LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 4 du procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Exten'S est titulaire d'un brevet européen EP 1 383 402, déposé le 22 avril 2002 et délivré le 25 mai 2005 désignant la France, et portant sur « une semelle à structure sensible, article chaussant muni d'une telle semelle et son procédé de montage » ; qu'il est issu d'une demande internationale PCT/FR02/01366 déposée le même jour sous priorité d'une demande de brevet français n°01 057 02 en date du 27 avril 2001, dont la société Exten'S a acquis la propriété le 17 avril 2002 ; que la société Eram est titulaire d'une licence exclusive d'exploitation du brevet européen ; qu'estimant que la société de droit espagnol Calzados Hergar fabrique, exporte et vend en France, sous la dénomination « Callaghan Adaptacion » des modèles de chaussures reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2, 3 et 4 de la partie française du brevet européen, les sociétés Exten'S et Eram l'ont assignée en contrefaçon et concurrence déloyale ; qu'à titre reconventionnel, la société Calzados Hergar a sollicité l'annulation de ces revendications ;
Attendu que pour prononcer la nullité des revendications 1, 2, 3 et 4 de la partie française du brevet européen en cause, l'arrêt retient que les pièces communiquées par les sociétés Exten'S et Eram ne sont produites qu'en langue étrangère ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le bordereau récapitulatif des pièces, annexé aux dernières conclusions d'appel des sociétés Exten'S et Eram signifiées le 28 juin 2010, indiquait qu'une traduction partielle était jointe à chacune des pièces 59 à 62 produites par celles-ci et que chacune de ces quatre pièces était constituée du texte en anglais d'un brevet, suivi d'une traduction partielle en français, la cour d'appel a dénaturé le bordereau et a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions relatives à l'action en concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 27 octobre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties, en l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Calzados Hergar aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés Exten's et Eram la somme globale de 2 500 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils pour les sociétés Eram et Exten's.
Il est fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité des revendications 1, 2, 3 et 4 de la partie française du brevet européen EP 1 383 402 dont la société EXTEN.S est titulaire ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « les premiers juges, ayant relevé que la possibilité "d'une seule saillie et d'une seule ouverture correspondante" n'est évoquée qu'à titre d'exemple dans la description et n'est pas décrite comme un mode de réalisation dans une revendication dépendante ou dans des schémas annexés dans la demande de PCT, ont estimé qu'en rajoutant dans la revendication 1 précitée les termes "une ou plusieurs saillies" et "une ou plusieurs ouvertures" la société EXTEN.S a étendu l'objet du brevet européen au-delà du contenu de la demande telle que déposée ; que les sociétés appelantes contestent cette analyse comme ne tenant pas compte de l'enseignement résultant d'une lecture attentive de la description de la demande internationale qui indiquerait « d'une part, que l'insert peut comporter une ou plusieurs saillies s'insérant dans des ouvertures respectives et, d'autre part, que la semelle comporte une ou plusieurs zones extensibles formées chacune d'une saillie encastrée dans une ouverture » et permettrait de constater qu'un mode de réalisation à une seule ouverture et une seule saillie était prévu ; qu'il n'est pas sans intérêt de relever que seule la description de la première de montage, dont les appelantes précisent qu'elle ne doit pas être confondue avec celle de la semelle extensible, mentionne la possibilité d'une seule ouverture, la description de la semelle, les revendications et les dessins ne faisant état que d'ouvertures au pluriel ; que la possibilité d'une saillie unique n'apparaît par ailleurs ni dans les revendications ni dans les dessins ; que certes, la description de la semelle indique que l'insert est pourvu "d'une ou plusieurs saillies" destinées à s'encastrer dans le fond de la semelle, lequel comporte des ouvertures destinées à recevoir lesdites saillies, et les premiers juges ont pu retenir que les ouvertures et les saillies doivent se correspondre ; qu'à supposer qu'il puisse être admis en de telles conditions que la possibilité d'une seule ouverture et