LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société Artis du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme X... ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 mai 2011), que la société Maisons TS, aux droits de laquelle vient la société Artis (la société), ayant pour objet la construction de maisons, a été constituée le 5 avril 1989 ; que la société d'expertise comptable Experts et partenaires (l'expert-comptable), chargée d'une mission de présentation des comptes annuels et de rédaction des déclarations fiscales, a, lors de l'établissement de la déclaration relative au premier exercice, placé la société sous le bénéfice de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue par l'article 44 sexies du code général des impôts pour les entreprises nouvelles ; que par lettre du 4 février 1991, l'expert-comptable a été informé par le conseil juridique de la société de la création d'une société dénommée Rhéa dont le capital était détenu majoritairement par les deux dirigeants de la société, ayant pour objet l'achat et la revente de terrains ; qu'en 1994, l'exonération de l'impôt sur les sociétés a été remise en cause par l'administration fiscale en raison de la création de la société Rhéa compte tenu de la détention majoritaire du capital par les deux dirigeants de la société et de son objet ; qu'un redressement pour les exercices 1991 à 1993 a été notifié à la société ; que le recours introduit contre celui-ci devant la juridiction administrative a été rejeté ; que la société Artis a assigné l'expert-comptable en paiement de dommages-intérêts représentant le montant du redressement et en réparation de son préjudice commercial ; que l'expert-comptable a fait intervenir son assureur, la société Axa France IARD ;
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1/ que l'expert-comptable, qui a reçu la mission d'effectuer les déclarations fiscales d'une société, a, compte tenu des informations qu'il doit recueillir sur l'entreprise, une obligation de conseil afférente à toutes opérations juridiques effectuées par cette dernière, dont il a connaissance dans le cadre de l'exercice de sa mission, de nature à emporter des conséquences de nature fiscale ; qu'en considérant, pour exonérer le cabinet d'expertise comptable de sa responsabilité, qu'il n'était pas à l'origine du projet de création ni le rédacteur des actes de constitution de la filiale, quand il lui appartenait, dans le cadre de l'exercice de sa mission, d'appeler l'attention de sa cliente, la société mère, sur les conséquences fiscales d'une telle opération, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
2/ que l'expert-comptable est tenu envers son client d'une obligation de conseil qui doit le conduire, dès qu'il a connaissance d'une opération juridique effectuée par ce dernier et susceptible d'emporter des conséquences préjudiciables sur sa situation comptable ou fiscale, à l'en informer aussitôt que possible afin de lui permettre d'y remédier ou de les limiter dans toute la mesure du possible ; qu'en considérant que le cabinet d'expertise comptable ne pouvait se voir reprocher un quelconque manquement à son devoir de conseil dès lors qu'il n'avait été informé de la composition du capital de la filiale que le 8 février 1991, soit postérieurement à sa constitution, de sorte que les conseils qu'il aurait pu prodiguer auraient été sans effet sur la situation fiscale nouvelle ainsi créée, lorsqu'il incombait au cabinet d'expertise comptable de conseiller à son client de procéder, à tout le moins, à une modification de la composition du capital de ladite filiale, ce qui aurait permis à la société mère de continuer à bénéficier de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue à l'article 44 sexies du code général des impôts, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 1147 du code civil ;
3/ qu'en considérant, pour dispenser le cabinet d'expertise comptable de son devoir de conseil, que la question de la perte de l'exonération d'imposition prévue à l'article 44 sexies du code général des impôts à l'occasion de la création d'une société nouvelle n'avait pas, en 1991, été tranchée par jurisprudence, quand cette incertitude quant à l'état du droit positif devait au contraire conduire le cabinet d'expertise comptable à aviser son client des différentes interprétations dont pouvait faire l'objet la disposition fiscale litigieuse et à attirer son attention sur les risques en découlant, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient que l'expert-comptable n'avait été informé de l'immatriculation de la société Rhéa, intervenue le 15 janvier 1991, et de la répartition du capital entre les deux associés, que le 8 février 1991, par un courrier émanant du conseil juridique ayant accompli les formalités de cette création ; qu'il relève qu'à cette date l'expert-comptable, qui ne pouvait que faire le constat d'une situation juridique et prodiguer des informations qui auraient été sans effet sur la situation fiscale nouvelle ainsi créée, n'aurait pu tout au plus qu'inviter la société à mettre plus tôt un terme à l'exonération fiscale à laquelle elle ne pouvait plus prétendre depuis le 15 janvier 1991 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les première et troisième branches, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen qui ne peut être accueilli en ses première et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Artis aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme de 2 500 euros à la société Experts et partenaires et celle de 770 euros à la société AXA France IARD ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société Artis
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société Artis de sa demande de condamnation de la société Experts et Partenaires à lui verser des dommages-intérêts pour manquement à son devoir de conseil ;
