LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu qu'est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement, tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l'occasion d'un changement d'exploitant, soit obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci ; que les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 9 mars 2011), les époux X..., propriétaires de terres mises à la disposition de l'EARL X..., ont, par acte du 3 janvier 2006, cédé à M. Y... la totalité des parts représentatives de cette EARL devenue l'EARL Y... (l'EARL) ; que par acte du 20 décembre 2006, ils ont donné à bail ces terres à M. Y... ; que M. Y..., qui les a mises à la disposition de l'EARL Y..., a assigné les époux X... en répétition d'une partie du prix de cession des parts de la société ;
Attendu que pour rejeter l'action en répétition, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime sont inapplicables dès lors que la cession des parts de la société exploitante à M.
Y...
représentait un changement de propriétaire des parts sociales mais n'équivalait pas à un changement d'exploitant ;
Qu'en statuant ainsi, tout en relevant que les terres litigieuses avaient été données à bail par les époux X... à M. Y... avant d'être mises par celui-ci à la disposition de l'EARL, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit besoin de statuer sur les deuxième et troisième moyens :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 mars 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne les époux X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les époux X... à payer à M. Y... et à l'EARL la somme de 2 500 euros ; rejette la demande des époux X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un octobre deux mille douze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Georges, avocat aux Conseils, pour M. Y... et la société Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Y..., preneur à bail rural, de son action à l'encontre de M. et Mme X..., bailleurs, en répétition de la somme de 283. 800 € en principal, sur le fondement de l'article L. 411-74 du code rural,
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'acte sous seing privé du 3 janvier 2006 constate l'accord des parties sur la cession à titre onéreux par M. X..., Mme Z... et l'indivision X...-Z...de la totalité des parts constituant le capital social de l'EARL X... à M. Y... ; que les appelants considèrent que, sous couvert de valorisation d'éléments incorporels, aurait été valorisée une cession de bail, et facturés des éléments indus ; que l'article L. 411-74 du code rural dispose que sera puni pénalement « tout bailleur, tout preneur sortant ou intermédiaire qui aura directement ou indirectement à l'occasion d'un changement d'exploitant, soit obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale » ; qu'en vertu de ce texte, est ainsi prohibé le fait pour tout bailleur ou preneur sortant, à l'occasion d'un changement d'exploitant, d'obtenir ou de tenter d'obtenir une remise d'argent ou de valeur non justifiée, ou d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci ; qu'en l'espèce, il résulte des termes de la promesse de cession de parts signée le 3 janvier 2006 entre les époux X...-Z...et M. Y..., que L'EARL X... met en valeur une exploitation agricole d'une superficie de 154 ha " environ " auxquels sont attachés un quota betteravier et un quota laitier, et que c'est la cession de cette exploitation qui a été proposée à M. Y... ; que cette promesse a été conclue sous diverses conditions suspensives, et notamment celle de l'obtention par le cessionnaire de baux sur la totalité de la surface exploitée par l'EARL, étant précisé que les cédants étaient eux-mêmes propriétaires de diverses parcelles ; qu'un bail est intervenu entre les mêmes parties le 20 décembre 2006 concernant une superficie totale de 99 ha 75 a 70 ca ; qu'ainsi l'exploitation agricole est confiée à l'EARL X... par la mise à disposition de terres par les époux X... en leur qualité tant de bailleurs que de preneurs pour partie d'entre elles ; que la cession de la totalité des parts de la société exploitante à M.
Y...