d'une seule saillie est implicitement contenue dans la demande de PCT et qu'une extension de l'objet du brevet européen (constituant l'un des motifs de nullité visé par l'article 138.1 de la convention de Munich) ne puisse en conséquence être retenue, il n'en demeure pas moins que pour être valable (selon l'article précité) ce brevet doit exposer l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ; qu'à cet égard, la description ne donne aucune précision concernant les caractéristiques d'une réalisation avec une seule ouverture et une seule saillie, seule la forme des ouvertures de la première de montage étant citée, et tant les dessins explicatifs que la publicité des chaussures des appelantes (Hebdo Cuir du 30 septembre 2002) ne montrent, comme rappelé en première instance, que « l'existence de 5 saillies longitudinales et parallèles » ; que s'il peut néanmoins être admis que l'homme du métier peut envisager la forme d'une ouverture unique au vu des figures du brevet, il importe qu'il soit en mesure de réaliser l'insert qui en constitue une des caractéristiques essentielles, l'invention comprenant, pour chausser avec aisance différentes largeurs de pieds, une partie avant pied extensible transversalement obtenue par moulage ou collage sur un fond de semelle d'un insert « d'un matériau à structure déformable doté d'un potentiel d'élasticité et d'une mémoire de forme adapté au confort souhaité » ; que sur ce point, l'intimée fait valoir que la mention d'un matériau à mémoire de forme ne permet pas le choix d'un matériau adéquat et que les appelantes ne sauraient valablement lui opposer une prétendue absence de description de ce matériau dans son propre brevet (dont la validité n'est pas en cause et dont il n'est pas produit de traduction), alors que l'intéressée dénie formellement l'emploi d'une telle expression ; que les appelantes prétendent que les documents produits démontreraient que depuis plus de 20 ans ce terme de "matériau à mémoire de forme" fait partie des connaissances générales de l'homme du métier; que l'intimée relève toutefois à juste titre que partie des pièces produites (47 et 48) sont postérieures à la date du dépôt du brevet litigieux, que les articles concernant le polymère ont été depuis modifiés (pièce 49) ou n'ont pas date certaine (article non daté, faisant état de parutions antérieures en langue étrangère mais dont la date d'accessibilité au public français n'est pas précisée), et indique, sans être contredite sur ce point, que le grand Larousse Universel ne définit qu'en métallurgie (domaine distinct de l'invention) un alliage à mémoire de forme ; qu'en fait seules s'avèrent avoir date certaine à la date de priorité du brevet litigieux : - les textes de 5 demandes de brevets non cités dans la description du brevet litigieux (pièces 58 à 62), étant observé que 4 d'entre elles (pièces 59 à 62) ne sont produites qu'en langue étrangère et ne peuvent donc être utilement appréciées par la cour (la langue du procès étant le français), - un abrégé traduit de brevet de 1992 (pièce 46) ; que si des fascicules de brevet peuvent à titre exceptionnel être considérés comme faisant partie des connaissances générales, l'homme du métier n'a pas nécessairement acquis toute la technologie, en l'espèce le seul texte de demande de brevet traduit (pièce 58) concerne une tête de distribution de produit de consistance liquide à visqueuse (cosmétique, dermatologique ou alimentaire) dont il ne peut être admis qu'il soit consulté par l'homme du métier pertinent, savoir le fabricant de chaussure ou de semelle de chaussure, pour retrouver des connaissances générales sur l'état de la technique le concernant ; que certes l'abrégé précité de 1992 concerne une empeigne de chaussure, faisant état d'une semelle moulée « dans une matière à mémoire, de sorte qu'elle cherche toujours à retrouver sa forme originale » et permet de comprendre la capacité d'une matière à mémoire ; que toutefois ce document isolé ne saurait relever d'une connaissance générale de l'état de la technique de l'homme du métier ; que le professionnel qui lit le brevet litigieux sait que le matériau nécessaire à la réalisation de l'insert (qui constitue le moyen technique d'apporter une solution au problème posé) doit à la fois avoir un "potentiel d'élasticité" et "une mémoire de forme", tandis que le fond de semelle est fabriqué « à partir d'une matière de type classique tel que cuir, élastomère, caoutchouc, polyuréthanne ou tout autre matière traditionnellement utilisée», sans que soit autrement précisé la nature du matériau de