ; qu'en se bornant à relever des faits matériels de contrefaçon, sans rechercher ni établir la volonté coupable de leur auteur, la cour d'appel n'a pas caractérisé les délits de contrefaçon de marque et de modèle en tous leurs éléments ; qu'en retenant néanmoins la culpabilité de Pierre X... du chef de recel de contrefaçon, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés et doit être annulé ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Pierre X... devra payer à la société Beauté Prestige International au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Le Corroller conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;