LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2013) rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 26 octobre 2010, pourvoi n° 09-67.107), que la société J.M. Weston (la société Weston), se prévalant de droits d'auteur et de modèle sur une chaussure mocassin qu'elle commercialise sous l'appellation "Mohican", également référencée sous la dénomination de mocassin "180", a assigné en contrefaçon la société Capuce, exploitant de chaussures sous la marque "Paraboot", à raison de la commercialisation d'un mocassin sous la dénomination "Manet" ;
Attendu que la société Weston fait grief à l'arrêt d'avoir annulé le modèle de chaussure "mocassin" déposé à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi) sous le n° 910560 le 29 janvier 1991, et d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon, alors, selon le moyen :
1°/ que toute antériorité doit avoir une date certaine ; que pour retenir que le mocassin BASS serait antérieur à la divulgation du modèle Mohican en 1949, la cour d'appel s'est contentée d'affirmée qu'il serait établi qu'une photographie présentant l'acteur Paul Henreid portant des mocassins Bass date de 1947 et de se fonder, d'une part, sur les énonciations d'un article paru en 2009 dans le magazine « L'express Styles », illustré de la photographie précitée, indiquant que ces chaussures « séduisent les acteurs de Hollywood » tel Paul Henreid en 1947, et d'autre part, sur des publications largement postérieures à 1949 affirmant que ce modèle aurait été créé en 1936 ; qu'en se déterminant au vu de telles publications, qui ne donnent pas date certaine à l'antériorité retenue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
2°/ que seule une antériorité de toutes pièces, divulguant, telle quelle, dans leur combinaison, l'ensemble des caractéristiques du modèle, est de nature à détruire la nouveauté d'un modèle ; que, tout en constatant des différences entre les modèles en cause « quant à la forme de l'empiècement, sa découpe ou la surpiqûre (rectangulaire) de ses côtés » et du fait de « la non reprise d'un léger froncé de la couture sur l'empeigne du modèle Bass ou l'ajout sur le modèle déposé d'une couture sur le bout du soulier », la cour d'appel a retenu, pour écarter la nouveauté du modèle Mohican, que les deux modèles donneraient à voir la « même apparence » de chaussure et auraient « la même forme d'ensemble » ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait non pas de rechercher si les modèles en cause produisaient une impression visuelle d'ensemble différente, mais de déterminer si le modèle Bass divulguait l'ensemble des caractéristiques du modèle Mohican, la cour d'appel, qui a apprécié la nouveauté sur des bases erronées, a violé l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
3°/ qu'en retenant que le modèle Bass constituerait une antériorité destructrice de la nouveauté du modèle Mohican de la société Weston, cependant qu'elle constatait l'existence de différences entre les deux modèles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
4°/ qu'en toute hypothèse, en se bornant à affirmer, de manière vague, que les différences relevées sur le modèle Mohican de la société Weston ne modifieraient pas « l'impression globale de reprise de toutes pièces d'une combinaison antérieure certaine », sans ni définir précisément les caractéristiques de la « combinaison antérieure certaine » que constituerait le modèle Bass, ni indiquer en quoi cette combinaison serait reprise « de toutes pièces », tout en constatant, au contraire, l'existence de différences entre les modèles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
5°/ que la nouveauté s'apprécie au regard du modèle tel que déposé ; qu'en relevant que certaines différences n'apparaissaient pas visibles sur la reproduction de 1949 invoquée comme première divulgation du modèle déposé, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
6°/ qu'en tout état de cause, est original tout modèle qui résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en se bornant à affirmer que le modèle Mohican de la société Weston ne présenterait pas des « différences suffisantes pour être significatives ou témoigner d'une création », sans donner aucun motif justifiant que les différences relevées sur le modèle Mohican ne porteraient pas l'empreinte de la personnalité de son auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient qu'il est établi que la photographie produite par la société Capuce, qui l'a acquise en original en 2012, date de 1947, même si elle illustre un article récent, et constate que cette photographie montre un comédien portant le soulier Bass ; qu'il relève encore que d'autres articles ou extraits d'ouvrages, même s'ils n'ont été publiés qu'après 1949, comportent la représentation d'un mocassin identique à celui photographié en 1947 et précisent que c'est l'américain Bass qui a créé ce modèle en 1936 ; qu'il en déduit qu'il est suffisamment démontré que le mocassin Bass est connu pour avoir été créé en 1936 et que ce modèle, porté dès 1947, était déjà divulgué lors de la première divulgation du modèle de