n'implique pas la dissolution de la société ni son remplacement par la société que ce dernier a constituée, l'EARL Y... ; que cette cession représente un changement de propriétaire des parts sociales mais n'équivaut pas à un changement d'exploitant, la pérennité de l'exploitation agricole constituée sous forme sociétaire étant assurée par celle de la personne morale dont seules les parts sont cédées ; qu'il en résulte que, faute de changement d'exploitant, les dispositions de l'article L. 411-74 du code rural ne sont pas applicables en l'espèce (arrêt attaqué, pp. 4-5) ; ET AUX MOTIFS, REPUTES ADOPTES, DES PREMIERS JUGES QUE la cession à un nouvel associé de toutes les parts d'une société civile agricole, titulaire du bail, n'entraîne pas la substitution d'un nouvel exploitant au sens de l'article L. 411-74 du code rural ; que ce principe a été consacré par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 7 juillet 2004 (jugement entrepris, p. 9) ;
ALORS QUE selon l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, le preneur qui met les terres louées à la disposition d'une société à objet principalement agricole reste titulaire du bail ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que c'est M. Y... qui a pris à bail les terres appartenant aux époux X... ou louées par eux, et qui étaient mises à disposition de l'EARL X... ; qu'il y avait eu ainsi un changement de preneur à bail, donc un changement d'exploitant au sens de l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime ; qu'en considérant que la cession des parts sociales de l'EARL à M. Y... n'entraînait pas un changement d'exploitant, quand les terres n'étaient pas louées à cette société mais seulement mises à sa disposition, la cour d'appel a violé l'article L. 411-74 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article L. 411-37 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Y..., preneur à bail rural, de son action à l'encontre de M. et Mme X..., bailleurs, en répétition de la somme de 283. 800 € en principal,
AUX MOTIFS QU'eu égard à l'inapplicabilité de l'article L. 411-74 du code rural, il convient de vérifier si la cession litigieuse peut donner lieu à une action fondée sur le droit commun de la répétition de l'indu, en ce que le caractère extra patrimonial du bail rural, édicté par l'article L. 411-35 du code rural, interdit qu'il puisse être à l'origine, directement ou indirectement, d'une contrepartie financière ; que la promesse de vente précise que les parts sociales cédées comprennent la totalité des actifs nécessaires à l'exploitation et énumère « bâtiments d'exploitation, matériel, FAF, parts sociales cheptel, stocks, valeurs en terre, créances » ; qu'il convient de relever qu'aucun droit au bail n'est visé comme élément d'actif ; que les appelants, au soutien de leur argumentation, produisent un courrier daté du 28 octobre 2003, adressé par Aranor aux cédants à l'issue de l'entretien ayant eu lieu quelques jours plus tôt entre cette société et Laurent Y..., concernant l'évaluation de l'exploitation ; que ce document fait référence, pour l'évaluation du capital net de l'EARL, à une plus-value FAF (150 ha + quota laitier 595 000 l) de 348. 202 € ; que si le quota laitier ne peut être l'objet d'une valorisation puisqu'il ne constitue pas un bien mobilier incorporel mais une simple autorisation administrative, et les fumures et arrière-fumures ne peuvent être mises à la charge de l'exploitant, il convient de prendre en considération le fait que ces éléments, outre qu'ils ne révèlent pas pour autant l'existence d'une valorisation d'un « pas de porte », sont destinés, avec d'autres également visés dans la promesse, à apprécier le plus précisément possible la valeur de l'ensemble des droits et obligations constituant le patrimoine de la société pour en tirer une valeur unitaire ; que celle-ci a été retenue par les parties pour un montant de 40, 12 € qui prend en compte tout autant les plus-values à intervenir que le manque à gagner du cessionnaire sur 12 ans, en sorte que les références aux FAF et quota laitier visés dans le document émanant d'Aranor ne sont pas la preuve de l'existence d'un paiement indu par Laurent Y... aux époux X... ; que par ailleurs la note technique émanant de Marc A... sur la valeur vénale du matériel agricole retenue dans la détermination de la valeur des parts sociales procède par voie d'affirmation et n'individualise pas sur quel matériel porte précisément la critique de cet expert au demeurant investi non contradictoirement par les appelants pour procéder à a sa mission ; qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu à la désignation d'un expert qui ne saurait pallier la carence des appelants dans l'administration de la preuve qui leur incombe, de confirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande (arrêt attaqué, pp. 5-6),
