LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé par M. Y... le 22 octobre 2001 en qualité de bûcheron tâcheron ; qu'ayant été déclaré inapte à la suite d'un accident du travail le 9 octobre 2006, il n'a pas été reclassé ni licencié ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le moyen unique du pourvoi du salarié, pris en ses trois premières branches :
Vu les articles 1184 du code civil, L. 1226-15, L. 1231-1 et L. 1231-2 du code du travail ;
Attendu que pour requalifier la demande de résiliation du contrat de travail en prise d'acte, limiter le rappel de salaire à la date de la saisine du conseil de prud'hommes et débouter le salarié de sa demande d'indemnité prévue par l'article L. 1226-15 du code du travail, l'arrêt énonce qu'il convient de donner aux faits leur exacte qualification juridique et qu'il résulte des termes mêmes du courrier de saisine du conseil de prud'hommes que le salarié avait en réalité pris acte de la rupture de son contrat de travail pour des faits imputables à l'employeur ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être assimilée à une prise d'acte de rupture de ce contrat et que la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le même moyen, pris en ses deux dernières branches :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour limiter le quantum des sommes allouées au salarié, l'arrêt énonce qu'il convient de retenir le salaire proposé par l'employeur pour la somme de 2 098,87 euros ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de procédure que l'employeur proposait un tel montant, et sans expliquer les modalités de calcul de cette somme, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission de ce pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne M. Y... à payer à M. X... la somme de 3 873,93 euros à titre de remboursement d'indemnités, l'arrêt rendu le 5 septembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. X..., demandeur au pourvoi principal
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir requalifié la saisine du conseil de prud'hommes en prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail, pour des faits imputés à l'employeur et débouté M. X... de sa demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et limité les condamnations de M. Y... à payer à l'exposant les sommes de 10.494,35 € à titre de salaires du 9 novembre 2006 au jour de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 20 mars 2007, 1.049,43 € à titre de congés payés y afférents, 4.197,74 € à titre d'indemnité de préavis, 419,77 € à titre de congés payés y afférents, 4.547,55 € à titre d'indemnité spéciale de licenciement et 25.186,44 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
AUX MOTIFS QUE
"sur la rupture du contrat de travail
Il résulte de l'application des dispositions de l'article L. 1226-11 du code du travail qu'à défaut de reclassement ou de licenciement du salarié déclaré inapte dans le délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de visite de reprise, l'employeur doit reprendre le paiement des salaires.
Il résulte de l'interprétation de ces dispositions que le salarié déclaré inapte qui n'a été ni reclassé, ni licencié peut soit se prévaloir de la poursuite de la relation salariale et solliciter le paiement des salaires, soit faire constater la rupture du contrat pour manquement de l'employeur à cette obligation, produisant les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, il est constant que le 9 octobre 2006, le médecin du travail, au vu d'une seule visite, visant le danger immédiat pour le salarié, a déclaré Mehmet X... inapte au poste de bûcheron, de cubeur, de conducteur d'engin.
A compter de cette date, l'employeur devait, dans le mois suivant, sauf à reprendre le paiement des salaires, soit reclasser son salarié, soit le licencier.
L'employeur, qui a accepté l'organisation de cette visite médicale, à l'issue de laquelle il a proposé des postes de reclassement ne peut sérieusement soutenir par ses écritures que la rupture du contrat du travail doit être fixée au 22 septembre 2005, date à laquelle il a avisé, par courrier, son salarié qu'au vu du refus par ce dernier du poste qui lui était proposé, il considérait que le salarié mettait fin au contrat de travail. Il ne peut davantage soutenir que ce salarié a démissionné, en l'absence de volonté claire et non équivoque.
Seule la date du 9 octobre 2006 fixe le point de départ du délai fixé par l'article L. 1226-4 du code du travail.
Au-delà du 9 novembre 2006, Mehmet X... prétend, à bon droit, en application des dispositions de l'article précédemment visé, au paiement de ses salaires, lesquels doivent comprendre tous les éléments de la rémunération antérieure.
Il résulte des pièces versées aux débats que suite à la proposition formulée par l'employeur d'un poste de bureau, Mehmet X... a refusé ce poste le 16 janvier 2007.
