LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la Banque Edel que sur le pourvoi incident relevé par M. X... ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 20 avril 2006, la Banque Edel (la banque) a consenti à M. X... (l'emprunteur), chauffeur de taxi, deux prêts, le premier d'un montant de 144 329,90 euros destiné à l'acquisition d'une licence de taxi et le second d'un montant de 27 463,92 euros destiné à l'acquisition d'un véhicule automobile ; qu'après l'avoir mis en demeure de régulariser des mensualités impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme puis l'a assigné en paiement ; que l'emprunteur a sollicité l'application du taux légal et la répétition des intérêts trop perçus, ainsi que le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le manquement de la banque à son devoir de mise en garde ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident :
Attendu que l'emprunteur fait grief à l'arrêt d'avoir limité à 80 000 euros la somme allouée à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'aucun moyen non soulevé par les parties ne peut être examiné d'office sans que celles-ci aient été amenées préalablement à présenter leurs observations à ce sujet ; qu'en relevant, d'office, et sans provoquer préalablement les observations des parties à cet égard, que le manquement par la banque à son obligation de mise en garde avait privé l'emprunteur d'une chance d'obtenir un crédit plus adapté à ses capacités, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, violant ainsi l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que l'insuffisance de motifs équivaut au défaut de motifs ; que l'appréciation du préjudice financier découlant de la perte de chance de l'emprunteur d'obtenir un crédit plus adapté à ses facultés financières de remboursement consécutive à la faute de l'établissement financier n'est pas discrétionnaire ; qu'en se bornant à indiquer que le préjudice financier de l'emprunteur « sera évalué à 80 000 euros », sans assortir sa décision de ce chef de nature à justifier que le préjudice, évalué à 150 000 euros par le tribunal, soit ramené en cause d'appel à la somme de 80 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que c'est sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel, saisie d'une demande d'indemnisation du préjudice causé par le manquement de la banque à son obligation de mise en garde, a considéré que le préjudice imputable s'analysait en une perte de chance qu'elle a souverainement évalué ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que le moyen unique du pourvoi principal ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le second moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche :
Vu les articles 1907, alinéa 2, du code civil et L. 313-4 du code monétaire et financier, ce dernier dans sa rédaction alors applicable, issue de la loi du 1er août 2003, ensemble les articles L. 313-2 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction alors applicable, issue de l'ordonnance du 23 mars 2006 ;
Attendu que le taux effectif global, qui doit être mentionné, en application des trois premiers de ces textes, dans tout contrat constatant un prêt destiné à financer les besoins d'une activité professionnelle, doit être déterminé comme il est dit au dernier de ces textes ;
Attendu que pour condamner l'emprunteur à payer à la banque la somme de 130 834,82 euros au titre du prêt relatif à l'acquisition de la licence de taxi avec intérêts au taux de 5,433 % à compter de la mise en demeure du 11 mars 2008 et celle de 25 147,26 euros au taux de 4,833 % à compter du 29 janvier 2008, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article L. 311-3 du code de la consommation que les prêts destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle, ce qui est le cas en l'espèce, sont exclus du champ d'application des dispositions relatives au calcul du taux effectif global ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné M. X... à payer à la Banque Edel la somme de 130 834,82 euros au titre du prêt relatif à l'acquisition de la licence de taxi, avec intérêts au taux de 5,433 % à compter de la mise en demeure du 11 mars 2008 et celle de 25 147,26 euros, au taux de 4,833 % à compter du 29 janvier 2008, ordonné la capitalisation des intérêts et la compensation entre les sommes mises à la charge des parties, l'arrêt rendu le 19 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la Banque Edel aux dépens ;
Vu les articles 700 du code de procédure civile et 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991, rejette sa demande et la condamne à payer à la SCP Lyon-Caen et Thiriez la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trente octobre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Monod et Colin, avocat aux Conseils, pour la société Banque Edel.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la BANQUE EDEL a manqué à son obligation de mise en garde envers M. X... et d'avoir, en conséquence, condamné la BANQUE EDEL à payer à M. X... la somme de 80.000 € à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE si la BANQUE EDEL fait valoir que M. X..., locataire d'une licence de taxi pendant 5 ans, était sensibilisé sur les risques et la gestion de son entreprise et ne peut être qualifié d'emprunteur non averti de sorte qu'elle n'était pas tenue de le mettre en garde sur les risques de l'opération et la viabilité du projet financé, d'autant qu'au vu des éléments dont elle disposait, la charge des emprunts n'était pas supérieure à celles exposées par l'intéressé en qualité de locataire, il ressort des déclarations d'impôt sur le revenu de M. X... que son activité de « taxi locataire »lui a procuré un bénéfice imposable de 8.588 € pour l'exercice 2004 et de 2.011 € pour l'exercice 2005, et qu'il ne percevait pas d'autres revenus ; que s'il exerçait depuis 5 ans une activité de chauffeur de taxi lorsqu'il a contracté les prêts litigieux, l'expérience acquise dans le domaine du transport des