LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., engagée le 4 avril 2005 par la société Argos hygiène en qualité de cadre chargée de communication, travaillant sous les ordres de la directrice de marketing en congé maternité à compter de mars 2006, a été licenciée le 16 novembre 2007 pour incapacité à assumer ses fonctions et absence d'autonomie ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident de la salariée :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé, alors, selon le moyen, que les juges du fond sont tenus d'examiner tous les éléments de preuve produits par les parties au soutien de leurs prétentions ; que la salariée soutenait que son employeur avait parfaitement connaissance de l'accomplissement d'heures supplémentaires et les approuvait, de sorte qu'il s'en déduisait nécessairement que l'absence de mention sur les bulletins de paie des heures supplémentaires effectuées était intentionnelle ; qu'elle en justifiait par la production d'un courriel que lui avait adressé la directrice des ressources humaines de la société le 14 juillet 2006, dans lequel celle-ci lui écrivait : "je constate que vous aussi vous travaillez tardivement ou le week-end. Vous avez entièrement raison (…)" ; qu'en affirmant que la salariée n'établissait pas le caractère intentionnel de l'absence de mention sur les bulletins de paie des heures supplémentaires effectuées, sans examiner le courriel précité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que la dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; que les juges du fond apprécient souverainement l'existence d'une telle intention ; que le moyen qui ne tend qu'à remettre en cause cette appréciation souveraine de la cour d'appel, ne peut dès lors être accueilli ;
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 36 de la convention collective nationale du commerce de gros ;
Attendu que celle-ci prévoit qu'en cas d'affectation temporaire à un poste supérieur pour une durée excédant un mois, l'intéressé percevra une indemnité portant sa rémunération au minimum de la catégorie à laquelle appartient le salarié qu'il est appelé à remplacer ; que pour le cas où les appointements effectifs de l'intéressé dépasseraient le minimum de la catégorie supérieure, une indemnité spéciale sera allouée ; qu'après trois mois consécutifs dans l'exercice complet des fonctions correspondant à un niveau supérieur devenu vacant à titre définitif, le remplaçant reçoit la qualification définitive de cet emploi ;
Attendu que pour débouter la salariée de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale, l'arrêt retient qu'elle n'établissait pas avoir exercé en totalité les fonctions de sa supérieure hiérarchique ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en exigeant de la salariée qu'elle ait exercé en totalité les fonctions de la personne qu'elle remplaçait à titre temporaire, la cour d'appel a ajouté une condition qui ne figurait pas dans la disposition conventionnelle et violé le texte susvisé ;
Et sur le moyen unique du pourvoi principal de la société Argos hygiène, pris en sa première branche :
Vu l'article L. 1154-1 du code du travail ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu que pour dire que la salariée avait été victime de harcèlement moral, l'arrêt retient que la charge du budget lui avait été retirée sans explication de même que deux dossiers qu'elle traitait antérieurement ;
Qu'en se déterminant ainsi sans répondre aux conclusions de l'employeur faisant valoir que la responsabilité du budget marketing avait été confiée à la salariée en raison du congé maternité de sa titulaire, que celle-ci avait précisé que si la charge de travail était trop importante elle se ferait aider par une autre salariée et que le dossier Extranet ne lui avait été retiré que pour éviter une surcharge de travail à son retour de congé maladie et pour éviter la discontinuité dans la prise en charge de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la première branche du second moyen du pourvoi de la salariée :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a retenu le harcèlement moral et condamné en conséquence la société à payer des dommages-intérêts et des frais irrépétibles ainsi qu'en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale, l'arrêt rendu le 14 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille onze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour la société Argos.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Madame X... a été victime de harcèlement moral et d'avoir condamné la Société ARGOS HYGIENE à lui payer 10.000 € à titre de dommages et intérêts, outre une somme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QU'en ce qui concerne le blocage de projets, si les attestations produites par l'appelante et émanant de Mesdames Y... et Z... relèvent que Madame A... n'a pas donné suite à des projets de Madame X..., elles ne démontrent pas que Madame A... ait agi dans le but de porter préjudice à la salariée ; qu'en ce qui concerne la responsabilité du budget, il résulte de 2 courriels (24 mars 2006 et 18 décembre 2006) que Madame X..., après s'être vu confier la charge du budget, celle-ci lui a été retirée, sans qu'aucune explication ne soit fournie à cet égard par la partie intimée ; que s'agissant du retrait de dossiers, Madame X... établit par 2 courriels (25 octobre 2007 et 25 avril 2007) que deux dossiers (EXTRANET et PRESTIMEDIAS) lui avaient été retirés, sans qu'aucune explication ne soit non plus fournie à cet égard par la S.A. ARGOS HYGIENE ; que ces agissements sont constitutifs de harcèlement moral ; qu'ils ont débuté au retour du congé maternité de Madame A... ; que Madame X... a alerté Madame A..., dès le 2 mai 2007 par un courrier circonstancié et son Conseil a écrit à Madame A..., à son tour, le 24 octobre 2007, sans que la situation ne change ; que Madame X... a souffert de ces agissements, elle a été à plusieurs reprises, en arrêt de travail et a contacté l'Association Souffrance et Travail ; que le Docteur B... a rédigé un long certificat médical rapportant ses difficultés ; que son médecin traitant, le Docteur C..., a constaté un état de pleurs, de déprime et d'insomnie ; que le Médecin du Travail, le 24 octobre 2007, l'a déclarée apte mais a préconisé un changement de service, en raison de problèmes relationnels avec sa supérieure hiérarchique ; que ces éléments médicaux établissent suffisamment que les agissements dont Madame X... a été victime, ont porté atteinte à sa santé ; qu'au titre du préjudice subi par Madame X... il lui sera alloué la somme de 10.000 € de dommages-intérêts.