AUX MOTIFS QUE le cabinet Expert et Partenaires n'a pas commis de faute en prenant acte, en 1989, de l'option au régime de faveur de l'article 44 du code général des impôts alors que, par son arrêt du 2 novembre 2006, le Conseil d'Etat a confirmé que la société Artis exerçait à titre principal une activité d'entrepreneur principal en bâtiment relevant d'une profession commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts, de sorte que l'entreprise entrait bien dans le champ de l'exonération prévue à l'article 44 sexies du code général des impôts ; que c'est en réalité le manquement à un devoir de conseil lors de la création ultérieure de la filiale, la société Rhéa, et postérieurement à celle-ci qui est reproché à la société Experts et Partenaires ; qu'aucune pièce ne démontre que la société Experts et Partenaires ait, à quelque moment que ce soit, conseillé aux associés de la société Maisons TS Associés de créer une société filiale ni même qu'elle ait été informée préalablement de la création de cette dernière ; qu'il n'est à cet égard produit aucune lettre de mission, aucun document émanant de la société Experts et Partenaires, aucun honoraire spécifique facturé ; qu'il n'est pas davantage contesté que le cabinet d'expertise comptable n'est pas le rédacteur des actes de création de la filiale ; qu'il est au contraire démontré que l'expert-comptable n'a été informé de la nouvelle activité et de la création d'une filiale que postérieurement à la création de celle-ci, à l'établissement des statuts et à son immatriculation au registre du commerce ; que ce n'est que par l'envoi des statuts par la société Jurisophia (pièce 4), par un courrier du 8 février 1991, que la société d'expertise comptable a été informée de la constitution de la société Rhéa et qu'elle a donc ainsi disposé des informations relatives à la composition du capital social de la nouvelle société ; qu'à cette date, la société était immatriculée (pièce 12) et l'expert-comptable ne pouvait que faire le constat d'une situation juridique et prodiguer des informations qui auraient été sans effet sur la situation fiscale nouvelle ainsi créée ; qu'il n'aurait tout au plus pu qu'inviter la société Artis à mettre plus tôt un terme à l'exonération fiscale à laquelle elle ne pouvait plus prétendre depuis le 15 janvier 1991 et le préjudice invoqué ne peut qu'être limité à une simple perte de chance ; qu'il ne saurait cependant à cet égard être reproché à la société Experts et Partenaires de ne pas avoir immédiatement attiré l'attention de la société Maisons TS Associés sur le risque fiscal encouru alors qu'à l'époque de la création de la société Rhéa, en 1991, la question de la perte de l'exonération d'imposition prévue à l'article 44 sexies du code général des impôts à l'occasion de la création d'une société nouvelle n'était pas tranchée jurisprudentiellement ; que ce n'est d'ailleurs que par une jurisprudence du 17 octobre 2003, produite par Me X..., que le Conseil d'Etat s'est prononcé pour la première fois dans une espèce transposable, le commissaire du gouvernement ayant qualifié la question d'inédite (CE, 17 octobre 2003, Société Aigle Levage ; Revue de Droit Fiscal 2004 p. 722, conclusions de M. le commissaire du gouvernement P. Collin) ;
ALORS, 1°), QUE l'expert comptable, qui a reçu la mission d'effectuer les déclarations fiscales d'une société, a, compte tenu des informations qu'il doit recueillir sur l'entreprise, une obligation de conseil afférente à toutes opérations juridiques effectuées par cette dernière, dont il a connaissance dans le cadre de l'exercice de sa mission, de nature à emporter des conséquences de nature fiscale ; qu'en considérant, pour exonérer le cabinet d'expertise comptable de sa responsabilité, qu'il n'était pas à l'origine du projet de création ni le rédacteur des actes de constitution de la filiale, quand il lui appartenait, dans le cadre de l'exercice de sa mission, d'appeler l'attention de sa cliente, la société-mère, sur les conséquences fiscales d'une telle opération, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
ALORS, 2°), QUE l'expert comptable est tenu envers son client d'une obligation de conseil qui doit le conduire, dès qu'il a connaissance d'une opération juridique effectuée par ce dernier et susceptible d'emporter des conséquences préjudiciables sur sa situation comptable ou fiscale, à l'en informer aussitôt que possible afin de lui permettre d'y remédier ou de les limiter dans toute la mesure du possible ; qu'en considérant que le cabinet d'expertise comptable ne pouvait se voir reprocher un quelconque manquement à son devoir de conseil dès lors qu'il n'avait été informé de la composition du capital de la filiale que le 8 février 1991, soit postérieurement à sa constitution, de sorte que les conseils qu'il aurait pu prodiguer auraient été sans effet sur la situation fiscale nouvelle ainsi créée, lorsqu'il incombait au cabinet d'expertise comptable de conseiller à son client de procéder, à tout le moins, à une modification de la composition du capital de ladite filiale, ce qui aurait permis à la société mère de continuer à bénéficier de l'exonération d'impôt sur les sociétés prévue à l'article 44 sexies du code général des impôts, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 1147 du code civil ;
ALORS, 3°), QU'en considérant, pour dispenser le cabinet d'expertise comptable de son devoir de conseil, que la question de la perte de l'exonération d'imposition prévue à l'article 44 sexies du code général des impôts à l'occasion de la création d'une société nouvelle n'avait pas, en 1991, été tranchée par jurisprudence, quand cette incertitude quant à l'état du droit positif devait au contraire conduire le cabinet d'expertise comptable à aviser son client des différentes interprétations dont pouvait faire l'objet la disposition fiscale litigieuse et à attirer son attention sur les risques en découlant, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.