I'insert, même s'il peut comprendre que celui-ci doit se souvenir de la morphologie du pied même après déformation, alors qu'il est incité à croire qu'il ne peut s'agir de matériaux dont l'emploi lui est connu, ceux-ci n'étant visés que pour la fabrication du fond de semelle ; qu'en définitive le brevet litigieux n'apparaît pas exposer l'invention de façon suffisamment claire et précise pour permettre à l'homme du métier de l'exécuter sans activité inventive, avec ses connaissances professionnelles normales théoriques et pratiques; que la nullité du brevet étant également encourue pour insuffisance de description, la nullité des revendications 1, 2, 3 et 4 de la partie française du brevet prononcée en première instance sera confirmée » ;
ET AUX MOTIFS, EVENTUELLEMENT ADOPTES, QUE « la société CALZADOS HERGAR fait valoir que le brevet européen EP 1 383 402 B 1 a été étendu au delà de la demande de brevet PCT, que les sociétés demanderesses répondent que le préambule de l'invention contient nécessairement la possibilité d'une seule saillie et d'une seule ouverture qui se correspondent et que la revendication a été modifiée pour tenir compte de cette possibilité explicitée au sein du préambule ; qu'il n'est pas contesté que le brevet européen est issu non pas du brevet français mais de la demande de brevet PCT/FR02/01366 et qu'il convient de se reporter à cette demande de PCT et non au brevet français ; qu'en effet, les sociétés demanderesses pouvaient tout aussi bien déposer une demande de brevet européen sous la priorité du brevet français ; qu'elles ont fait un choix au regard des différents titres dont elles disposaient, choix qui désormais s'imposent comme référence du brevet européen ; que la revendication 1 de cette demande divulgue la façon dont le fond est collé ou moulé sur un insert qui est monté de façon extensible, transversalement entre les zones de collage du fond et de la tige ; que la revendication 2 de la demande de brevet PCT est ainsi rédigée : "semelle extensible selon la revendication 1 caractérisée en ce qu'elle comporte au moins un insert (2) pourvu de saillies (3) sur sa surface inférieure, réalisé par moulage d'un matériau à mémoire de forme, collé ou soudé par injection sur un fond de semelle rigide (1), la partie d'avant-pied est pourvue d'ouvertures (4) dans lesquelles les saillies (3) s'encastrent, de façon étanche" ; que force est de constater que le texte de la revendication 2 sur laquelle s'appuie la revendication 1 du brevet européen EP 1 383 402 B 1 ne parle que de saillies et d'ouvertures qui se correspondent ; que les dessins annexés à la demande de PCT ne montrent d'ailleurs clairement que plusieurs saillies (3) à la figure ; la figure 3 montre plusieurs ouvertures (4) dont le nombre correspond exactement à celui des saillies et qui se correspondent ; que le brevet européen et la demande de PCT divulguent tous deux la mise en place d'un insert moulé ou collé sur le fond de semelle, insert en matériau à structure déformable ; que la description de l'invention contenue dans la demande PCT ne parle que de saillies à l'exception de la ligne 34 qui prévoit "selon un autre mode de réalisation, la partie déformable de l'avant pied pourra être obtenue par la réalisation d'une ou plusieurs ouvertures longitudinales, celles-ci étant comblées ou non par le moulage ou le collage d'un ou plusieurs inserts en matière extensibles ; qu'ainsi, il est toujours fait état dans la demande PCT de plusieurs saillies (3) et le seul singulier employé est adjoint aux "ouvertures" qui sont situées sur l'avant pied et cotées (4) ; qu'il est vrai que les ouvertures et les saillies doivent se correspondre ; que cependant, le demandeur d'un brevet ne peut voir la protection attachée à son invention étendue en raison d'une seule phrase contenue dans la description, phrase qui n'est pas même reprise dans une revendication dépendante ni même dans un dessin explicatif ; que la revendication dépendante 5 de la demande PCT décrit précisément les ouvertures pratiquées dans la partie avant pied déformable et dit qu'il s'agit de "fentes parallèles ménagées longitudinalement dans cette partie" ; que la notion de fentes parallèles implique nécessairement l'existence de plusieurs fentes ; que la société EXTEN.S n'a pas cru utile de rajouter une revendication dépendante prévoyant un mode de réalisation avec une seule fente et une seule saillie au sein de la demande PCT ; qu'enfin, les chaussures fabriquées selon les prescriptions du brevet telles qu'elles apparaissent sur la publicité parue dans Hebdo Cuir du 30 