la société Weston en 1949 ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations faisant ressortir que l'antériorité retenue avait date certaine, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, qu'après avoir énoncé que la société Capuce doit prouver l'existence d'une antériorité de toutes pièces certaine, l'arrêt relève que les deux modèles donnent à voir la même apparence de chaussure alliant le genre mocassin à une allure citadine et racée, une arête au lieu du bourrelet rustique, une empeigne légèrement arrondie et bombée sur les bords, une languette avec une découpe et de fines piqûres ; qu'il relève encore que les deux chaussures montrent globalement un soulier sans lacets lisse avec des parties légèrement bombées, une semelle débordante, leur conférant la même forme d'ensemble ; qu'il retient enfin que les différences quant à la forme de l'empiècement, sa découpe ou la surpiqûre de ses côtés et du fait de la non reprise d'un léger froncé de la couture sur l'empeigne du modèle Bass ou de l'ajout sur le modèle déposé d'une couture sur le bout du soulier, ne sont pas suffisantes pour être significatives ou témoigner d'une création ou interprétation esthétique novatrice de mocassin habillé et relèvent d'éléments de détail ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui ne s'est pas fondée sur l'impression d'ensemble produite par les deux modèles en cause, mais a fait ressortir par une analyse de chacune de leurs caractéristiques, la reprise de toutes pièces de la combinaison que constitue le modèle Bass, exclusive d'un effort de création, nonobstant quelques différences de détail qu'elle a relevées, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, pu statuer comme elle a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Weston aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Capuce la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre juin deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société JM Weston
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé le modèle déposé à l'INPI sous le n° 910 560 le 29 janvier 1991, relatif au modèle de chaussure « mocassin », et d'avoir, en conséquence, rejeté l'action en contrefaçon en tant que fondée sur les droits issus de ce dépôt ;
AUX MOTIFS QUE « la société CAPUCE, qui doit prouver l'existence d'une antériorité de toutes pièces certaine, fait valoir que celleci résulterait de la photographie datée de 1947, par elle acquise en original sur le site Rue des Archives en 2012, reproduite dans un article paru en 2009 dans le magazine « L'EXPRESS STYLES » intitulée « la saga du mocassin » présentant l'acteur Paul Henreid en 1947 portant des mocasssins BASS, lesquels seraient identiques au modèle de mocassin revendiqué ; qu'il est effectivement établi que la photographie précitée date de 1947, même si elle illustre un article récent, et montre le soulier Bass, ce qui est au demeurant conforté par la comparaison avec l'original produit (en pièce 53) par la société J.M. WESTON comme étant le modèle BASS (pièce 53) ; que cet article indique qu'après guerre, ces chaussures surnommées « penny loafer » « séduisent les acteurs de Hollywood » tel Paul Henreid en 1947 ; que d'autres articles ou extraits d'ouvrages, même s'ils ont été publiés après 1949, comportent également la représentation d'un mocassin, dont il ne saurait être sérieusement dénié qu'il est identique à celui photographié en 1947, précisant que c'est l'américain BASS qui a créé ce modèle en 1936, qu'il en est ainsi notamment : - de l'ouvrage visé par les premiers juges (L'Art de bien se chausser de 2004), - d'un ouvrage de 2001 « Un siècle de chaussures » indiquant que la ligne est toujours en production ; que l'ensemble de ces éléments concordants démontrent suffisamment que le mocassin George Henry Bass est connu pour avoir été créé en 1936, ce qui résulte également d'une pièce communiquée par la société WESTON (revue de presse, n° 88, article « Preppy c'est tout ») et, de façon certaine, que ce modèle « Bass » porté dès 1947 était déjà divulgué lors de la première divulgation du modèle déposé en 1949, revendiquée par la société WESTON » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE toute antériorité doit avoir une date certaine ; que pour retenir que le mocassin BASS serait antérieur à la divulgation du modèle MOHICAN en 1949, la Cour d'appel s'est contentée d'affirmée qu'il serait établi qu'une photographie présentant l'acteur Paul Henreid portant des mocassins BASS date de 1947 et de se fonder, d'une part, sur les énonciations d'un article paru en 2009 dans le magazine « L'EXPRESS STYLES », illustré de la photographie précitée, indiquant que ces chaussures « séduisent les acteurs de Hollywood » tel Paul Henreid en 1947, et d'autre part, sur des publications largement postérieures à 1949 affirmant que ce modèle aurait été créé en 1936 ; qu'en se déterminant au vu de telles publications, qui ne donnent pas date certaine à l'antériorité retenue, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
