LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Joseph X..., qui a travaillé en qualité de docker de 1973 à 1997 pour le compte d'entreprises de manutention sur le port de Marseille, est décédé le 14 février 1997 des suites d'un cancer broncho-pulmonaire décelé en 1996 ; que, le 12 septembre 2002, Mme X..., veuve de la victime, et ses deux enfants, ont adressé à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle au titre du tableau n° 30 ; que la caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie à compter du 5 septembre 2002 et a admis l'existence d'un lien entre la maladie et le décès de Joseph X... ; que les ayants droit de ce dernier ont saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins de voir reconnaître l'existence d'une faute inexcusable des sociétés Union phocéenne d'acconage (UPA), Somotrans, Intramar et Socoma (les sociétés) ;
Attendu que pour débouter les consorts X... de leurs demandes, l'arrêt retient que si la victime peut engager une action en recherche de la faute inexcusable contre l'un quelconque de ses employeurs, encore faut-il qu'elle établisse l'identité des employeurs en cause et la réalité de l'exposition au risque au sein de chaque entreprise identifiée ; qu'en l'espèce, chaque journée de vacation, Joseph X... était susceptible de travailler pour un employeur différent, qu'il n'est apporté aucun élément concret de nature à établir les périodes différenciées d'emploi, et qu'aucun document n'est produit qui conduirait à prouver la manipulation de produits amiantés chez chacun des employeurs, leur fréquence, leur durée dans le cadre d'activités de transbordement de navires formellement identifiables à ce titre ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les ayants droit de Joseph X... soutenaient que celui-ci avait travaillé jusqu'en 1997 avec d'autres ouvriers du Port de Marseille au contact de l'amiante qu'ils manipulaient de manière permanente et sans protection, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si l'un ou plusieurs des employeurs n'aurait pas dû avoir conscience du danger auquel était exposé Joseph X..., n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 juillet 2009, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. Y..., en qualité de liquidateur de la société Somotrans, M. Z..., en qualité de liquidateur de la société UPA, la société Intramar et la société Socoma aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne, in solidum, M. Y..., en qualité de liquidateur de la société Somotrans, M. Z..., en qualité de liquidateur de la société UPA, la société Intramar et la société Socoma à payer aux ayants droit de Joseph X... la somme globale de 2500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils pour les consorts X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que n'était pas établie la faute inexcusable des sociétés INTRAMAR, SOCOMA, SOMOTRANS et UPA à l'encontre de Monsieur Joseph X..., en conséquence, d'avoir rejeté l'ensemble des prétentions des consorts X... à leur encontre et de leur avoir déclaré inopposable la procédure de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur X... ;
Aux motifs que « sur la faute inexcusable Les éléments constants-Joseph X... né le 12 avril 1952 a travaillé en qualité de docker pour le compte d'entreprises de manutention sur le port de Marseille de 1973 à 1997.
- Les sociétés d'acconage appelées en cause sont la société INTRAMAR, la société SOMOTRANS, la société SOCOMA et la société UPA.
- Atteint d'un cancer broncho-pulmonaire apparu en 1996 à l'âge de 44 ans Joseph X... est décédé le 14 février 1997.
- Les consorts X... ont déposé une déclaration de maladie professionnelle le 12 septembre 2002. La Caisse reconnaissait le caractère professionnel de la maladie avec effet à compter du 5 septembre 2002 ; de même elle reconnaissait le lien entre la maladie et le décès et servait une rente d'ayant droit à la veuve.
Sur la recherche de responsabilité
L'employeur est tenu en vertu du contrat de travail le liant à son salarié d'une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne la santé et la sécurité des salariés du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise.
Ainsi, le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
La Cour a déjà fait observer à l'occasion de ce type de contentieux, que cette action devait nécessairement se distinguer de la saisine du FIVA présentant un caractère exclusivement indemnitaire résultant d'une prise de conscience de la collectivité es conséquences de l'utilisation massive de l'amiante.
Ce contentieux, au même titre que l'ensemble des litiges de cette nature s'agissant de maladies professionnelles inscrites sur un tableau, exige donc de la part du salarié une démonstration complète que la seule prise en charge de la maladie par la Caisse ne remplace pas.
La situation du salarié et l'exposition au risque
Plus particulièrement le salarié doit établir de manière circonstanciée l'imputabilité de la maladie à son activité au sein d'une entreprise dénommée.
Mais s'il peut engager une action en recherche de la faute inexcusable contre l'un quelconque de ses employeurs, voire contre plusieurs d'entre eux, encore lui faut-il établir d'une part, l'identité du ou des employeurs en cause puis d'autre part, la réalité d'une exposition au risque au sein de l'entreprise identifiée. A défaut d'y procéder la recherche de responsabilité est exclue.
Or en ce qui concerne les dockers, cette démonstration apparaît au centre du débat. En effet, l'activité des dockers était réglée par les dispositions de la loi du 06 septembre 1947 modifiée et codifiée en 1978 sous les articles L 511-2 et suivants du Code des Ports Maritimes, dans le cadre d'un contrat de louage de service à caractère intermittent.
