LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Eric X...,- Mme Ariane X...,- La société Eurotrends,- La société Kic systems,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 2e section, en date du 9 mars 2015, qui, dans l'information suivie contre eux du chef, notamment, de corruption active, a prononcé sur leurs requêtes en annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 octobre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, Mme Dreifuss-Netter, M. Fossier, Mmes Schneider, Farrenq-Nési, M. Bellenger, conseillers de la chambre, Mme Guého, conseiller référendaire ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE et BUK-LAMENT, et de Me BALAT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 15 juillet 2015, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 173, 174, 197, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables les requêtes en annulation des demandeurs ;
"aux motifs que, par arrêt, en date du 24 mai 2012, la chambre de l'instruction, dans la présente information judiciaire, a prononcé sur les requêtes en nullité dont elle a ordonné la jonction ; qu'il résulte de la lecture de cet arrêt que les parties et leurs avocats ont été convoqués pour l'audience de la chambre de l'instruction par lettres recommandées, en date des 14 et 15 février 2012 ; que Me Reingewirtz, avocat de Mme Ariane X..., M. Eric X..., la société Eurotrends et la société Kic systems, a déposé des mémoires visés par le greffier, communiqués au ministère public et classés au dossier le 29 février 2012 ; que les débats se sont tenus en chambre du conseil le 1er mars 2012 et l'affaire mise en délibéré au 24 mai 2012 ; que le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation le 16 janvier 2013 ; que l'article 174 du code de procédure pénale dispose « lorsque la chambre de l'instruction est saisie sur le fondement de l'article 173 ou de l'article 221-3, tous moyens pris de nullité de la procédure qui lui est transmise, doivent sans préjudice du droit qui lui appartient de les relever d'office, lui être proposés. A défaut, les parties ne sont plus recevables à en faire état, sauf le cas où elle n'aurait pu les connaître » ; qu'il résulte de la procédure que les pièces cotées D 580 et D 588 arguées de nullités sont respectivement parvenues au juge d'instruction, le 21 février 2011 pour le premier rapport (D 580/1) et le 31 mai 2011 pour le second (D588/1), comme l'établit le cachet portant la date d'arrivée apposé sur chacune de ces pièces, et ont été cotées en continuation, conformément aux dispositions de l'article 81, alinéa 2, du code de procédure pénale ; que ces pièces ont donc été versées au dossier très antérieurement à l'audience du 1er mars 2012 consacrée à l'examen des précédentes requêtes en annulation émanant des mêmes parties ; que sans préjudice des dispositions de l'article 197 du code de procédure pénale, depuis les mois d'avril et mai 2010, date de leur mise en examen, le conseil des quatre personnes physiques et morales mises en examen requérantes à la saisine aux fins d'annulation avait le droit d'accès général et continu au dossier de l'information en application des dispositions de l'article 114 du code de procédure pénale qui dispose que « après la première comparution de la personne mise en examen (¿) le dossier est également mis à tout moment à la disposition des avocats durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet d'instruction » ; qu'il ne résulte pas de la procédure que les mis en examen requérants, qui ne le soutiennent d'ailleurs pas, n'ont pas été ainsi en mesure de connaître les pièces incriminées et donc le moyen de nullité actuellement soulevé ; qu'il s'agit en outre d'un moyen de même fondement et d'objet que ceux soulevés dans la requête en nullité examinée par la chambre de l'instruction à son audience du 1er mars 2012 ayant donné lieu à arrêt du 24 mai 2012 et concerne des rapports d'expertise entrés en procédure les 21 février et 31 mai 2011 ; que la loi fait obligation au mis en examen en application de l'article 174 précité, à peine de forclusion, de proposer à la chambre, déjà saisie par une requête en annulation, tous les moyens de nullité de la procédure, le cas échéant par mémoire déposé jusqu'à la veille de l'audience ; que cette forclusion est destinée à éviter une remise en cause tardive de l'information de nature à fragiliser la procédure, conformément à un objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice d'autant que la personne mise en examen a toujours la faculté d discuter ultérieurement la valeur probante des pièces de la procédure devant la juridiction de jugement ; que la mention dans le dispositif de l'arrêt de la chambre de l'instruction du 24 mai 2012 « dit n'y avoir lieu à autre annulation de la procédure examinée jusqu'à la cote D 567 » est l'expression de la faculté donnée à la cour de se prononcer d'office sur des moyens de nullité le cas échéant autres que ceux soulevés par les parties, dans les conditions qu'elle estime fondées ; que cette mention est sans effet sur la disposition légale de l'article 174 précité, d'ordre public et qui met à la charge des parties une obligation particulière destinée à prévenir tout retard excessif portée au déroulement de l'information judiciaire ; que dès lors, à peine de forclusion, il appartenait aux personnes mises en examen d'invoquer l'irrégularité de ces pièces à l'occasion de la précédente saisine de la chambre de l'instruction ; que les requêtes en annulation doivent en conséquence être déclarées irrecevables ;
