LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par M. Z..., en qualité de liquidateur judiciaire de M. X... que sur le pourvoi incident relevé par M. X... ;
Met hors de cause, sur sa demande, M. Y... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 30 mars 1995, M. X... a été mis en liquidation judiciaire, M. Z... étant nommé liquidateur ; que le 17 mai 2003, M. X... a signé un compromis de vente d'un terrain au profit de la société Négocim ; que le liquidateur n'ayant pas ratifié cette promesse de vente, la société Négocim l'a assigné en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
Sur la recevabilité du pourvoi incident, contestée par la société Négocim :
Vu l'article L. 622-29 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, applicable en l'espèce ;
Attendu que le pourvoi incident de M. X..., dont la liquidation judiciaire emporte dessaisissement pour former un pourvoi incident contre un arrêt ayant statué sur une action concernant son patrimoine et contre lequel son liquidateur a formé un pourvoi principal, est irrecevable ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Attendu que ce moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission de ce pourvoi ;
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Vu les articles L. 621-32 et L. 622-9 du code de commerce dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ;
Attendu que pour condamner le liquidateur judiciaire de M. X... à payer à la société Negocim une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la faute de ce dernier, l'arrêt retient que la créance de dommages-intérêts n'est pas née régulièrement à la procédure collective à défaut de respect des règles de répartition des pouvoirs entre le débiteur et son représentant et que cette créance ne peut bénéficier du privilège de l'article L. 622-17 du code de commerce ; qu'il retient encore que cette créance de dommages-intérêts est due par la liquidation judiciaire et non par M. X... personnellement en raison de son dessaisissement et de la règle de la suspension des poursuites individuelles contre le débiteur, laquelle s'applique jusqu'à la clôture de la liquidation judiciaire ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la créance d'indemnité née de l'absence de réitération par acte authentique d'un compromis de vente d'un bien immobilier signé par un débiteur en liquidation judiciaire et non ratifié par le liquidateur est une créance postérieure, née irrégulièrement et inopposable à la procédure collective, de sorte que le liquidateur judiciaire ne peut être condamné au paiement de cette créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Vu l'article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi incident formé par M. X... ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Infirme le jugement du 3 février 2009 ;
Rejette la demande de la société Négocim en ce qu'elle est dirigée contre le liquidateur judiciaire de M. X... ;
Dit que les dépens afférents à l'instance devant les juges du fond seront supportés par la société Négocim ainsi que ceux de l'instance en cassation ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et celle de M. X... et condamne la société Négocim à payer à M. Y... et à M. Z..., ès qualités, chacun, la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par Me Copper-Royer, avocat aux Conseils pour M. Z..., ès qualités.
Maître Z... fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamné ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de Monsieur X..., à payer à la SAS NEGOCIM la somme principale de 91 690 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la faute commise par Monsieur X... personnellement.
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « (…) le moyen tiré de la nullité de la vente pour cause de lésion doit être rejeté dès lors que la vente par acte authentique n'est pas intervenue entre la SAS NEGOCIM et Me Z..., es qualités de liquidateur Le compromis du 17 mai 2003 n'ayant pas été réitéré par acte authentique dans le délai contractuel, il est devenu caduc.
Ce compromis du 17 mai 2003 est inopposable à la procédure collective en ce qu'il a été consenti par M. X... personnellement, au mépris de la règle du dessaisissement de ses pouvoirs d'administration et de disposition de ses biens, prévue à l'article L 622 21 du code de commerce, et hors la présence de Me Z..., es qualités de liquidateur, désigné par jugement du tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan le 30 mars 1995 ;
L'action en responsabilité est fondée sur la faute du débiteur qui a passé l'acte en gardant volontairement le silence sur son défaut de capacité à passer un acte de disposition de ses biens, et en pleine connaissance de l'inefficacité de cet acte qui n'avait aucune chance d'aboutir.
II ne peut être reproché aucune faute à la SAS NEGOCIM susceptible d'exonérer M. X... de sa responsabilité en ce qu'elle n'est pas tenue à une obligation de se renseigner sur la capacité de son co-contractant et ce d'autant que les parties sont tenues à une obligation de loyauté dans leurs rapports entre elles.
La faute de M. X... est en lien direct avec le préjudice invoqué constitué par la perte de chance pour la SAS NEGOCIM de réaliser le projet immobilier envisagé aux conditions initialement prévues c'est à dire au prix d'achat du terrain de 40 % inférieur à celui finalement proposé par le liquidateur.
La SAS NEGOCIM justifie des démarches entreprises pour la commercialisation de son projet immobilier et notamment elle produit huit promesses d'achat qui en démontrent la réalité et l'avancement. Elle produit également une étude de prix pour l'ensemble du projet comprenant dix lots faisant ressortir une marge brute de 114 613 €.