Ce régime a été modifié par la loi du 09 juin 1992, créant des contrats de travail ou d'intermittence pour cette catégorie de personnels et faisant correspondre ce type de relations aux obligations générales du droit du travail, notamment par une mensualisation de ceux-ci au sein d'un Groupement d'Employeurs ou par la contractualisation auprès d'entreprise de manutention.
Mais en pratique, concernant Joseph X... entre 1973 et 1993 et dès lors que la Convention collective nationale de la manutention portuaire du 31 décembre 1993 n'était pas encore signée, il demeure que le Bureau Central de la Main d'OEuvre du Port Autonome de Marseille déterminait quotidiennement l'affectation du docker professionnel titulaire de la carte G, en sorte que pour chaque journée de vacation celui-ci était susceptible de travailler pour un employeur différent, seulement identifié par un code porté sur le bulletin de salaire (selon les employeurs il s'agirait des codes 10 pour INTRAMAR, 15 pour SOMOTRANS) établi et délivré par un organisme, la Caisse de Compensation Centrale des Congés Payés des Entreprises de Manutention des Ports de Marseille (appelée ici CCCP).
Pour la période postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 6 juin 1992 (modifiant les articles L. 511-1 et ss et R. 511-1 et ss du Code des Ports Maritimes) et jusqu'à la cessation d'activité de Joseph X..., la Cour ignore la nature des relations contractuelles de Joseph X... avec ses employeurs, aucune pièce n'étant produite à cet effet.
L'exposition au risque
S'agissant de faits qui peuvent s'établir par tous moyens, l'identification de l'employeur et la nature des transbordements effectués ne peuvent cependant résulter de simples affirmations mais doivent être étayés par la production d'éléments constants.
Ainsi, alors même qu'il n'est pas discuté que Joseph X... ait effectivement travaillé pour « diverses entreprises de manutention du port de Marseille-Fos » en qualité d'ouvrier docker professionnel (Attestation CCCP) et qu'il produit plusieurs attestations (D..., E..., F...) il convient de considérer que la teneur de ces attestations conçues en termes généraux, met seulement en évidence qu'entre 1973 et 1993, Joseph X... a été employé indifféremment par les sociétés d'acconage, sans toutefois apporter d'éléments concrets susceptibles d'établir les périodes différenciées d'emploi conduisant à démontrer la continuité d'une éventuelle exposition au risque qu'il conviendra d'établir.
En effet, ces attestations ne constituent qu'une énumération de sociétés, habituellement commises au transbordement, incluant une affirmation de manipulation d'amiante sans apporter de précisions quant aux périodes en cause, aux transbordements effectués et à l'exposition aux risques.
De plus, il convient d'admettre que l'affirmation d'un emploi au bénéfice d'une de ces sociétés ne saurait suffire à démontrer la réalité d'une exposition au risque dont le caractère continu et permanent doit être réaffirmé.
Or, en l'espèce aucun document n'est produit qui conduirait à établir la manipulation de produits amiantés chez chacun de ces employeurs, leur fréquence, leur durée dans le cadre d'activités de transbordement de navires formellement identifiables à ce titre.
La production d'une note du 03 mars 2004 établie par le Docteur B..., médecin de la manutention portuaire, bien que décrivant en termes généraux reproduits dans plusieurs dossiers soumis à la Cour, les conditions de manutention de l'amiante par les dockers, en faisant état en particulier de la manipulation, aussi bien à l'air libre qu'en milieu confiné (cales et hangar) d'amiante en vrac, n'apporte aucun élément utile portant sur les deux exigences décrites plus haut.
En effet cette démonstration doit passer par l'identification des activités de transbordement permettant de s'assurer de cette exposition au risque.