ALORS, D'UNE PART, QUE dans ses conclusions devant la Cour d'appel, la Société ARGOS HYGIENE exposait que la responsabilité du budget marketing avait été confiée à Madame X... en raison du congé de maternité de Madame A... de la responsabilité de laquelle ce budget relevait, que Madame A... avait précisé à Madame X... que si la charge de travail était trop importante, elle se ferait aider par une autre salariée, et qu'au retour de Madame A... de son congé de maternité, celle-ci avait repris directement la responsabilité de ce budget ; qu'elle y précisait également que le dossier EXTRANET avait été retiré à Madame X... afin de lui éviter une surcharge de travail à un moment où elle rentrait d'arrêt de maladie et afin d'assurer une bonne continuité de la prise en charge de ce dossier que ses absences renouvelées risquaient de compromettre ; qu'en énonçant qu'aucune explication n'avait été donnée par la Société ARGOS HYGIENE au retrait du budget 2006 et au retrait du dossier EXTRANET, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions de la Société ARGOS HYGIENE devant la Cour d'appel et ainsi violé les articles 4 du Code de procédure civile et 1134 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE Madame Sonia A..., dans un courrier à Madame X... du 23 mai 2007, écrivait « je vous ai confié la responsabilité du budget en mon absence pendant mon congé maternité. A mon retour, la gestion du budget a repris celle qui avait cours avant mon départ à savoir : placée sous mon autorité (encore plus dans un contexte économique assez tendu), en accès libre à tous alors que vous en aviez interdit l'accès en installant un mot de passe » ; qu'en énonçant que Madame X..., après s'être vu confier la charge du budget, celle-ci lui avait été retirée, sans qu'aucune explication ne soit fournie à cet égard par la Société ARGOS HYGIENE, la Cour d'appel a dénaturé la lettre de Madame A... du 23 mai 2007, et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE Madame Sonia A..., dans le courriel adressé à Madame X... le 17 octobre 2007 mentionné dans les conclusions de la Société ARGOS HYGIENE, écrivait : « concernant le dossier EXTRANET, compte tenu des urgences aujourd'hui de ce dossier, d'une part, et de votre absence ces derniers mois, d'autre part, j'ai effectivement confié à Adeline ce dossier…Je considère qu'après une aussi longue absence, il est de mon devoir de ne pas vous submerger de dossiers et de vous permettre une reprise dans les meilleures conditions tout en veillant au respect des engagements de l'entreprise et du service marketing » ; qu'en énonçant à l'appui de sa décision que le dossier EXTRANET avait été retiré à Madame X... sans que la Société ARGOS HYGIENE ait fourni aucune explication à cet égard, la Cour d'appel a dénaturé le courriel du 17 octobre 2007 et ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;
ET ALORS, EN OUTRE, QU'en estimant que constituaient les agissements de harcèlement moral le retrait « sans explications » de la charge du budget 2006 et de deux dossiers, sans justifier d'aucun élément de nature à faire dégénérer de telles décisions relevant du pouvoir de direction de l'employeur en actes constitutifs de harcèlement, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision en regard de l'article 1152-1 du Code du travail ;
ET ALORS, ENFIN, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si le retrait à la salariée de la responsabilité du budget marketing 2006 n'était pas justifié par le fait qu'elle lui avait été confiée en raison de l'absence pour congé maternité de sa supérieure hiérarchique, dont cette responsabilité relevait, et reprise au retour de celle-ci, et si le retrait du dossier EXTRANET n'était pas justifié par la volonté d'éviter à la salariée une surcharge de travail à son retour d'arrêt maladie et à la nécessité d'assurer un meilleur suivi du dossier compte tenu de ses absences, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L.1152-1 du Code civil.Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté madame X... de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QUE madame X... n'établit pas que la SA ARGOS HYGIENE ait agi intentionnellement, en ne faisant pas figurer sur ses bulletins de paie les heures supplémentaires effectuées ;