Toutefois, la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
En l'espèce compte tenu des éléments produits au débat et de la part d'aléa lié à la réalisation de l'opération définitive, il convient d'évaluer cette perte de chance à 80 % du dommage et de limiter la condamnation de Me Z..., es qualités, à ces 80 % qui représentent la partie du préjudice total, à la réalisation duquel M. X... a contribué soit la somme de 114 613 € X 80 % = 91 690 €.
Cette créance de dommages et intérêts n'est pas née régulièrement à la procédure collective à défaut de respect des règles de répartition des pouvoirs entre le débiteur et son représentant. De sorte qu'elle ne peut bénéficier du privilège de l'article L 622 17 du code de commerce.
Elle est due incontestablement par la liquidation judiciaire et non par M. X... personnellement en raison de son dessaisissement et de la règle de la suspension des poursuites individuelles contre le débiteur qui s'applique jusqu'à la clôture de la liquidation judiciaire et en l'espèce au delà puisqu'il s'agit d'une créance née irrégulièrement après le jugement d'ouverture en vertu de l'article L 643 11 I du code de commerce.
Dans ces conditions le jugement du tribunal de grande instance de Dax en date du 3 février 2009 sera confirmé à l'exception de la disposition concernant le montant des dommages et intérêts » (arrêt attaqué p. 6 à 7) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE : « sur le principe d'indemnisation présentée par la SAS NEGOCIM (…) lors de la signature du sous seing privé, Monsieur X... s'est bien gardé de préciser à la SA NEGOCIM qu'il se trouvait en état de liquidation judiciaire, et qu'il ne pouvait disposer librement de ses biens sans l'autorisation d'un juge commissaire autorisant la vente amiable, qu'il s'est abstenu de signaler au liquidateur judiciaire l'existence de cet actif de nature à venir réduire le montant du passif, qu'au moment de la rédaction de l'acte Monsieur X... n'a pas précisé au notaire les mentions pouvant laisser penser à une absence de capacité à disposer de ses biens.
« (…) qu'il ne saurait être fait grief à la SA NEGOCIM de ne pas avoir pris connaissance des publicités légales, sachant que ces dernières remontaient à près de huit années, qu'en tout état de cause et compte tenu de l'importance du projet envisagé, de l'investissement réalisé, des démarches effectuées, de la rédaction de l'acte par un professionnel du droit immobilier, il ne fait aucun doute que la SA NEGOCIM a fait l'acquisition de ce terrain en toute bonne foi.
« (…) que l'on ne saurait reprocher à la SA NEGOCIM l'échec de la réitération de la vente dans la mesure où les parties étaient d'accord sur les prorogations de délai, et dans la mesure où la vente ne pouvait être réitérée compte tenu de la situation de Monsieur X..., révélée après la promesse de vente.
« (…) qu'en tentant de disposer librement de son bien alors qu'il n'en avait pas la faculté, sans en aviser le liquidateur judiciaire et sans autorisation du juge commissaire, Monsieur X... parfaitement informé de ses obligations par jugement du Tribunal de Grande Instance de MONT DE MARSAN a commis une faute à l'origine des dommages subis, par la SA NEGOCIM, que la liquidation représentée par Maître Z... doit répondre de la faute commise par Monsieur X... dans la gestion de ses biens, et prendre en charge la réparation des préjudices causés à la SA NEGOCIM.
- sur le montant du préjudice « (…) que la SA NEGOCIM justifie d'un préjudice réel du fait de la non réalisation de la vente, que suite à l'intervention du mandataire et à l'estimation des terrains le prix de vente a été réévalué et porté à 100. 000 euros, que cela a modifié l'économie du projet envisagé et ne lui a pas permis d'aboutir, que la SA NEGOCIM avait cependant et en toute bonne foi, entrepris toutes les démarches pour finaliser son projet de lotir,
qu'elle avait déjà commencé à commercialiser des lots qu'elle ne sera pas en mesure de livrer, qu'elle a engagé des frais de notaires, de dossiers, de commerciaux en pure perte, qu'en considérant l'opération comme définitivement arrêtée, il convient d'allouer à la SA NEGOCIM le remboursement des frais engagés en vain, (soit : frais de notaire : 2. 439 euros, affichage : 305 euros, géomètre : 21. 246 euros, travaux-aménagements et déclarations diverses, frais commerciaux 201. 382 euros et 14. 635 euros, …)
« (…) que la SA NEGOCIM entend limiter ses demandes à un montant égal à celui de la marge brute qu'elle espérait retirer de cette opération commerciale soit la somme de 114. 613 euros, qu'il parait équitable de faire droit à cette demande, qu'il y aura lieu de condamner Me Z... es qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur X... à verser cette somme à titre de dommages et intérêts, et ce avec intérêts au taux légal depuis la date de l'assignation.