Dans ces conditions, sans qu'il soit utile d'examiner les moyens tirés de la conscience du danger qu'auraient dû avoir les employeurs, il conviendra par substitution de motifs de confirmer la décision ayant rejeté les prétentions des consorts X... à l'encontre de la société INTRAMAR, la société SOMOTRANS, la société SOCOMA et la société UPA. » ;
1. Alors que, d'une part : en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le fait que la maladie professionnelle soit imputée à divers employeurs, chez lesquels le salarié a pu être exposé au risque, n'interdit pas à celui-ci, pour demander une indemnisation complémentaire, de démontrer que l'un d'entre eux a commis une faute inexcusable ; qu'en l'espèce, en exigeant des ayants droit de Monsieur X... qu'ils établissent, pour la période de 1973 à 1993, d'une part, l'identité de chacun des employeurs en cause puis, d'autre part, la réalité d'une exposition au risque au sein de chaque entreprise identifiée, la Cour d'appel a donc violé l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale ;
2. Alors que, de même : en exigeant des ayants droit de Monsieur X... qu'ils justifient, d'une part, de la nature des relations contractuelles de Monsieur X... avec chacun de ses employeurs pour la période postérieure à 1993, puis, d'autre part, de la réalité d'une exposition au risque au sein de chaque entreprise identifiée, la Cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale
3. Alors que, d'autre part : en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation revêt le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en la matière, si la charge de la preuve de la faute inexcusable pèse, en principe, sur le salarié ou sur ses ayants droit, il leur suffit, cependant, d'établir l'existence du risque et le fait que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience des conséquences de l'exposition à celui-ci, et ce quand bien même cette exposition au risque ne serait pas la cause déterminante de la maladie professionnelle ; que, dès lors, en l'espèce, en imposant aux ayants droit de Monsieur X... de prouver de manière circonstanciée l'imputabilité complète de sa maladie à son activité au sein d'une entreprise donnée, la Cour d'appel a violé les articles L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale et 1315 du Code civil ;
4. Alors que, de plus et pour les mêmes raisons : la Cour d'appel a violé à nouveau ces dispositions en ayant énoncé que ce contentieux, au même titre que l'ensemble des litiges de cette nature s'agissant de maladies professionnelles inscrites sur un tableau, exigeait de la part des ayants droit de Monsieur X... une démonstration complète de la réunion des conditions de la responsabilité civile pour faute ;
5. Alors que, par ailleurs : le seul fait qu'une substance dangereuse est inscrite aux tableaux des maladies professionnelles depuis plusieurs années suffit à établir que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger encouru par ses salariés en les y exposant ; qu'en l'espèce, le fait que les employeurs en cause avaient ou auraient dû avoir conscience du danger auquel ils exposaient leurs salariés en raison de l'inhalation de poussières d'amiante résultait indiscutablement des dispositions du décret du 31 août 1950, lequel avait créé le Tableau n° 30 des maladies professionnelles pour la prise en charge des maladies spécifiques liées à l'amiante ; que, dès lors, en énonçant qu'il n'était pas établi que les employeurs avaient eu ou auraient dû avoir conscience de l'exposition à ce danger, la Cour d'appel a violé l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale, ensemble les dispositions du décret susvisé ;
6. Alors qu'en outre : M. le Dr B..., médecin du Port de Marseille, avait détaillé, dans une attestation du 3 juin 2004, les conditions de travail des dockers transportant à dos d'homme des sacs de jute remplis d'amiante et travaillant dans les cales à charger et à décharger les sacs d'amiante sans aucune protection, manipulations liées à l'empotage-dépotage de remorques et de containers ; qu'en énonçant, cependant, que ce document n'apportait aucun élément permettant de retenir la réalité d'une exposition des salariés aux risques liés à l'amiante, la Cour d'appel en a méconnu le sens clair et précis et a violé, de ce fait, l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale ;
7. Alors qu'en sus : en écartant l'ensemble des prétentions des consorts X..., qui soutenaient que leur auteur avait exercé jusqu'en 1997 le métier de docker qui l'amenait à travailler, avec d'autres ouvriers, au contact de l'amiante qu'ils manipulaient de manière permanente et sans protection, sans se livrer à une analyse suffisante des pièces sur lesquelles elle se fondait, la Cour d'appel n'a pas suffisamment recherché si les employeurs de Monsieur X... n'auraient pas dû avoir conscience du danger auquel ils l'exposaient et a, de ce fait, privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du Code civil et L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale ;
8. Alors que, d'autre part et plus généralement encore : il ressortait, en l'espèce, des attestations versées aux débats émanant de plusieurs de ses anciens collègues dockers que Monsieur X... avait procédé habituellement au chargement et au déchargement de sacs contenant de l'amiante sans bénéficier d'aucune protection ; que, par ailleurs, la nocivité de l'amiante avait été médicalement constatée et décrite dès le début du vingtième siècle et que, suivant le décret du 31 août 1950, le Tableau n° 30 des Maladies Professionnelles avait été institué pour reconnaître les pathologies liées à l'amiante comme maladies professionnelles ; que, dès lors, en ne caractérisant pas comment, malgré ces circonstances, les sociétés employeurs auraient pu ignorer, compte tenu du caractère habituel de la manipulation de l'amiante sur le Port de Marseille, les risques encourus par leurs salariés, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale ;
9. Alors qu'enfin en tout état de cause : la Cour d'appel a expressément retenu que Monsieur X... avait travaillé comme ouvrier docker sur le Port de Marseille entre 1973 et 1997, qu'à cette occasion, il avait été salarié des sociétés INTRAMAR, SOCOMA, SOMOTRANS et UPA, que ce port avait été pendant de nombreuses années l'un des lieux d'arrivée de l'amiante extraite dans d'autres régions ou pays, que Monsieur X... était décédé en 1997 d'un cancer broncho-pulmonaire apparu en 1996 et que le caractère professionnel de sa maladie ainsi que le lien de causalité entre celle-ci et son décès avaient été expressément retenus par la CPAM par une décision du 5 septembre 2002 ; que, dès lors, en énonçant qu'il n'était pas établi que le salarié avait été victime d'une exposition aux risques liés à l'amiante et qu'il n'était pas démontré que ses employeurs avaient commis une faute inexcusable en ayant manqué à leur obligation de sécurité de résultat à son égard, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conclusions qui s'évinçaient pourtant de ses propres constatations, a violé l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale.