LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 février 2014), que les consorts X... ont fait appel de la sentence rendue le 23 avril 2013 par un arbitre unique ayant pour mission de statuer en amiable composition sur la validité de la promesse d'achat d'actions dans la société Air Atlantique, dont ils détenaient le capital, par le conseil général de la Seine-Maritime et de leur valorisation ;
Sur les trois moyens réunis :
Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de fixer la valeur marchande de l'avion à une somme de 1 871 833 euros, la valeur du fonds de commerce à une somme de 3 639 188 euros, la réduction forfaitaire pour perte de lignes à une somme de 1 524 490 euros, alors, selon les moyens :
1°/ que l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservées expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission ; qu'en l'espèce, pour fixer la valeur marchande de l'avion à une somme de 1 871 833 euros, la cour d'appel, qui devait statuer comme amiable compositeur, s'est bornée à faire application des règles de droit sans faire aucune référence à l'équité ; qu'elle s'est ainsi bornée à vérifier que l'expertise du Bureau Veritas ayant fixé la valeur de l'avion avait été faite en application de la méthode convenue lors du compromis du 29 juillet 2002 et prétendument acceptée par les consorts X... lors de la signature des promesses unilatérales du 22 novembre 2001 ; qu'en appliquant ainsi la règle de droit tirée de la force obligatoire des conventions sans s'expliquer sur la conformité de cette solution juridique à l'équité, la cour d'appel a violé l'article 1474 du code de procédure civile, ensemble les articles 1482 et 1483 du même code, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, applicable en la cause ;
2°/ que l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservées expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission ; qu'en l'espèce, pour fixer la valeur du fonds de commerce à une somme de 3 639 188 euros, la cour d'appel, qui devait statuer comme amiable compositeur, s'est bornée à faire application des règles de droit sans faire aucune référence à l'équité ; qu'ainsi, adoptant les motifs du tribunal arbitral, elle s'est contentée d'approuver la valorisation du fonds selon « les méthodes de rentabilité » dont il aurait résulté que « l'impact des loyers payés du 1er septembre 2001 au 31 mars 2002 ou de mai 2002 au 22 novembre 2002 ne devait avoir aucune incidence sur la valorisation car les hypothèses retenues par l'expert sont normatives » ; qu'en statuant ainsi par simple application d'un mode de valorisation comptable, sans aucunement constater que cette méthode de valorisation serait conforme à l'équité, la cour d'appel a violé l'article 1474 du code de procédure civile, ensemble les articles 1482 et 1483 du même code, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, applicable en la cause ;
3°/ que l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservées expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande des consorts X... tendant à ce que soit écartée la réduction forfaitaire du prix pour perte de lignes, la cour d'appel s'est bornée à relever que les parties s'étaient expressément accordées sur cette réduction lors de la rédaction du compromis du 29 juillet 2002, et qu'en stipulant une réduction « forfaitaire » elles avaient exprimé l'existence « d'un accord « pesé » par chacune des parties et non susceptible de remise en cause » ; qu'en appliquant ainsi la règle de droit tirée de la force obligatoire des conventions sans s'expliquer sur la conformité de cette solution à l'équité, la cour d'appel a violé l'article 1474 du code de procédure civile, ensemble les articles 1482 et 1483 du même code, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, applicable en la cause ;
Mais attendu qu'après avoir rappelé qu'il incombait à la cour d'appel de statuer comme amiable compositeur, l'arrêt relève que, s'agissant d'une prise de capital par le conseil général de Seine-Maritime dans la société Air Atlantique, la valorisation de cette dernière, qui reposait notamment sur l'analyse de trois postes, à savoir la valeur marchande de l'avion, la valorisation du fonds de commerce et la réduction pour perte de lignes, ne pouvait être fondée que sur une méthode la plus juste possible ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a pris en considération l'équité ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande des consorts X... et les condamne à payer au conseil général de la Seine-Maritime la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mars deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour les consorts X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la valeur marchande de l'avion à une somme de 1 871 833 ¿ ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la valeur marchande de l'avion :
Que LES CONSORTS X... contestent la différence de valeur entre les deux expertises effectuées par le bureau VERITAS, l'une en octobre 2001, l'autre en août 2002, soutiennent que la deuxième beaucoup plus basse a été manifestement sous-évaluée à leur préjudice, qu'elle n'est nullement basée sur une simple réactualisation de la valeur de l'avion en fonction de l'usure et des travaux effectués comme convenu, mais procède d'une nouvelle évaluation ;
Qu'ils critiquent cette nouvelle évaluation qui ne correspond pas à la valeur de marché de tels avions en novembre 2002 et valorisent l'ATR42 selon le « current fair value » qu'il conviendrait de prendre en compte en l'espèce ;
Que LE CONSEIL GENERAL DE SEINE MARITIME réplique que les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, que LES CONSORTS X... ont avalisé la seconde expertise du bureau VERITAS en signant les deux promesses unilatérales d'achat et de vente le 22 novembre 2002 et qu'ils ne peuvent remettre en cause cette évaluation en raison de la force exécutoire des contrats ;
Qu'il est constant que la valeur marchande de l'avion doit être fixée en référence à la méthode définie dans le compromis du 29 juillet 2002, qu'à cet égard, l'évaluation initiale faite en octobre 2001 par le bureau VERITAS s'élevait à 3 672 433 euros et que les parties avaient convenu d'une nouvelle évaluation par les experts du bureau VERITAS en août 2002, évaluation qui s'est élevée à 1 871 883 euros ;
Qu'il convient de préciser que rien n'évoque dans le compromis une simple réactualisation en fonction de la vétusté et que la « valeur marchande » mentionnée dans le compromis s'entend de la valeur de revente en fonction du marché qui peut nécessairement fluctuer à 10 mois d'intervalle indépendamment de l'usure du matériel ;
Qu'en outre, cette valeur marchande étant une des quatre composantes de la valorisation de la société AIR ATLANTIQUE, elle ne peut correspondre qu'à sa valeur réelle à la date convenue de valorisation définitive en septembre 2002 et non à celle d'octobre 2001 à laquelle on aurait appliqué un simple coefficient de vétusté ;
Que s'agissant à l'époque d'une prise de capital par LE CONSEIL GENERAL DE SEINE MARITIME dans le capital de la société AIR ATLANTIQUE, elle ne pouvait être fondée que sur une valorisation la plus juste possible de la société ;
Que la seconde expertise du bureau VERITAS est exempte de critique en ce qu'elle a adopté la même méthode d'évaluation que lors de sa première expertise, soit une valeur de base à laquelle elle a appliqué un certain nombre de corrections, la différence finale s'expliquant en grande partie par une baisse notable du prix de vente (passé de 2 987 575 USD à 1 940 000 USD) donné par les publications de référence ;
Que la meilleure preuve de ce que LES CONSORTS X... ont accepté cette méthode et cette évaluation est qu'ils ont signé les promesses unilatérales du 22 novembre 2002 qui retiennent l'évaluation du bureau VERITAS faite le 19 août 2002 ;
Qu'il convient en conséquence de confirmer la sentence arbitrale sur ce point » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Sur la valeur marchande de l'Avion :Que selon compromis en date du 29 juillet 2012, page 7 :« Il est rappelé que le BUREAU VERITAS a établi, en date du 9 octobre 2001, une valorisation de l'appareil à 3 672 433,09 ¿ (24 089 587 F) ; ladite valorisation étant valable 3 mois.C'est pourquoi le BUREAU VERITAS a été chargé de procéder à une nouvelle évaluation de l'avion. Les experts de ce bureau sont intervenus à LA ROCHELLE et l'avion sera examiné par leurs soins, pendant trois jours, dans le courant du mois d'août.A compter de la date d'examen de l'avion, Monsieur X... s'engage à ne pas l'utiliser d'une manière pouvant entraîner une dépréciation » ;Que la promesse de vente en date du 22 novembre 2004 précise page 4 :« Valeur marchande de l'avion retenue au moment de l'expertise effectuée par le BUREAU VERITAS et réalisée le 19 août 2002, pour un montant de 1 871 883 ¿.Cette évaluation réalisée en US $ sera convertie en euros au cours, soit de la date d'évaluation (19 août 2002) soit de la date de réalisation (22 novembre 2002) ; la valeur de conversion retenue sera la plus favorable pour le vendeur » ;Que le bon de commande du 8 juillet 2002 effectué par le Cabinet JURISCONSEILS ATLANTIQUE en la personne de Mr Y... a pour objet :« ATR 42-300 MSN 018 AIR ATLANTIQUEEvaluation Technique et Financière » ;Que page 3 de ce Bon de commande, il est précisé :« Evaluation financière. Cette évaluation financière, basée sur les considérations du marché, est effectuée à partir des données techniques fournies dans le rapport d'inspections. Elle fera l'objet d'une lettre d'évaluation exprimée en US Dollars, contenant l'opinion du BUREAU VERITAS sur le « fair market value » au moment de l'inspection de l'avion avec ses moteurs installés » ;Qu'en conséquence, les faits évoqués ci-dessus démontrant la connaissance non équivoque de la nouvelle mission donnée au BUREAU VERITAS par lettre de mission du 8 juillet 2002, le Tribunal Arbitral retiendra la valeur marchande de l'avion conformément au 2ème rapport soit 1 871 883 ¿ » ;
ALORS QUE l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservées expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission ; qu'en l'espèce, pour fixer la valeur marchande de l'avion à une somme de 1 871 833 ¿, la Cour d'appel, qui devait statuer comme amiable compositeur, s'est bornée à faire application des règles de droit sans faire aucune référence à l'équité ; qu'elle s'est ainsi bornée à vérifier que l'expertise du bureau VERITAS ayant fixé la valeur de l'avion avait été faite en application de la méthode convenue lors du compromis du 29 juillet 2002 et prétendument acceptée par les consorts X... lors de la signature des promesses unilatérales du 22 novembre 2001 (arrêt, p. 8 et 9) ; qu'en appliquant ainsi la règle de droit tirée de la force obligatoire des conventions sans s'expliquer sur la conformité de cette solution juridique à l'équité, la Cour d'appel a violé l'article 1474 du Code de procédure civile, ensemble les articles 1482 et 1483 du même Code, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, applicable en la cause.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la valeur du fonds de commerce à une somme de 3 639 188 ¿ ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Sur la valorisation du fonds de commerce :
Que LES CONSORTS X... prétendent qu'il conviendrait d'ajouter à la valorisation actualisée du fonds de commerce par le CG 76 la part en capital correspondant aux loyers de mai 2002 à novembre 2002, puisque cette dette apparaît au passif du bilan ;
Qu'ils ajoutent que les parties se seraient accordées en ce sens ;
Que LE CONSEIL GENERAL DE SEINE MARITIME observe à juste titre que ce supposé accord n'est étayé par aucune pièce du dossier ;
Qu'il convient de confirmer sur ce point la sentence arbitrale par adoption de motifs » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Sur la valorisation du fonds de commerce :Que selon le rapport Z... de novembre 2001, la valorisation du fonds de commerce a été réalisée et retenue selon la méthode de rentabilité ;
Que sans donner une appréciation sur les méthodes retenues, la valeur du fonds de commerce a fait l'objet de la pondération suivante (pages 25 et 26 du rapport) :- Hypothèse 1 : Valeur actuelle de l'entreprise = 22 246 874,37 F ;- Hypothèse 2 : Valeur à partir de la valeur de rendement = 25 066 212,00 F ;- Hypothèse 3 : Valeur à partir de la valeur financière = 10 012 474,00 F,Soit une valeur moyenne pondérée, basée sur la rentabilité de 20 927 729 F, soit 3 190 411 euros ;Que les promesses de vente et d'achat du 22 novembre 2002 précisent, aux pages 5 et 4, les éléments suivants : « Valorisation du fonds de commerce : 3 190 411,70 ¿. Cette valorisation a été déterminée par un expert, Monsieur Jean Z..., en date du 9 novembre 2001. Cette valorisation est actualisée des loyers payés du 1er septembre 2001 au 31 mars 2002 soit 448 777 ¿ ce qui valorise le fonds de commerce à 3 639 188,70 ¿) ;Que du fait que la valeur du fonds de commerce a été retenue par des méthodes de rentabilité, l'impact des loyers payés du 1er septembre 2001 au 31 mars 2002 ou de mai 2002 au 22 novembre 2002 ne devrait avoir aucune incidence sur la valorisation car les hypothèses retenues par l'expert sont normatives ;Que les parties ont retenu lors des promesses croisées d'achat et de vente une valeur de 3 639 188,70 euros, le Tribunal Arbitral retiendra ce montant » ;
ALORS QUE l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservées expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission ; qu'en l'espèce, pour fixer la valeur du fonds de commerce à une somme de 3 639 188 ¿, la Cour d'appel, qui devait statuer comme amiable compositeur, s'est bornée à faire application des règles de droit sans faire aucune référence à l'équité ; qu'ainsi, adoptant les motifs du Tribunal arbitral (arrêt, p. 9, alinéa 10), elle s'est contentée d'approuver la valorisation du fonds selon « les méthodes de rentabilité » dont il aurait résulté que « l'impact des loyers payés du 1er septembre 2001 au 31 mars 2002 ou de mai 2002 au 22 novembre 2002 ne devait avoir aucune incidence sur la valorisation car les hypothèses retenues par l'expert sont normatives » (sentence, p. 12, alinéa 3) ; qu'en statuant ainsi par simple application d'un mode de valorisation comptable, sans aucunement constater que cette méthode de valorisation serait conforme à l'équité, la Cour d'appel a violé l'article 1474 du Code de procédure civile, ensemble les articles 1482 et 1483 du même Code, dans leur rédaction antérieure au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, applicable en la cause.