N° H 11-86.921 FS-P+B
N° 1854
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens, partie civile, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 18 mai 2011, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre les sociétés Beiersdorf et Laboratoires Juva santé, du chef d'exercice illégal de la pharmacie, a prononcé non-lieu partiel ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 mars 2013 où étaient présents : M. Louvel, président, Mme Radenne, conseiller rapporteur, MM. Arnould, Le Corroller, Pers, Fossier, Mmes Mirguet, Vannier, conseillers de la chambre, Mme Harel-Dutirou, M. Roth, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Salvat ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de Mme le conseiller RADENNE, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN et SOLTNER, de la société civile professionnelle RICHARD et de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALVAT ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 4211-1, L. 5111-1, D. 4211-11 et D. 4211-12 du code de la santé publique, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque du chef d'exercice illégal de la pharmacie à raison de la commercialisation de produits antiseptiques, de vitamines, d'oligo-éléments, de produits à base de plantes, de crèmes et de potions ;
"aux motifs en premier lieu que les dispositions de droit européen ne s'appliquent en l'espèce qu'à défaut de dispositions de droit national, le droit interne ayant en l'espèce toute possibilité de particulariser les textes applicables ; que sur la notion de médicament par présentation, il convient de rechercher pour chacun des produits cités si ceux-ci sont ou non présentés comme pouvant avoir un effet de médicament au sens de l'article L. 5111-1 du code de la santé publique, la notion de produit implicitement présenté comme médicament, au sens du droit communautaire, devant pouvoir être déduite de critères précis et clairement constatés ; que, sur la primauté de la qualification de médicament, cette règle ne saurait trouver application qu'en cas de doute, selon les termes de l'article L. 5111-1 du code de la santé publique et au seul cas où un produit constitue à la fois un médicament et une autre catégorie de produit ; qu'il n'existe pas de primauté générale, que la vitamine C 1000 de marque Juvamine a pour but de compléter le régime alimentaire normal et constitue une source concentrée de nutriments ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique seul ou combiné ; qu'il constitue un complément alimentaire au sens de l'article 2 du décret du 20 mars 2006 et qu'il n'est pas soumis à la législation sur les médicaments ;
"1°) alors que lorsque, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national - telle celle de complément alimentaire - il doit être considéré comme un médicament ; que la cour ne pouvait donc dire n'y voir lieu à suivre à raison de la distribution hors pharmacie de vitamine C 1000 au seul motif que ce produit constituait un complément alimentaire, ce motif n'étant pas de nature à exclure qu'il puisse, également, être considéré comme un médicament ;
"2°) alors que la cour ne pouvait, sans se contredire, refuser de considérer la vitamine C 1000 comme un médicament par fonction après avoir elle-même constaté que cette substance constituait "une source concentrée de nutriments ou d'autres substances ayant un effet nutritionnel ou physiologique", ce dont il se déduisait qu'elle avait pour objet de restaurer, modifier ou corriger les fonctions organiques ;
"aux motifs en second lieu que l'harpagophytum+cassis de marque floressance vendu sous forme de gélules a fait l'objet d'une autorisation en tant que complément alimentaire par arrêté du 27 avril 2007 ; qu'il n'est donc pas soumis à la législation sur les médicaments ;
"3°) alors que la circonstance qu'un produit ait été mis sur le marché en vertu d'une autorisation ultérieurement donnée en application des dispositions régissant les compléments alimentaires n'exclut pas que ce produit relève du monopole pharmaceutique ; qu'en se bornant, pour dire n'y avoir lieu à suivre à raison de la distribution hors pharmacie du produit "l'harpagophytum+cassis", à énoncer que ce produit avait fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché en tant que complément alimentaire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"4°) alors qu'en statuant ainsi, sans rechercher si le produit "harpagophytum+cassis" ne pouvait, compte tenu de ses caractéristiques intrinsèques, être regardé comme un médicament par présentation ou par fonction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"aux motifs en troisième lieu que sur l'éosine aqueuse à 2 %, ce produit, à finalité asséchante, n'est pas présenté comme un produit médical ou pharmaceutique ; qu'il n'a pas d'action pharmaceutique particulière ; que la partie civile n'a pas établi au surplus en quoi cette préparation constituerait un danger ; qu'il ne s'agit donc pas d'un médicament par nature, ainsi que l'explique la note de l'AFSSAPS, mais d'un dispositif médical ; que l'attestation de classement en dispositif médical par le laboratoire Juva Santé est produite ; que l'infraction n'est pas constituée ;
"5°) alors que lorsque, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national - telle celle de dispositif médical - il doit être considéré comme un médicament ; que la cour ne pouvait donc dire n'y voir lieu à suivre à raison de la distribution hors pharmacie de l'éosine à 2 % au seul motif que ce produit constituait un dispositif médical, ce motif n'étant pas de nature à exclure qu'il puisse, également, être considéré comme un médicament ;
"6°) alors que la circonstance qu'un produit n'ait, sur le corps humain, qu'une influence limitée n'est pas de nature à exclure la qualification de médicament ; qu'en affirmant que l'éosine à 2 % - dont elle relève qu'elle a une action "asséchante" - ne pouvait être regardée comme un médicament faute "d'action pharmaceutique particulière", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"7°) alors que le fait qu'un produit ne présente pas de "danger" n'est pas de nature à exclure la qualification de médicament ; qu'en affirmant que l'éosine aqueuse à 2 % ne pouvait être considérée comme un médicament dès lors qu'il n'était pas établi "en quoi cette préparation constituerait un danger", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"aux motifs en quatrième lieu que sur l'alcool modifié à 90° de marque Mercurochrome, destiné et présenté comme étant à usage technique et destiné à la désinfection des petits ustensiles de type ciseaux et pince à épiler, est un biocide et ne constitue pas un médicament ; qu'il n'est pas soumis à la législation relative aux médicaments ;
"8°) alors que la cour ne pouvait, sans se contredire, refuser de considérer l'alcool à 90° comme un médicament après avoir elle-même constaté qu'il s'agissait d'un produit "désinfectant", de surcroît présenté comme tel, ce dont il se déduisait qu'il s'agissait d'un médicament par présentation et par fonction ;
"aux motifs en cinquième lieu que sur le gel froid à l'arnica il convient de distinguer la concentration d'arnica telle qu'elle est contenue dans le produit projeté, et celle qui résulte de la concentration finale contenue dans le récipient aérosol, y compris le gaz de projection ; que la concentration finale est seulement de 2,1 % et est donc inférieure au seuil de 4 % posé par l'AFSSAPS ; qu'il en résulte que le produit ne constitue pas un médicament mais un dispositif médical ;
"9°) alors que constitue un médicament par présentation le produit qui est présenté, par quelque moyen que ce soit, comme ayant une action préventive ou curative des maladies humaines ; qu'en écartant la qualification de médicament à propos du gel à l'arnica, au seul motif que ce produit ne constituait pas un médicament par fonction, sans rechercher, comme elle y avait pourtant été invitée, s'il ne constituait pas un médicament par présentation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"10°) alors que constitue un médicament par fonction tout produit pouvant être administré à l'homme en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier ses fonctions organiques ; qu'il n'est pas exigé que les effets du produit sur l'organisme soient scientifiquement démontrés ; que la cour d'appel qui dénie à un gel à base d'arnica la qualité de médicament par fonction au seul motif que sa concentration était inférieure à 4 %, sans rechercher si ce produit n'était pas administré en vue de restaurer, corriger ou modifier les fonctions organiques, a privé sa décision de base légale au regard des articles visés au moyen ;
"aux motifs en sixième lieu que l'eau oxygénée WaterPeroxyde 10 volumes et l'alcool modifié à 70° de marque Hansapl ast sont, selon leur usage, classés biocides ou cosmétiques, mais pas comme médicaments ;
"11°) alors qu'en se bornant à se référer au "classement" de l'eau oxygénée et de l'alcool modifié à 70° comme biocides ou cosmétiques, quand il lui appartenait de rechercher si ces produits, compte tenu de l'ensemble de leurs caractéristiques, notamment de leur composition, de leurs modalités d'emploi et de leurs propriétés pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, ne possédaient pas une action thérapeutique ou des propriétés antiseptiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
"aux motifs en septième lieu que l'antiseptique cutané de marque Hansaplast est un biocide ; que la législation sur les médicaments ne lui est pas applicable ;
"12°) alors que lorsque, eu égard à l'ensemble de ses caractéristiques, un produit est susceptible de répondre à la fois à la définition du médicament et à celle d'autres catégories de produits régies par le droit communautaire ou national - telle celle de biocide - il doit être considéré comme un médicament ; que la cour ne pouvait donc dire n'y voir lieu à suivre à raison de la distribution hors pharmacie d'un antiseptique cutané au seul motif que ce produit constituait un biocide, ce motif n'étant pas de nature à exclure qu'il puisse, également, être considéré comme un médicament ;
"13°) alors que la cour ne pouvait, sans se contredire, refuser de considérer la solution cutanée de marque Hansaplast comme un médicament par fonction après avoir elle-même constaté que cette solution était "antiseptique", ce dont il se déduisait qu'elle avait pour objet de restaurer, modifier ou corriger les fonctions organiques" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le Conseil national de l'ordre des pharmaciens (CNOP) a porté plainte et s'est constitué partie civile, notamment contre la société Laboratoires Juva santé et la société Beiersdorf, qui ne remplissent pas les conditions exigées pour l'exercice de la pharmacie, du chef d'exercice illégal de cette profession, leur reprochant d'avoir commercialisé plusieurs produits répondant à la définition légale du médicament ; que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (l'AFSSAPS), consultée par le juge d'instruction, ayant indiqué que seuls quelques-uns de ces produits entraient dans la définition du médicament par fonction ou par présentation et que les autres étaient soit des compléments alimentaires, soit des biocides, soit des produits cosmétiques ou encore des dispositifs médicaux, ce magistrat a renvoyé ces sociétés devant le tribunal correctionnel pour la mise en vente des premiers produits et a prononcé non-lieu pour partie des seconds ; que le CNOP a relevé appel des dispositions portant non-lieu ;
Attendu que la chambre de l'instruction, après avoir constaté que le juge d'instruction avait omis de se prononcer sur certaines des substances dont il avait été saisi, a annulé l'ordonnance de non-lieu partiel, et, après avoir évoqué, a dit n'y avoir lieu à suivre pour la totalité des produits n'ayant pas fait l'objet de l'ordonnance de renvoi ;
En cet état :
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième, onzième, douzième et treizième branches ;
Attendu que, pour dire que l'harpagophytum+cassis de la marque Fluoressance, l'éosine aqueuse à 2 % des marques U et Biolane, l'eau Oxygénée de marques U et Hansaplast, l'alcool modifié à 90° de marque Mercurochrome, l'eau oxygénée WaterPeroxyde dix volumes, l'alcool modifié à 70° de marque Hansaplast et l'antiseptique cutané de cette même marque ne sont pas des médicaments par présentation ou fonction, l'arrêt retient, notamment, que le premier de ces produits a obtenu, par arrêté du 27 avril 2007, une autorisation de mise sur le marché en tant que complément alimentaire ; que l'AFSSAPS, dont l'avis a été sollicité par le juge d'instruction, a indiqué que l'éosine aqueuse à 2 % doit être considérée comme un dispositif médical, l'eau oxygénée à 10 %, comme un biocide ou un produit cosmétique, selon l'usage qui en est fait et l'alcool modifié à 90°, comme un biocide ; que les juges ajoutent qu'aucun de ces produits n'est présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen, dès lors que la fabrication ou la commercialisation, en l'absence de fraude, de produits qui bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché comme complément alimentaire délivrée par l'autorité administrative compétente et qui ne sont pas présentés comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines, ne saurait constituer le délit d'exercice illégal de la pharmacie ; qu'il en est de même s'agissant des préparations antiseptiques, qui ont été supprimées de la pharmacopée française par les arrêtés des 11 août et 15 décembre 2009 ;
D'où il suit que les griefs invoqués ne sont pas fondés ;
Mais sur le moyen, pris en ses première, deuxième, neuvième et dixième branches :
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour dire n'y avoir lieu à suivre des chefs de commercialisation, par la société Laboratoires Juva santé, de la vitamine C 1000 de marque Juvamine et du gel froid à l'arnica de marque Mercurochrome, l'arrêt attaqué se borne à relever, d'une part, que la vitamine C 1000 constitue un complément alimentaire au sens de l'article 2 du décret du 20 mars 2006 et, d'autre part, que le second de ces produits, compte-tenu de sa concentration finale en arnica, inférieure au seuil posé par l'AFSSAPS, n'est pas un médicament, mais un dispositif médical ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans indiquer si la vitamine C 1000 de marque Juvamine a obtenu une autorisation de mise sur le marché en tant que complément alimentaire et sans rechercher, comme il le lui était demandé, d'une part, si, à défaut d'avoir obtenu cette autorisation, ce nutriment permet, dans des conditions normales d'emploi, de restaurer, corriger ou modifier de manière significative les fonctions physiologiques de l'homme en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique et, d'autre part, si le gel froid à l'arnica de marque Mercurochrome n'était pas présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ces chefs ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 18 mai 2011, mais en ses seules dispositions relatives à la vitamine C 1000 de marque Juvamine et au gel froid à l'arnica de marque Mercurochrome, commercialisés par la société Laboratoires Juva santé, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 4 000 euros la somme que le Conseil national de l'ordre des pharmaciens devra payer à la société Beiersdorf au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à application, au profit de la société laboratoires Juva santé et du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit juin deux mille treize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;