personnes et de la réglementation routière ne saurait suffire à lui conférer la qualité d'emprunteur averti dans la gestion d'une entreprise de taxi ; que si le Centre national de formation des taxis organise un stage dit de préparation à l'installation et dispense, à cette occasion, une formation sur les problèmes de financement, les techniques de prévision et de contrôle de l'exploitation, M. X... justifie, par une attestation du 17 novembre 2005, avoir été dispensé de suivre cette formation ; qu'en tout état de cause, ce stage d'une durée de 5 jours ne pouvait lui permettre d'acquérir une expérience de la gestion d'une telle entreprise alors qu'âgé de 34 ans, il n'est pas établi qu'il avait déjà exercé une activité artisanale et qu'il ait, de la sorte, été pleinement en mesure d'apprécier la portée de ses engagements au regard des risques d'endettement découlant de cette installation ; que la banque était donc tenue envers lui d'une obligation de mise en garde lui imposant de se renseigner sur ses capacités financières, de lui accorder des crédits adaptés à ces capacités et, le cas échéant, de l'alerter sur les risques d'endettement nés des crédits sollicités ; que la banque ne produit aucun élément propre à établir qu'elle ait satisfait à cette exigence ; qu'étant informée que M. X... avait arrêté son activité depuis le 27 février 2005, soit un an avant la souscription des prêts, comme l'indique la mention manuscrite apposée sur la fiche de renseignements du 8 mars 2006 où il déclarait percevoir un salaire mensuel net de 2.000 €, elle ne communique aucune pièce montrant qu'elle se soit informée sur les revenus et charges de l'intéressé, notamment en sollicitant les déclarations fiscales des années précédentes ; que les factures de location d'un « véhicule équipé taxi » pour des montants de 2.827,72 € et 2.944,21 €, relatives à septembre et octobre 2004, sont impropres à établir que M. X... pouvait acquitter des charges mensuelles de ce montant pendant la durée des prêts, qui excédait 5 ans ; qu'en accordant les prêts dans de telles conditions, sans alerter M. X... sur les risques découlant de cet endettement, alors que son apport personnel était limité à 15.000 €, la banque a manqué à l'obligation de mise en garde lui incombant et commis une faute, laquelle est à l'origine de l'endettement excessif de M. X... et l'a privé d'une chance d'obtenir un crédit plus adapté à ses facultés de remboursement ; que le préjudice financier en découlant sera évalué à 80.000 € ;
ALORS, d'une part, QUE la personne qui souscrit un prêt en vue de créer une entreprise artisanale individuelle est un emprunteur averti s'il a exercé durant plusieurs années l'activité professionnelle en cause, même dans des conditions juridiques différentes, et qu'il a été considéré comme ayant assez d'expérience pour être exempté de la formation professionnelle destinée aux personnes créant une telle entreprise ; que la cour d'appel a constaté que M. X... avait exercé durant cinq ans la profession de chauffeur de taxi locataire d'une licence avant de souscrire les emprunts litigieux et qu'il avait été dispensé de suivre le stage dit de préparation à l'installation comprenant une formation sur les problèmes de financement, les techniques de prévision et de contrôle de l'exploitation organisé par le Centre national de formation des taxis ; qu'en considérant que la circonstance que l'intéressé n'ait jamais géré une entreprise artisanale en faisait nécessairement un emprunteur non averti, sans préciser quelles connaissances qui échapperaient au chauffeur de taxi locataire d'une licence pourraient exclusivement être acquises, par expérience personnelle, par le titulaire d'une telle licence, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
ALORS, d'autre part, QUE la banque qui consent à un emprunteur un crédit adapté à ses capacités financières et au risque de l'endettement né de l'octroi du prêt à la date de la conclusion du contrat, eu égard aux informations données par son client, n'est pas tenue à son égard d'une obligation de mise en garde ; qu'en se fondant exclusivement sur les déclarations fiscales établies par M. X... et les avis d'imposition émis sur cette base sans prendre en considération, pour apprécier l'adaptation du crédit aux capacités financières de l'emprunteur et au risque de l'endettement né de l'octroi du prêt, deux éléments économiques tangibles et déterminants invoqués par la banque à savoir, d'une part, le fait que l'intéressé déclarait n'avoir aucune charge de famille ni frais de logement, étant célibataire sans enfant et hébergé par ses parents (concl. p. 7 et fiche de renseignements) et d'autre part, le bilan prévisionnel établi par la banque sur la base des usages de la profession à Paris (concl. p. 6), la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil.Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué infirmatif de ce chef d'avoir limité à 80.000 euros la somme allouée à Monsieur X... à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui avait causé le manquement par la Banque Edel à son obligation de mise en garde ;
AUX MOTIFS QUE cette faute (manquement par la banque à son obligation de mise en garde) est à l'origine de l'endettement excessif de Ali X... et l'a privé d'une chance d'obtenir un crédit plus adapté à ses facultés de remboursement ; que son préjudice financier en découlant sera évalué à 80.000 euros ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'aucun moyen non soulevé par les parties ne peut être examiné d'office sans que celles-ci aient été amenées préalablement à présenter leurs observations à ce sujet ; qu'en relevant, d'office, et sans provoquer préalablement les observations des parties à cet égard, que le manquement par la banque à son obligation de mise en garde avait privé Monsieur X... d'une chance d'obtenir un crédit plus adapté à ses capacités, la Cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, violant ainsi l'article 16 du code de procédure civile.