"1°) alors que, lorsque la chambre de l'instruction est saisie d'une requête en annulation d'un acte, seuls les moyens pris de la nullité de la procédure qui lui a été transmise par le juge d'instruction doivent, à peine de forclusion, lui être proposés avant l'audience, les moyens pris de la nullité d'actes qui n'y figurent pas pouvant ainsi l'être après, peu important qu'ils soient parvenus au juge d'instruction avant ladite audience ; que dès lors la chambre de l'instruction s'est fondée sur une circonstance inopérante en relevant, pour déclarer irrecevables les requêtes des demandeurs, que les pièces cotées D 580 et D 588 arguées de nullité étaient respectivement parvenues au juge d'instruction le 21 février 2011 et le 31 mai 2011 soit antérieurement à l'audience du 1er mars 2012 consacrée à l'examen des précédentes requêtes en annulation émanant des mêmes parties ;
"2°) alors que, lorsque la chambre de l'instruction est saisie d'une requête en annulation d'un acte, seuls les moyens pris de la nullité de la procédure qui lui a été transmise par le juge d'instruction doivent, à peine de forclusion, lui être proposés avant l'audience, les moyens pris de la nullité d'actes qui n'y figurent pas pouvant donc l'être après, peu important que les requérants aient été susceptibles d'avoir accès auxdits actes auprès du juge d'instruction ; qu'en se fondant encore sur la circonstance inopérante que les parties disposent d'un droit d'accès général et continu au dossier de l'information et qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure que les mis en examen requérants n'aient pas été en mesure de connaître les pièces incriminées, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision ;
"3°) alors que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la chambre de l'instruction qui, après avoir justement relevé que dans son arrêt du 24 mai 2012, elle avait « dit n'y avoir lieu à autre annulation de la procédure examinée jusqu'à la cote D 567 », a néanmoins ajouté que cette mention de son dispositif était l'expression de la faculté donnée à la cour de se prononcer d'office sur des moyens de nullité autres que ceux soulevés par les parties, s'est prononcée par des motifs entachés de contradiction, le dispositif précité impliquant très clairement que seule la procédure jusqu'à la cote D 567 avait été examinée par la chambre de l'instruction dans son précédent arrêt" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure qu'à la suite d'une enquête interne de l'Office européen de lutte anti-fraude ( OLAF) portant sur les conditions d'attribution, par les autorités turques, d'un contrat financé par l'Union européenne, une information a été ouverte, le 17 mars 2009, pour corruption active et passive d'agent public étranger, corruption active et passive d'agent d'une organisation internationale publique, dans le cadre de laquelle les sociétés Eurotrends et Kic Systems ainsi que leurs gérants, M. Eric X... et Mme Ariane X..., ont été mis en examen ; que, par arrêt du 24 mai 2012, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, saisie de requêtes en annulation des 19 octobre et 16 décembre 2010, portant notamment sur le rapport de l'OLAF déposé à la suite d'une demande de concours et des rapports d'expertise effectués par lui, a examiné la procédure jusqu'à la cote D567 et annulé partiellement certains actes de la procédure ; que, le 16 janvier 2013, le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté ; que, par requêtes du 19 juin 2013, les mis en examen ont à nouveau saisi la chambre de l'instruction aux fins d'annulation d'un rapport d'expertise de l'OLAF reçu par le juge d'instruction le 21 février 2011 et du rapport final d'enquête parvenu le 31 mai 2011, respectivement cotés D580/1 et D588/1 ;
Attendu que, pour déclarer irrecevables ces requêtes, l'arrêt retient que les pièces arguées de nullité ont été versées au dossier très antérieurement à l'audience du 1er mars 2012 consacrée à l'examen des précédentes requêtes en annulation, et qu'à peine de forclusion, il appartenait aux personnes mises en examen, dont l'avocat avait le droit d'accès général et continu au dossier de l'information, d'invoquer l'irrégularité de ces pièces à l'occasion de la précédente saisine de la chambre de l'instruction ; que les juges ajoutent que la mention dans le dispositif de l'arrêt du 24 mai 2012 "Dit n'y avoir lieu à autre annulation de la procédure examinée jusqu'à la cote D 567"' est l'expression de la faculté donnée à la cour de se prononcer d'office sur des moyens de nullité le cas échéant autres que ceux soulevés par les parties, dans les conditions qu'elle estime fondées ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres énonciations qu'il n'a été statué, par l'arrêt du 24 mai 2012, qu'au vu des pièces figurant au dossier coté jusqu'à la pièce D567 transmis par le juge d'instruction au président de la chambre de l'instruction en application des articles 173 et 174 du code de procédure pénale, mis en état par le procureur général, puis déposé au greffe et mis à la disposition des parties conformément aux dispositions des articles 194 et 197 dudit code, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 9 mars 2015, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix novembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.