septembre 2002 montre l'existence de 5 saillies longitudinales et parallèles qui permettent à la semelle de la chaussure de s'étirer en largeur ; qu'en conséquence, en rajoutant au sein de la revendication 1 les termes "une ou plusieurs saillies (3)" et "une ou plusieurs ouvertures", alors que la possibilité d'une seule saillie et d'une seule ouverture correspondante n'est qu'évoquée à titre d'exemple et n'est pas décrite comme un mode de réalisation prévu dans une revendication dépendante ou dans des schémas annexés, la société EXTEN.S a étendu l'objet de son brevet au delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée dans la demande PCT ; qu'elle ne peut prétendre avoir découvert une solution à l'adaptation de la semelle à la largeur du pied par la création d'une seule saillie et d'une seule ouverture qui ne remplirait d'ailleurs pas le rôle de soufflet que jouent ces saillies dans la semelle rigide ; que les revendications 2, 3 et 4 ne sont que des précisions données sur le caractère abrasif de la semelle (2), et sur l'article chaussant intégrant cette invention (3, 4) ; que le brevet européen EP 1 383 402B 1 sera donc déclaré nul dans sa partie française en application de l'article L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle combiné avec l'article 138 de la convention de Munich ; que les demandes de contrefaçon formées par la société EXTEN.S et la société ERAM sont donc mal fondées et elles en seront déboutées » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le bordereau récapitulatif des pièces annexé aux dernières conclusions d'appel des sociétés EXTEN.S et ERAM signifiées le 28 juin 2010 indiquait qu'une traduction partielle était jointe à chacune des pièces 59 à 62 produites par celles-ci ; que chacune de ces quatre pièces était constituée du texte en anglais d'un brevet, suivi d'une traduction partielle en français ; qu'en relevant néanmoins que ces pièces n'étaient produites qu'en langue étrangère, la Cour d'appel les a dénaturées, ainsi que le bordereau récapitulatif des pièces, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en retenant que les pièces 59 à 62 des sociétés EXTEN.S et ERAM ne seraient produites qu'en langue étrangère, sans inviter les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier des traductions de ces pièces, quand le bordereau récapitulatif des pièces annexé aux dernières conclusions d'appel des sociétés EXTEN.S et ERAM signifiées le 28 juin 2010 indiquait qu'une traduction partielle était jointe à chacune de ces pièces et quand la communication de ces traductions n'était pas contestée, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile.
ALORS, DE TROISIEME PART, SUBSIDIAIREMENT, QU'après avoir relevé que la description de la semelle indique que l'insert est pourvu « d'une ou plusieurs saillies » destinées à s'encastrer dans le fond de la semelle, qui comportent des ouvertures destinées à recevoir lesdites saillies, et que les premiers juges ont pu retenir que les ouvertures et les saillies doivent se correspondre, la Cour d'appel s'est contentée de retenir, de façon dubitative, qu'à supposer qu'il « puisse être admis, en de telles conditions, que la possibilité d'une seule ouverture et d'une saillie est implicitement contenue dans la demande de PCT et qu'une extension de l'objet du brevet européen (…) ne puisse en conséquence être retenue », le brevet n'en devait pas moins, pour être valable, exposer l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter, et que tel n'était pas le cas, s'agissant de la réalisation de l'insert en un « matériau à mémoire de forme » ; qu'en laissant ainsi demeurer un doute sur la question de savoir si la référence qui était faite à « une ou plusieurs saillies » aux lignes 18 à 20 de la page 1 de la demande de brevet PCT n° PCT/FR02/01366 ne permettait pas de considérer que la possibilité d'une seule ouverture et d'une seule saillie était déjà contenue dans cette demande initiale, et donc que l'objet du brevet européen EP 1 383 402 ne s'étendait pas au-delà de la demande PCT initiale, cependant que les premiers juges ne s'étaient pas expliqués sur ce point, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 614-12 du Code de la propriété intellectuelle et 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen ;
ALORS, ENFIN, QU'en statuant ainsi par voie de motifs dubitatifs sur la question de savoir si les revendications 1, 2, 3 et 4 du brevet européen n'allaient pas au-delà du contenu de la demande de brevet PCT n° PCT/FR02/01366, la Cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile.