LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° G 11-15.231, N 11-15.235, Q 11-15.237, F 11-15.252 et G 11-15.254 ;
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles L. 142-1 du code de la sécurité sociale et L. 1411-1 du code du travail ;
Attendu, selon le premier de ces textes, qu'aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. X... et quatre autres salariés de la société Alstom Power Systems ont présenté leur démission pour prétendre au bénéfice de l'Allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) en application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et ont ultérieurement déclaré une maladie professionnelle ; qu'ils ont saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir la condamnation de la société Alstom Power Systems à leur verser des dommages et intérêts réparant le préjudice économique résultant de la perte de revenu consécutive à l'entrée dans le dispositif de l'ACAATA ; que l'employeur a soulevé l'incompétence de la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour déclarer la juridiction prud'homale compétente pour connaître du litige, l'arrêt retient que les demandes des salariés, fondées sur la responsabilité contractuelle de leur ancien employeur, ne peuvent être considérées, même indirectement, comme une action en indemnisation des conséquences d'une maladie professionnelle ; qu'il s'agit d'un "autre contentieux" au sens du paragraphe VI de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, à savoir le contentieux des différends individuels entre salariés et employeurs à l'occasion de l'exécution des contrats de travail, qui relève de la compétence du conseil de prud'hommes, peu important le cas échéant que les demandeurs aient ensuite déclaré une maladie professionnelle au titre de l'exposition aux poussières d'amiante ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les salariés n'avaient pas fait l'objet d'une prise en charge au titre d'une maladie professionnelle causée par l'amiante en sorte que sous couvert d'une action en responsabilité pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, les demandes ne tendaient en réalité qu'à la réparation du préjudice résultant d'une maladie professionnelle, ces demandes ne pouvant être portées que devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 18 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne les défendeurs aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen identique produit aux pourvois n° G 11-15.231, N 11-15.235, Q 11-15.237, F 11-15.252 et G 11-15.254, par la SCP Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société Alstom Power Systems.
Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir déclaré le Conseil de prud'hommes compétent pour trancher les litiges ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « sur la juridiction de première instance compétente pour connaître du litige : il n'existe aucune contestation sur le fait que le salarié avait bien droit à l'ACAATA ni sur le montant de cette allocation en application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et le différend opposant le salarié à la SA Alstom Power Systems ne relève nullement de l'application de cet article ; qu'en effet, le salarié ne remet pas en question le bénéfice ni le montant de l'ACAATA qu'il perçoit, mais prétend avoir été contraint de demander le versement de cette allocation et, partant, de démissionner, du fait du manquement de son ancien employeur à son obligation de sécurité de résultat en l'ayant exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante et, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de son ancien employeur, lui demande réparation du préjudice économique qui en a résulté selon lui, préjudice qu'il évalue à la différence, jusqu'à la liquidation de ses droits à la retraite, entre le montant de son salaire et le montant de l'ACAATA ; que sa demande ne peut donc pas être considérée, même indirectement, comme une action en indemnisation des conséquences d'une maladie professionnelle fondée sur les articles L. 451-1 et suivants du Code de la sécurité sociale et relevant de la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale pour en connaître en application de l'article L. 142-2 du même Code ; que l'examen du bien-fondé de la demande du salarié ne relève pas non plus de l'application de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 concernant les modalités d'ouverture du droit à l'ACAATA et au montant de celle-ci, qui ne font l'objet d'aucune contestation, mais de l'appréciation de la responsabilité contractuelle de l'ancien employeur et, le cas échéant, des conséquences à en tirer quant à l'indemnisation du préjudice qui en aurait résulté pour son ancien salarié ; qu'il s'agit dès lors d'un différend relevant d'un "autre contentieux'' au sens du paragraphe VI de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, à savoir le contentieux des différends individuels entre salariés et employeurs à l'occasion de l'exécution des contrats de travail, contentieux qui relève, en application de l'article L. 1411-1 du Code du travail, de la compétence du Conseil de prud'hommes, peu important que, le cas échéant, le salarié ait déclaré ensuite une maladie professionnelle au titre de l'exposition aux poussières d'amiante, que cette maladie ait été prise en charge par la CPAM au titre de la législation professionnelle et que le salarié ait agi ensuite contre son ancien employeur en indemnisation complémentaire au titre d'une faute inexcusable qu'aurait commise ce dernier ; que c'est donc à bon droit que le Conseil de prud'hommes de Lannoy s'est déclaré matériellement compétent pour connaître du litige (…) » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « sur l'exception d'incompétence : l'article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale pose le principe selon lequel aucune action en réparation des accidents et maladies professionnelles, ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit et que seul le tribunal des affaires de sécurité sociale est compétent pour assurer la mise en oeuvre des mécanismes de prise en charge par les organismes sociaux dont le financement est assuré par des cotisations spécifiques ; qu'il ressort des débats que le salarié n'a pas déclaré de maladie professionnelle liée à la poussière d'amiante, au moment de l'exécution de son contrat de travail ; qu'il ne peut donc être fait application des dispositions spécifiques du Code de la sécurité sociale, donnant compétence au tribunal des affaires sanitaires et sociales ; vu le paragraphe VI de l'article 41 de la loi n° 98-1194 en date du 23 décembre 1998, modifiée par la loi n° 2002-1487 du 20 décembre 2002, que le paragraphe susvisé dispose que les différends auxquels peut donner lieu l'application du présent article et qui ne relèvent pas d'un autre contentieux sont réglés suivant les dispositions régissant le contentieux général de la sécurité sociale ; que donc le tribunal des affaires de sécurité sociale est compétent si les deux conditions cumulatives sont réunies, à savoir que le litige porte sur les modalités et les conditions d'obtention de l'ACAATA et que la compétence n'est attribuée à aucune autre juridiction ; que les pièces produites au dossier démontrent que le salarié a perçu l'allocation jusqu'à la liquidation de ses droits à la retraite, et qu'aucune contestation n'est intervenue quant aux modalités et aux conditions d'obtention de ladite allocation ; que dès lors, la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale n'est pas justifiée ; qu'en conséquence les dispositions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 en date du 23 décembre 1998, modifiée par la loi n° 2002-1487 ne trouvent pas à s'appliquer dans le cadre de la présente instance ; vu les demandes du salarié au titre de la réparation de la perte de revenu consécutive à l'attribution de l'ACAATA et au titre du préjudice d'anxiété subi ; que celles-ci ont la nature de dommages et intérêts ; que la loi ne donne pas compétence au tribunal des affaires de sécurité sociale pour trancher les demandes formulées par le salarié , et qu'au contraire l'article L. 1411-1 du Code du travail dispose que les Conseils de prud'hommes sont seuls compétents pour régler les différends qui peuvent naître à l'occasion de tout contrat de travail entre employeurs et salariés ; qu'également le salarié a perçu l'ACAATA parce qu'il a été en contact avec de la poussière d'amiante pendant son activité professionnelle ; que le salarié impute ces préjudices à son employeur, ayant été contraint d'une part à démissionner, et d'autre part, à être exposé à la poussière d'amiante ; que ces demandes relèvent d'un différend entre le salarié et Alstom Power Systems à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, que le Conseil de céans est compétent pour statuer sur les demandes de dommages et intérêts au titre du préjudice économique et d'anxiété » ;
1°/ ALORS QUE toute action en réparation liée à un risque de maladie professionnelle causée par l'exposition à l'amiante doit être exercée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ; que tel est le cas de l'action en réparation du préjudice économique résultant de la perte de salaire causée par le choix du salarié de bénéficier du régime de l'ACAATA ; qu'en jugeant le Conseil de prud'hommes compétent pour en connaître au motif que les actions exercées ne pouvaient être considérées comme des actions « en indemnisation des conséquences d'une maladie professionnelle », cependant que les salariés demandaient la réparation d'un préjudice lié au risque de déclarer une maladie professionnelle, la Cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 142-2 du Code de la sécurité sociale, et par fausse application l'article L. 1411-1 du Code du travail ;
2°/ ALORS QU' après avoir elle-même relevé que les présents contentieux ne relevaient « nullement » de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 portant financement de la sécurité sociale pour 1999, la Cour d'appel ne pouvait ensuite appliquer aux litiges le paragraphe VI de cet article pour déterminer le tribunal compétent pour en connaître, sans méconnaître les conséquences légales de ses propres constatations au regard dudit texte ;
3°/ ALORS QUE, en tout état de cause, le paragraphe VI de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 prévoit que « les différends auxquels peut donner lieu l'application du présent article et qui ne relèvent pas d'un autre contentieux sont réglés suivant les dispositions régissant le contentieux général de la sécurité sociale » ; que les différends relevant d'un « autre contentieux » font référence aux contestations relatives aux dispositions dudit article qui, par leur nature, ne relèvent pas du contentieux général de la sécurité sociale ; qu'en se bornant, pour en déduire la compétence du Conseil de prud'hommes, à juger que les demandes des anciens salariés concernaient des différends « relevant d'un "autre contentieux" au sens du paragraphe VI de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, à savoir le contentieux des différends individuels entre salariés et employeurs à l'occasion de l'exécution des contrats de travail », sans rechercher les dispositions dudit article dont l'application faisait l'objet des différends, la Cour d'appel a privé ses décisions de base légale au regard de l'article 41, paragraphe VI, de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.