ET ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'insuffisance de motifs équivaut au défaut de motifs ; que l'appréciation du préjudice financier découlant de la perte de chance de l'emprunteur d'obtenir un crédit plus adapté à ses facultés financières de remboursement consécutive à la faute de l'établissement financier n'est pas discrétionnaire ; qu'en se bornant à indiquer que le préjudice financier de Monsieur X... « sera évalué à 80.000 euros », sans assortir sa décision de ce chef de motifs de nature à justifier que le préjudice, évalué à 150.000 euros par le Tribunal, soit ramené en cause d'appel à la somme de 80.000 euros, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur X... à payer à la banque Edel la somme de 130.834,82 euros au titre du prêt relatif à l'acquisition de la licence de taxi avec intérêts au taux de 5,433 % à compter de la mise en demeure du 11 mars 2008 et celle de 25.147,26 euros au taux de 4,833 % à compter du 29 janvier 2008 ;
AUX MOTIFS QUE Ali X... soutient que le TEG est erroné comme n'incluant pas les frais liés aux garanties des crédits et que ni le taux de période, ni la durée de la période ne sont indiqués, au mépris des dispositions de l'article R. 313-1 du code monétaire et financier et conclut à la substitution du taux légal ; mais qu'il résulte de l'article L. 311-3 et de l'article R. 313-1 du code de la consommation que les prêts destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle, ce qui est le cas en l'espèce, sont exclus du champ d'application des dispositions relatives au calcul du TEG ; qu'il convient de condamner Monsieur X... à payer à la banque Edel la somme de 130.834,82 euros au titre du prêt relatif à l'acquisition de la licence de taxi avec intérêts au taux de 5,433 % à compter de la mise en demeure du 11 mars 2008 et celle de 25.147,26 euros au taux de 4,833 % à compter du 29 janvier 2008 ;
ALORS, D'UNE PART, QUE les prêts destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle ne sont pas exclus du champ d'application des dispositions relatives au calcul du TEG ; qu'en rejetant la demande de Monsieur X... tendant à l'application du taux d'intérêt légal, substitué au taux conventionnel, faute pour la banque Edel d'avoir inclus, dans le calcul du TEG, les frais liés à la prise de garantie sur le véhicule et au nantissement du fonds artisanal et de la licence de taxi, la Cour d'appel a violé les articles 1907 alinéa 2 du code civil, 313-4 du code monétaire et financier et L. 312-2 du code de la consommation, par refus d'application, ainsi que l'article L. 311-3 du code de la consommation, ensemble l'article L. 313-1 du code de la consommation,
ET ALORS, D'AUTRE PART, QUE les prêts destinés à financer les besoins d'une activité professionnelle ne sont pas exclus du champ d'application des dispositions relatives au calcul du TEG ; qu'en rejetant la demande de Monsieur X... tendant à l'application du taux d'intérêt légal, substitué au taux conventionnel, faute d'indication dans les contrats de prêt du taux de période et de la durée de période, la Cour d'appel a violé les articles 1907 alinéa 2 du code civil, 313-4 du code monétaire et financier et L. 312-2 du code de la consommation, par refus d'application, ainsi que l'article L. 311-3 du code de la consommation, ensemble les articles R. 313-1 du code monétaire et financier et R. 313-1 du code de la consommation.