ET AUX MOTIFS QU'« il convient donc de comparer le modèle tel que déposé, contrairement au sondage invoqué par la société WESTON, et de le comparer au modèle BASS tel que photographié en 1947, étant observé que l'examen de l'exemplaire (susvisé) de ce modèle (produit par la société WESTON) conforte l'impression d'ensemble produite par la photographie de 1947 ; qu'il résulte de la comparaison à laquelle la cour a ainsi procédé que les deux modèles donnent à voir la même apparence de chaussure alliant le genre mocassin à une « allure citadine et racée » (ainsi que revendiqué par la société WESTON, p 19 de ses écritures), une arête « au lieu du bourrelet rustique, une empeigne légèrement arrondie et bombée sur les bords » une languette avec une découpe et de fines piqûres ; qu'il ne saurait être retenu que le modèle WESTON serait manifestement plus structuré ou présenterait des différences suffisantes pour être significatives ou témoigner d'une création, alors que les deux chaussures montrent globalement un soulier sans lacets lisse avec des parties légèrement bombées, une semelle débordante, leur conférant la même forme d'ensemble ou interprétation esthétique novatrice de mocassin habillé, et ce, nonobstant la non reprise d'un léger froncé de la couture sur l'empeigne du modèle BASS ou l'ajout sur le modèle déposé d'une couture sur le bout du soulier ; que les différences quant à la forme de l'empiècement, sa découpe ou la surpiqûre (rectangulaire) de ses côtés, ne saurait relever d'éléments dominants, et non de détails, alors même qu'ils n'apparaissent pas visibles sur la reproduction de 1949 invoquée comme première divulgation du modèle déposé (pièce 87) et ne modifient pas en fait l'impression globale de reprise de toutes pièces d'une combinaison antérieure certaine ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments d'appréciation que la société WESTON s'avère mal fondée à arguer d'une prétendue impossibilité d'opposer une antériorité destructrice de la nouveauté du modèle litigieux (régi par l'ancien article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle) ; que la décision de première instance ne peut, en conséquence, qu'être approuvée en ce qu'elle a annulé ce modèle, déposé le 29 janvier 1991, et partant, rejeté l'action en contrefaçon dudit modèle » ;
ALORS, D'AUTRE PART, SUBSIDIAIREMENT, QUE seule une antériorité de toutes pièces, divulguant, telle quelle, dans leur combinaison, l'ensemble des caractéristiques du modèle, est de nature à détruire la nouveauté d'un modèle ; que, tout en constatant des différences entre les modèles en cause « quant à la forme de l'empiècement, sa découpe ou la surpiqûre (rectangulaire) de ses côtés » et du fait de « la non reprise d'un léger froncé de la couture sur l'empeigne du modèle BASS ou l'ajout sur le modèle déposé d'une couture sur le bout du soulier », la Cour d'appel a retenu, pour écarter la nouveauté du modèle MOHICAN, que les deux modèles donneraient à voir la « même apparence » de chaussure et auraient « la même forme d'ensemble » ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait non pas de rechercher si les modèles en cause produisaient une impression visuelle d'ensemble différente, mais de déterminer si le modèle BASS divulguait l'ensemble des caractéristiques du modèle MOHICAN, la Cour d'appel, qui a apprécié la nouveauté sur des bases erronées, a violé l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QU'en retenant que le modèle BASS constituerait une antériorité destructrice de la nouveauté du modèle MOHICAN de la société J.M. WESTON, cependant qu'elle constatait l'existence de différences entre les deux modèles, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'en se bornant à affirmer, de manière vague, que les différences relevées sur le modèle MOHICAN de la société J.M. WESTON ne modifieraient pas « l'impression globale de reprise de toutes pièces d'une combinaison antérieure certaine », sans ni définir précisément les caractéristiques de la « combinaison antérieure certaine » que constituerait le modèle BASS, ni indiquer en quoi cette combinaison serait reprise « de toutes pièces », tout en constatant, au contraire, l'existence de différences entre les modèles, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
ALORS, DE CINQUIEME PART, QUE la nouveauté s'apprécie au regard du modèle tel que déposé ; qu'en relevant que certaines différences n'apparaissaient pas visibles sur la reproduction de 1949 invoquée comme première divulgation du modèle déposé, la Cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001 ;
ALORS, ENFIN, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'est original tout modèle qui résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en se bornant à affirmer que le modèle MOHICAN de la société J.M. WESTON ne présenterait pas des « différences suffisantes pour être significatives ou témoigner d'une création », sans donner aucun motif justifiant que les différences relevées sur le modèle MOHICAN ne porteraient pas l'empreinte de la personnalité de son auteur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce, antérieure à l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001.