Le 6 février 2007, l'employeur proposait à son salarié un poste de gardiennage des bureaux, que ce dernier refusait.
Il ne peut donc être reproché à André Y... de ne pas avoir tenté, au vu des préconisations de médecin du travail, de reclasser son salarié, ensuite de l'avis d'inaptitude.
Dans son courrier de saisine du conseil de prud'hommes, Mehmet X... rappelle que l'employeur lui propose de reprendre le travail, ce que ne lui permet pas son état de santé.
Il poursuit son courrier en mentionnant le montant de ses ressources et demande que son employeur soit condamné à le licencier et à lui payer toutes les indemnités nécessaires à la suite de son licenciement.
Le juge tient des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile le pouvoir de donner aux faits leur exacte qualification juridique.
Il résulte des termes mêmes de ce courrier qu'au jour de la saisine du conseil de prud'hommes, Mehmet X... a en réalité pris acte de la rupture de son contrat de travail pour des faits imputables à l'employeur, produisant les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Il ne peut donc être suivi en son argumentation tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat.
Il est constant que le fait pour l'employeur de ne pas avoir repris le paiement des salaires à l'issue de délai fixé par les dispositions de l'article L. 1226-11 du code du travail caractérise un manquement suffisamment grave, dont le salarié évoque l'incidence en mentionnant lors de la saisine du conseil de prud'hommes la faiblesse de ses ressources et l'existence d'un prêt, pour que la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail produise les effets d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
II sera donc fait droit à la demande en paiement de salaires formée par Mehmet X... sur la période courant du 9 novembre 2006 au 20 mars 2007 pour un salaire mensuel moyen, calculé sur la base des 12 derniers mois de rémunération précédant l'accident du travail subi par le salarié de 2.098,97 €.
André Y... sera donc condamné à payer de ce chef à son salarié la somme de 10.494,35 € outre 1.049,43 € au titre des congés payés y afférents.
En application des dispositions de l'article L. 1226-14 du code du travail, le salarié prétend à bon droit au bénéfice d'une indemnité de préavis d'un montant égal à celle prévue par les dispositions de l'article L. 1234-5 du code du travail. Pour le calcul de l'indemnité, tel que fixée par l'article L. 1226-16 du code du travail, la cour retiendra le salaire proposé par l'employeur pour la somme de 2.098,87 €.
André Y... sera ainsi condamné à payer à Mehmet X... 4.197,74 € à titre d'indemnité de préavis outre 419,77 € titre de congés payés y afférents, bien que le salarié n'a pu exécuter son préavis.
Le salarié, dont l'employeur n'établit pas que le refus des postes de reclassement proposés est abusif, est bien fondé en sa demande en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement. André Y... sera condamné à lui payer la somme de 4.547,55 € de ce chef.
Au jour de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, Mehmet X... comptait 5 ans et 5 mois d'ancienneté. Les tergiversations de son employeur en 2005 et 2006 quant au fait de le considérer ou non salarié de l'entreprise ont occasionné au salarié un préjudice spécifique qui sera compensé par la condamnation d'André Y... au paiement de la somme de 25.186,44 € à titre de dommages et intérêts, étant souligné que contrairement aux allégations du salarié, les dispositions de l'article L. 1226-15 du code du travail ne sont applicables à la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur",
ALORS D'UNE PART QU'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail formée par un salarié ne peut être assimilée à une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, cette dernière devant en effet être adressée à l'employeur de sorte qu'en retenant, pour débouter M. X... de sa demande tendant à obtenir la résiliation judicaire de son contrat de travail, qu'il ressortait de la saisine du conseil de prud'hommes que l'intéressé avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles 1184 du code civil, L 1231-1 et L 1231-2 du code du travail,
ALORS D'AUTRE PART ET EN CONSEQUENCE QU'en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce si bien qu'en limitant le rappel de salaire pour la période allant du 9 novembre 2006 au jour de la saisine du conseil de prud'hommes, soit le 20 mars 2007, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil,