ALORS QUE les juges du fond sont tenus d'examiner tous les éléments de preuve produits par les parties au soutien de leurs prétentions ; que la salariée soutenait que son employeur avait parfaitement connaissance de l'accomplissement d'heures supplémentaires et les approuvait, de sorte qu'il s'en déduisait nécessairement que l'absence de mention sur les bulletins de paie des heures supplémentaires effectuées était intentionnelle ; qu'elle en justifiait par la production d'un mail que lui avait adressé la directrice des ressources humaines de la société le 14 juillet 2006, dans lequel celle-ci lui écrivait : « je constate que vous aussi vous travaillez tardivement ou le week-end. Vous avez entièrement raison (…) » ; qu'en affirmant péremptoirement que la salariée n'établissait pas le caractère intentionnel de l'absence de mention sur les bulletins de paie des heures supplémentaires effectuées, sans examiner le mail précité, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté madame X... de sa demande formée au titre de l'exécution déloyale de son contrat de travail ;
AUX MOTIFS QUE selon la convention collective nationale des commerces de gros, il est prévu, en sa partie intitulée « classification des cadres » que le cadre classé au niveau VII (cadre débutant diplômé de l'enseignement supérieur long) passe de l'échelon 1 (échelon de base) à l'échelon 2 au bout d'un an et de l'échelon 2 à l'échelon 3 au terme de 3 ans ; que s'il est indéniable que madame X... n'a pas bénéficié de l'élévation d'échelon prévue par la convention collective, elle n'en subit aucune conséquence, dès lors que la société intimée établit, sans être contredite par l'appelante, qu'elle avait toujours été rémunérée à un niveau supérieur à celui prévu par la convention collective ; que la demande de madame X... relative à l'absence d'élévation d'échelon sera rejetée ; que s'agissant du non respect de l'article 36 de la convention collective, celui-ci dispose : « en cas d'affectation temporaire à un poste supérieur pour une durée excédant un mois, l'intéressé percevra une indemnité portant sa rémunération au minimum de la catégorie à laquelle appartient le salarié qu'il est appelé à remplacer. En cas où les appointements effectifs de l'intéressé dépasseraient le minimum de la catégorie supérieure, une indemnité spéciale sera allouée. Après trois mois consécutifs de remplacement dans l'exercice complet des fonctions correspondant à un emploi d'un niveau supérieur devenu vacant à titre définitif, le remplacement recevra la qualification définitive de cet emploi » ; que madame X... n'établit pas avoir exercé en totalité les fonctions de madame A..., lors du congé maternité de cette dernière ; qu'elle doit être déboutée de ce chef de demande ;
1. - ALORS QUE le fait pour un salarié de ne pas bénéficier de la classification conventionnelle à laquelle il a droit est susceptible de lui occasionner un préjudice à la fois moral et matériel ; qu'en affirmant que la salariée n'avait subi aucune conséquence financière de l'absence d'élévation d'échelon, dans la mesure où elle avait toujours été rémunérée à un niveau supérieur à celui prévu par la convention collective, sans rechercher, si elle n'avait pas subi, à tout le moins, un préjudice moral comme la salariée le soutenait, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
2. – ALORS QUE l'article 36 al. 1 de la convention collective nationale des commerces de gros prévoit qu' « en cas d'affectation temporaire à un poste supérieur pour une durée excédant un mois, l'intéressé percevra une indemnité portant sa rémunération au minimum de la catégorie à laquelle appartient le salarié qu'il est appelé à remplacer » ; que seul l'alinéa 3 du même article vise, pour l'octroi de la qualification définitive dans l'emploi supérieur, la nécessité de justifier « trois mois consécutifs de remplacement dans l'exercice complet des fonctions » ; qu'il était constant en l'espèce que pendant le congé maternité de sa supérieure hiérarchique, madame X... s'était vue confier le budget du service marketing, attribution essentielle du poste de directeur marketing ; qu'en déboutant la salariée de sa demande d'indemnité spéciale de l'article 36, parce qu'elle n'établissait pas avoir exercé « en totalité les fonctions de madame A... », condition non exigée par la convention pour bénéficier de l'indemnité spéciale, la Cour d'appel a violé l'article 36 de la convention collective nationale des commerces de gros.