LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles,12 juillet 2012), que M. X... et Mme Y... se sont mariés le 27 juin 2002 à Tanger, et sont domiciliés en France où sont nés leurs deux enfants, respectivement en 2003 et 2005 ; que, sur la requête en divorce formée par celle-ci, un juge aux affaires familiales a, par ordonnance de non-conciliation du 3 juin 2011, rejeté la demande formée par M. X... de sursis à statuer dans l'attente de la décision des autorités marocaines sur sa demande en divorce introduite au Maroc, autorisé les époux à assigner en divorce, et, notamment, attribué à Mme Y... la jouissance du domicile conjugal, fixé le droit de visite et d'hébergement du père, ainsi que sa contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ; que le tribunal de Tanger a, par jugement du 8 juin 2011, prononcé le divorce sous contrôle judiciaire des époux ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire le jugement marocain inopposable aux juridictions françaises et de retenir la compétence de celles-ci, alors, selon le moyen, que la contrariété à l'ordre public international faisant obstacle à la reconnaissance d'une décision étrangère s'apprécie in concreto ; qu'en se bornant à relever, pour considérer que la décision de divorce rendue par les juridictions marocaines lui était inopposable, que la procédure ayant conduit au prononcé du divorce créait un déséquilibre entre les droits des hommes et des femmes et privait le juge de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières du divorce sans toutefois examiner les résultats concrets de la décision étrangère au cas de l'espèce dont elle était saisie, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 16 de la Convention franco-marocaine d'aide mutuelle judiciaire, d'exequatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957 ensemble de l'article 3 du code civil ;
Mais, attendu qu'après avoir constaté que M. X... avait choisi le divorce sous contrôle judiciaire régi par les articles 81, 82, 85 et 88 du code de la famille marocain, et non le divorce judiciaire, et relevé, examinant ainsi les résultats concrets de la décision étrangère, qu'elle consacrait un déséquilibre des droits entre les époux au détriment de la femme qui ne peut engager la procédure qu'avec l'accord de son époux, quand celui-ci peut agir unilatéralement, la cour d'appel en a exactement déduit que cette décision, qui constate la répudiation unilatérale par le mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme, était contraire au principe d'égalité entre époux lors de la dissolution du mariage, énoncé par l'article 5 du protocole n° 7 du 22 novembre 1984, additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à la conception française de l'ordre public international, de sorte que le jugement du tribunal de Tanger ne pouvait être reconnu en France, s'agissant de deux époux qui y étaient domiciliés ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à Mme Y... la somme de 3 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille treize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le jugement marocain de divorce du 8 juin 2011 était inopposable aux juridictions françaises, d'avoir retenu la compétence des juridictions françaises et d'avoir, par conséquent, statué sur les mesures provisoires et accessoires en attribuant à Madame Y... la jouissance du domicile conjugal ainsi que du mobilier du ménage, en fixant à 1.800 ¿ la pension alimentaire mensuelle due par Monsieur X... à Madame Y... et en fixant les conditions dans lesquelles Monsieur X... exercera son droit de visite et d'hébergement à l'égard de ses deux filles ;
Aux motifs propres que :
« - sur la compétence de la juridiction française
Considérant que M. X... fait valoir que les époux sont déjà divorcés au terme d'un jugement du tribunal de première instance de TANGER du 8 juin 2011 dont il a demandé l'exequatur par assignation du 12 avril 2012 devant le tribunal de grande instance de Versailles ;
Mais considérant que la lecture des textes visés par la décision, soit les articles 81, 82, 85 et 88 du code de la Famille, révèle que, contrairement à ce qui avait été soutenu par M. X... en première instance, et comme relevé par le premier juge, il ne s'agit pas d'un divorce judiciaire, mais d'un divorce sous contrôle judiciaire ; qu'il s'agit là d'une procédure consacrant un déséquilibre des droits entre hommes et femmes (celles ci ne pouvant engager cette procédure qu'avec l'accord de leur époux), et privant d'autre part le juge marocain de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de la dissolution du lien matrimonial ; qu'une telle décision, contraire au principe d'égalité entre les époux lors de la dissolution du mariage énoncé par l'article 5 du protocole 7, du 22 novembre 1984, additionnel à la convention européenne des droits de l'Homme est contraire à l'ordre public international, et doit être écartée ; que le juge français est par conséquent compétent pour statuer sur l'appel formé contre l'ordonnance de non conciliation du 3 juin 2011 » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que :
« Sur le sursis à statuer
L'époux demande au juge de surseoir à statuer dans l'attente de la décision rendue par les autorités marocaines dans le cadre de la procédure de divorce qu'il a introduite dans ce pays, alors que les deux époux résidant en France ont, outre la nationalité française, la nationalité marocaine,
L'article 11 de la convention franco-marocaine relative au statut des personnes et de la famille et de la coopération judiciaire dispose que lorsque les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux Etats, ils peuvent introduire une demandé en divorce devant les juridictions de l'un ou l'autre de ces Etats, nonobstant leur résidence commune dans l'autre Etat, Si une action en divorce a été introduite devant une juridiction de l'un des deux Etats, et si une nouvelle action entre les mêmes parties et ayant le même objet est portée devant le tribunal de l'autre Etat, la juridiction saisie en second doit surseoir à statuer.