ALORS, D'UNE PART, QUE la cour d'appel a constaté expressément que les quotas laitiers ne peuvent faire l'objet d'une valorisation dans le cadre de la cession d'une exploitation agricole, et que les fumures et arrières fumures ne peuvent être mises à la charge de l'exploitant ; qu'en retenant néanmoins – pour considérer que la valorisation de ces éléments pour un montant de 348. 202 € dans l'évaluation de l'exploitation ne donnait pas droit à répétition pour M. Y... – que ces éléments étaient destinés avec d'autres à « apprécier le plus précisément possible la valeur de l'ensemble des droits et obligations constituant le patrimoine de la société », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles ces éléments ne pouvaient être valorisés dans le cadre d'une cession, a violé tant l'article 1376 du code civil que l'article L. 411-74 du code rural,
ALORS, D'AUTRE PART, QUE M. Y... faisait valoir dans ses conclusions d'appel (p. 5) qu'il résultait de documents qu'il produisait aux débats portant la mention « confidentiel », adressés le 31 mai 2006 par le cabinet Aranor, ayant procédé à l'évaluation de l'exploitation, que la liste des éléments mobiliers avait été raturée et les biens surévalués afin de parvenir au prix de cession souhaité et que ces documents mentionnaient notamment un « ancien bâtiment » pour une somme de 30. 000 € qui ne lui était pas vendu ; qu'en se bornant à relever, pour débouter M. Y... de son action en répétition de l'indu, que la note technique de M. A... sur la valeur vénale du matériel agricole n'était pas probante, sans répondre à ce chef déterminant des conclusions d'appel et s'expliquer sur les documents émanant du cabinet Aranor, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Y... et l'EARL Y... de leur demande à l'encontre des époux X... pour non-respect de leur obligation de délivrance en tant que vendeurs,
AUX MOTIFS PROPRES QUE la demande fondée sur le non-respect par les vendeurs de leur obligation de délivrance doit être examinée dès lors que, au-delà de la transmission des parts sociales cédées, il convient de vérifier si les droits qu'elle recouvre ont bien été transmis ; que M. Y... et l'EARL Y... soutiennent qu'au lieu des 154 ha valorisés, ils n'auraient reçu que 148 ha à exploiter ; qu'outre le fait que la superficie exploitée par l'EARL X... n'a été visée qu'approximativement dans la promesse de cession, elle ne fait pas partie de l'actif social valorisé et les parties ont pris la peine de stipuler que la cession des parts ne pourrait être remise en cause uniquement dans le cas où M. Y... n'obtiendrait pas des promesses de baux sur plus d'1/ 5ème de la surface de l'exploitation ; qu'il n'est pas démontré que telle a été la situation (arrêt attaqué, p. 6) ; ET AUX MOTIFS, A LES SUPPOSER ADOPTES, DES PREMIERS JUGES QUE force est de constater que M. Y... n'a pas reçu tous les éléments d'actif acquis ; que, cependant, il y a lieu de considérer que l'acte de cession porte, non pas sur des biens meubles corporels, mais sur des biens meubles incorporels, en l'occurrence des parts sociales ; que, dans ces conditions, les vendeurs ne sont tenus, conformément aux dispositions de l'article 1693 du code civil, qu'à la seule garantie de l'existence des droits incorporels cédés ; que, dans la mesure où l'acte de cession de parts sociales dont s'agit n'a en aucune manière subordonné ladite cession à la représentation des éléments corporels visés au compromis, M. Y... et l'EARL Y... seront déboutés de leurs demandes de ce chef (jugement entrepris, p. 8) ;
ALORS QUE, ainsi que M. Y... et l'EARL Y... le faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel (pp. 4 et 7), en produisant le compromis de cession du 25 mai 2005, celui-ci était « expressément réalisé sous la condition suspensive « que M. Y... obtienne des promesses de baux sur la totalité de la surface de l'EARL. Toutefois, la cession ne sera pas remise en cause au cas où manquerait une surface maximum de 4 ha 99 (1/ 5ème de la SMI) » » ; qu'ainsi, en énonçant, pour estimer que n'était pas démontrée la situation permettant une remise en cause de la cession, que cette remise en cause n'était, selon la stipulation de la promesse de cession, possible que si M. Y... n'obtenait pas des promesse de baux sur plus d'1/ 5ème « de la surface de l'exploitation », quand la stipulation en cause prévoyait que la surface à prendre en considération était celle de « 1/ 5ème de la SMI », soit « 4 ha 99 », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la stipulation considérée, violant ainsi l'article 1134 du code civil.