LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 2 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 septembre 2013), que Mme Anne-Marie X... épouse A... a donné à bail à M. Y... diverses parcelles de terre et bâtiments ; qu'elle a délivré à celui-ci un congé à effet du 29 septembre 2011, motivé par la reprise des terres par sa fille, Mme Marie A... ;
Attendu que pour annuler ces congés, l'arrêt retient que Mme Marie A..., qui peut bénéficier du régime de la déclaration préalable, doit, à défaut de posséder un diplôme agricole, justifier d'une expérience de cinq ans au minimum acquise sur une surface au moins égale à la moitié de l'unité de référence au cours des quinze années précédant la date effective de l'opération en cause, que cette expérience ne peut être antérieure à la loi du 23 février 2005 dès lors qu'avant cette date l'activité de Mme Marie A... relative aux équidés domestiques n'était pas agricole et que ce n'est qu'à compter de la publication le 14 mars 2007 de l'arrêté du 21 février 2007, fixant les coefficients d'équivalence pour les productions hors sol, que Mme Marie A... a commencé à acquérir l'expérience professionnelle nécessaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'une loi nouvelle s'applique immédiatement aux effets à venir des situations juridiques non contractuelles en cours au moment où elle entre en vigueur, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ; le condamne à payer à Mme X... et à Mme Marie A... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour Mme X... et Mme A....
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a annulé les congés du 24 septembre 2009 avec effet au 29 septembre 2011, à l'effet de permettre une reprise des terres louées à Monsieur Y... par la fille de la bailleresse ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 331-2 II dispose que par dérogation au I, est soumise à déclaration préalable la mise en valeur d'un bien agricole reçu par donation, location, vente ou succession d'un parent ou allié jusqu'au troisième degré inclus lors que les conditions suivantes sont remplies : 1 - le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnée au 3° du I. 2 - les biens sont libres de location au jour de la déclaration ; 3 - les biens sont détenus par ce parent ou alliée depuis neuf ans au moins ; que la loi prévoit donc un régime dérogatoire pour les biens de famille, pour lesquels il n'est pas besoin de solliciter une autorisation administrative préalable, une déclaration étant suffisante si les trois conditions sont remplies, le premier juge ayant exactement énoncé que le bénéficiaire de la reprise doit posséder le cheptel ou le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir ; qu'aux termes des dispositions de l'article L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail pour reprendre le bien loué pour lui-même au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civile de solidarité, ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé ; que dans un tel cas, en conformité avec les termes de l'article L. 411-59 du même code, le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans, soit à titre individuel, soit au sein d'une société dotée de la personnalité morale, soit au sien d'une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine ; qu'il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et doit participer sur les lieux au x travaux de façon effective et permanente, en fonction de l'importance de l'exploitation ; qu'il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir ; que le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe ; que le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées, aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions ; que Mme Marie
A...
exerce une activité de centre équestre, pension, dressage et entraînement d'équidés ; que depuis la loi du 23 février 2005 figurant à l'article L. 311-1 du code rural, son réputées agricoles les activités de préparation et d'entraînement des équidés domestiques en vue de leur exploitation, à l'exclusion des activités de spectacle ; que l'on peut donc considérer que partie au moins de l'activité de Mme Marie
A...
est agricole ; que Mme Marie
A...
ne justifie pas et ne prétend d'ailleurs pas qu'elle possède un diplôme ou certificat reconnu équivalent au brevet d'étude professionnel agricole (BEPA) ou au brevet professionnel agricole (BPA) ; qu'elle doit donc justifier de cinq ans minimum d'expérience professionnelle acquise sur une surface au moins égale à la moitié de l'unité de référence au cours des quinze années précédant la date effective de l'opération en cause ; qu'en l'espèce, cette expérience ne peut être antérieure à la loi du 23 février 2005, dès lors qu'avant cette date l'activité de Mme Marie
A...
relative aux équidés domestiques n'était pas agricole ; que les coefficients d'équivalence pour les productions hors sol ont été fixés pour les activités équestres à dix équidés selon arrêté du ministre de l'agriculture en date du 21 février 2007 publié au JORF le 14 mars 2007 ; qu'avant cette date, il était impossible de savoir si Mme Marie
A...
exploitait l'équivalent de la moitié de l'unité e référence permettant de justifier de l'expérience professionnelle définie à l'article R. 331-1 du code rural ; qu'aux termes de l'article 1er alinéa 1 du code civil, les lois entrent en vigueur à la date qu'elles fixent, ou à défaut le lendemain de leur publication ; que toutefois l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à l'entrée en vigueur de ces mesures ; qu'il convient donc de dire que ça n'est qu'à compter du 14 mars 2007 que Mme Marie A... a exploité l'équivalent de la moitié de l'unité de référence et commencé à acquérir l'expérience professionnelle nécessaire pour lui permettre de profiter de la reprise des terres dès lors qu'elle ne prétend pas l'avoir acquise à d'autre titre que son activité équestre ; qu'elle ne justifie donc pas qu'elle avait cinq ans d'expérience professionnelle à la date d'effet du congé le 29 septembre 2011. »
ALORS QUE, premièrement, le principe de l'effet non rétroactif d'un texte nouveau est satisfait dès lors que l'effet recherché, et déduit du texte, ne se produit que postérieurement à son entrée en vigueur déterminée par sa publication ; que tel était le cas en l'espèce ; qu'en effet le droit à reprise de la fille du bailleur n'était invoqué qu'à compter du 29 septembre 2011, soit à une date postérieure à l'entrée en vigueur des textes fondant la reprise ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 2 du code civil et le principe de non rétroactivité des lois ;
ALORS QUE, deuxièmement, dès lors que l'effet recherché, déduit du texte nouveau, se situe dans le temps postérieurement à son entrée en vigueur, le principe de l'effet non rétroactif des lois est satisfait, peu important que la partie qui revendique le droit puisse se prévaloir d'une situation de fait, au titre des conditions d'application du texte nouveau, prenant date antérieurement à l'entrée en vigueur dudit texte ; qu'en décidant le contraire, pour considérer que par principe, Madame Marie
A...
ne pouvait se prévaloir d'une expérience professionnelle antérieure à l'entrée en vigueur des textes invoqués, les juges du fond ont commis une erreur de droit et violé l'article 2 du code civil, le principe de la non rétroactivité des lois ;
ALORS QUE, troisièmement, si les premiers juges ont estimé que l'expérience professionnelle invoquée par la fille de la bailleresse était insuffisante, par hypothèse ces motifs n'ont pas été réexaminés par les juges du second degré puisque ceux-ci ont estimé, pour une raison de droit, qu'ils ne pouvaient se fonder sur l'expérience professionnelle antérieure à la date d'entrée en vigueur du texte invoqué, pour en déduire que faute de justifier d'une expérience pendant le nombre d'années requises, la fille de la bailleresse ne pouvait être le bénéficiaire de la reprise ; que de ce point de vue, l'arrêt attaqué encourt incontestablement la censure pour violation des articles 2 du code civil, le principe de la non rétroactivité des lois ;