Cependant, la décision d'une juridiction étrangère constatant une répudiation unilatérale par le mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture est contraire au principe d'égalité entre les époux lors de la dissolution du mariage énoncé par l'article 5 du protocole du 22 novembre 1984 n° VII, additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l'ordre public international.
Aux termes de la demande d'autorisation de divorce révocable par lequel l'époux a introduit l'instance au Maroc, l'époux demande au juge marocain de l'autoriser à faire prononcer un divorce révocable et à faire instrumenter ce divorce par deux adouls. Il en résulte que la procédure mise en oeuvre par l'époux au Maroc est celle prévue aux articles 78 et suivants du code de la famille marocain et relative au divorce sous contrôle judiciaire. Hors le cas de divorce par consentement mutuel, le divorce sous contrôle judiciaire est en effet le seul prévu par le code de la famille marocain qui, en application de l'article 79, est introduit par une demande tendant à être autorisé à faire dresser Pacte de divorce par deux adouls.
Les divorces judiciaires prévus aux articles 94 à 113 du même code ne prévoient en revanche pas le recours aux adouls.
Les explications de l'époux selon lesquelles la procédure serait en réalité engagée sur le fondement des dispositions des articles 123 et 124 du code de la famille marocain, et tendrait dès lors au prononcé d'un divorce judiciaire ne sont pas convaincantes. En effet, ces articles ne prévoient pas un cas spécifique de divorce, mais concernent les conséquences de certains divorces prononcés du fait de l'époux, en prévoyant sauf exception, qu'ils peuvent être révoqués par l'époux. L'article 124 du code dispose qu'en cas de révocation du divorce par celui-ci, l'épouse qui refuse cette révocation peut recourir à une procédure judiciaire pour s'y opposer. Cette faculté laissée à l'épouse concerne en conséquence la procédure applicable en cas de révocation par l'époux d'un divorce prononcé, qui constitue une décision unilatérale de celui-ci, et non la procédure ayant conduit au divorce lui-même.
Les dispositions applicables à la procédure de divorce sous contrôle judiciaire introduite par l'époux au Maroc montrent qu'elles consacrent un déséquilibre des droits entre homme et femmes, cellesci ne pouvant engager ce type de procédure qu'avec l'accord préalable de leur époux (article 89) ; en outre cette procédure prive le juge de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de la dissolution du lien matrimonial.
Il convient en conséquence de rejeter l'exception de sursis à statuer formée par l'époux » ;
Alors que la contrariété à l'ordre public international faisant obstacle à la reconnaissance d'une décision étrangère s'apprécie in concreto ; qu'en se bornant à relever, pour considérer que la décision de divorce rendue par les juridictions marocaines lui était inopposable, que la procédure ayant conduit au prononcé du divorce créait un déséquilibre entre les droits des hommes et des femmes et privait le juge de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières du divorce sans toutefois examiner les résultats concrets de la décision étrangère au cas de l'espèce dont elle était saisie, la Cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 16 de la Convention franco-marocaine d'aide mutuelle judiciaire, d'exéquatur des jugements et d'extradition du 5 octobre 1957 ensemble de l'article 3 du Code civil.