« (… que) cependant (…) la créance en dommages et intérêts reconnue au profit de la SA NEGOCIM est née du seul engagement de Monsieur X..., que ce dernier a agi sans respect des règles gouvernant les pouvoirs du débiteur et de l'administrateur, qu'en conséquence cette créance, bien que postérieure au jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, ne saurait être considérée comme née régulièrement à la procédure, et la SA NEGOCIM ne peut ainsi bénéficier des privilèges prévus à l'article L 631-32 du code de commerce, (article 40 de la loi du 25 janvier 1985) » (jugement p. 5 et 6) ;
ALORS, D'UNE PART, QU'étant chargé de prendre l'initiative de l'opération immobilière, de s'organiser sur les plans juridique, technique et financier et de la conduire jusqu'à la mise à disposition des immeubles ou parties d'immeubles à leurs destinataires, le promoteur immobilier est tenu, de même que les autres intervenants à l'acte de construire, à une obligation de renseignement et de conseil présupposant qu'il se soit lui-même assuré de la faisabilité de l'opération de construction ; qu'ayant commis un manquement à ses obligations en tant que professionnel de l'immobilier, ayant contribué à la réalisation de son préjudice, le promoteur ne saurait être dispensé de toute responsabilité motifs pris de la seule présence d'un conseil à ses côtés ; qu'après avoir elle-même relevé l'importance du projet immobilier envisagé, la Cour d'Appel a cependant exonéré la SAS NEGOCIM, promoteur immobilier parfaitement rompu aux affaires, de toute responsabilité dans le préjudice par elle invoqué en affirmant purement et simplement qu'« elle n'est pas tenue à une obligation de se renseigner sur la capacité de son cocontractant (Monsieur X...) » (arrêt attaqué p. 6, § 9), au motif inopérant « de la rédaction de l'acte par un professionnel de l'immobilier » (jugement confirmé p. 5, § 3) ; qu'en statuant ainsi sans rechercher ainsi qu'il le lui était demandé (conclusions de Maître Z... p. 3 et 4) si à tout le moins, la faute commise par le promoteur ne justifiait pas qu'une partie de la responsabilité du préjudice par lui invoqué soit mise à sa charge, la Cour d'Appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1382 et 1383, 1602 et suivants, ensemble celles des articles 1787 et suivants ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'il ressortait des propres constatations de la Cour d'Appel, d'une part, que le préjudice invoqué par la SAS NEGOCIM était née du seul engagement de Monsieur X..., pris en violation de la règle de son dessaisissement par l'effet du prononcé de sa liquidation judiciaire, et d'autre part, que cette créance de dommages-intérêts bien que postérieure au jugement d'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, n'était pas née régulièrement à cette procédure et ne pouvait donc être considérée comme une créance postérieure de l'article L. 622-17 du Code de commerce (ancien article 40 de la loi du 25 janvier 1985) (jugement p. 5, § pénultième et p. 6, § 3, et arrêt attaqué p. 6, § 7 et p. 7, § 1er) ; qu'en condamnant cependant Maître Z... ès qualités de liquidateur judiciaire à répondre des conséquences de la faute commise par Monsieur X... personnellement cependant que cette créance de dommages-intérêts née « hors procédure » était inopposable à la procédure collective, la Cour d'Appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres considérations au regard des dispositions des articles L. 622-17, L. 641-9 et L. 641-13 du Code de commerce ;
ALORS, ENFIN, QUE le dessaisissement du débiteur par l'effet du prononcé de sa liquidation judiciaire n'impliquant pas son incapacité, les dettes qu'il aura souscrites irrégulièrement l'engagent personnellement ; qu'ainsi que le faisait valoir Maître Z... ès qualités, « Le fait que la créance ne soit pas née régulièrement a (… pour) conséquence (… qu') il s'agit d'une créance « hors procédure » pour laquelle l'arrêt des poursuites individuelles ne s'applique pas (…) que si une condamnation doit être prononcée, elle doit l'être contre M. X..., et non contre Maître Z... es qualité » (conclusions p. 5, § 5 et p. 6, § 9) ; qu'en condamnant dès lors Maître Z... ès qualités à répondre des conséquences de la faute commise par Monsieur X... personnellement motifs pris de « son dessaisissement et de la règle de la suspension des poursuites individuelles contre le débiteur … » (arrêt attaqué p. 7, § 2), la Cour d'Appel a violé les dispositions des articles L. 622-17, L. 622-21, L. 641-3, L. 641-9, L. 641-13 et L. 643-11 du Code de commerce.