ALORS DE TROISIEME PART QUE les dispositions législatives protectrices des victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle sont applicables lorsqu'un salarié déclaré inapte prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, notamment pour non reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois suivant la reconnaissance de l'inaptitude définitive ; que cette indemnité doit lui être accordée dès lors que la résolution judiciaire ou la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail est justifiée par la non-reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois de l'article L 1226-11 et emporte les conséquence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse de sorte qu'en déboutant M. X... de sa demande d'indemnité de 12 mois prévue par l'article L 1226-15 du code du travail, la cour d'appel a violé l'article L 1226-15 du code du travail,
ALORS, DE QUATRIEME PART, QU'en retenant, pour limiter le quantum des sommes allouées à M. X... que le salaire mensuel à retenir était selon l'employeur de 2.098,97 € quand il ne résulte aucunement des commémoratifs de l'arrêt ni des conclusions récapitulatives de l'employeur que celui-ci ait indiqué quel aurait été le montant de la rémunération mensuelle ni même du salaire mensuel du salarié, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile,
ALORS, DE CINQUIEME PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en ne déterminant pas elle-même le salaire de M. X... quand le jugement faisait état de la somme de 1.901,87 €, que le salarié invoquait dans ses conclusions d'appel celle de 2.833,88 ¿ et que l'employeur aurait fait valoir celle de 2.098,97 €, la cour d'appel, qui n'a pas permis à la Cour de cassation de vérifier si les seuils légaux avaient été respectés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ensemble l'article R 1454-28 du code du travail.
Moyen produit par Me Delamarre, avocat aux Conseils, pour M. Y..., demandeur au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit les parties liées par un contrat à durée indéterminée dès le 22 octobre 2001 et dit sans effet le contrat à durée déterminée conclu le 30 mai 2003 ;
AUX MOTIFS QU'
« Il n'est pas contesté que Mehmet X... a commencé à travailler en qualité de bucheron tâcheron au service d'André Y... le 22 octobre 2001 ; qu'en l'absence d'écrit, la relation de travail s'est inscrite, dès l'origine, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée ; que les parties ne soutiennent pas que ce contrat a été rompu même d'un commun accord, avant le 29 mai 2003, ce que n'établissent pas davantage les pièces versées aux débats ; qu'il s'ensuit que le contrat à durée déterminée, contrat d'exception, conclu le 30 mai 2003 est sans effet sur la relation salariale liant André Y... à Mehmet X... ; que même si dans le dernier état de ses conclusions, l'appelant invoque, pour conclure au débouté du salarié, l'échéance du terme du contrat â durée déterminée, ses propositions et recherches de reclassement de son salarié victime d'un accident du travail, plus d'un an et demi après l'échéance du terme, ainsi que les échanges de courriers entre les parties, confirment le caractère indéterminé de la relation salariale » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE
Le contrat de travail à durée déterminée comporte un terme fixé avec précision dès sa conclusion ; que toutefois, le contrat peut ne pas comporter de terme précis lorsqu'il s'agit d'un emploi à caractère saisonnier ou pour lequel, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de l'emploi ; qu'en jugeant que le contrat de travail de Monsieur X... était à durée indéterminée, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'emploi de «bûcheron tâcheron» de Monsieur X..., n'était pas soumis à la convention collective régionale des exploitations forestières de Champagne Ardenne et, dès lors, nécessairement conclu à durée déterminée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette dernière convention ensemble l'article L.1242-7 du Code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE
Les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes clairs et précis des écrits qui leur sont soumis ; que Monsieur Y... avait produit le contrat de travail de Monsieur X... ; que le contrat de travail indiquait que Monsieur X... avait été embauché à durée déterminée en tant que bucheron tâcheron jusqu'au 31 décembre 2003 et qu'il répondait aux conditions particulières de la coupe de bois ; que le contrat précisait qu'il était soumis à la convention collective régionale des exploitations forestières de Champagne-Ardenne, prévoyant notamment que les contrats de coupe étaient conclus à durée déterminée ; qu'en jugeant pourtant que Monsieur X... bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée, la Cour d'appel a dénaturé ledit contrat et, partant, violé l'article 1134 du Code civil.